Hikikomori, syndrome de maladie ou de rébellion ?
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Hikikomori, syndrome de maladie ou de rébellion ?
Le terme hikikomori a été inventé par le psychiatre japonais Tamaki Saito en 1998 pour désigner un phénomène qui semble toujours en pleine expansion : l’isolement volontaire d’adolescents dans leur chambre pendant au moins 6 mois. Si des cas avaient déjà été observés depuis les années 60 dans différents pays, l’analyse du psychiatre japonais a trouvé un écho non seulement auprès des spécialistes, mais aussi du grand public. Ainsi en 2010, le mot “hikikomori” est officiellement entré dans le dictionnaire anglais.
Qu’est-ce qu’un hikikomori
Les hikikomori sont souvent des jeunes hommes (mais pas exclusivement) qui décident de s’enfermer dans leur chambre ou leur appartement et de ne plus en sortir pendant des mois et souvent même, pendant des années. Ils abandonnent toute vie sociale y compris l’école ou le travail et limitent leurs interactions au strict minimum. Le phénomène se produit autant chez des jeunes vivant encore chez leurs parents que chez des célibataires indépendants.
Les hikikomori passent généralement leur journée à lire, dormir ou jouer pendant des heures, mais n’ont aucune motivation ou ambition et ils perdent souvent la notion du temps. Les proches et l’entourage commencent généralement par penser qu’il s’agit de fatigue passagère avant de réaliser que le problème est plus grave.
Dans la majorité des cas, les hikikomori ont précédemment été victimes de problèmes scolaires ou de harcèlement au travail. La déception face à la société et à ses normes est généralement au cœur de leur discours lorsqu’ils acceptent de s’exprimer.
Il faut savoir que ce syndrome fait débat dans la recherche. Il est en effet difficile de déterminer s’il s’agit réellement d’un trouble psychiatrique ou si les hikikomori n’adopteraient pas ce comportement comme un signe de révolte passive contre la société. Ils seraient alors plutôt à considérer comme des ermites modernes qui se retirent du monde.
Les hikikomori, fruit de la société japonaise ?
Si d’autres pays ont annoncé des cas de hikikomori sur leur territoire, le phénomène est tout de même plus largement répandu au Japon. En effet, en 2010, les hikikomori japonais recensés étaient d’environ 230’000 ce qui correspond à 0.2% de la population du pays. Le gouvernement japonais s’est montré particulièrement inquiet vis-à-vis de la durée d’isolement. En effet, au début des années 2000, les jeunes étaient les plus touchés, mais en 2015, ce sont les trentenaires et même les quadragénaires qui prennent le relais. Ce changement de tranche d’âge s’explique notamment par le fait que les premiers cas vieillissent, mais ne retournent pas nécessairement à la société.
S’il est difficile d’imputer spécifiquement le syndrome à la société japonaise, les chercheurs s’accordent pour analyser la vie au Japon comme extrêmement communautaire. Traditionnellement, les employés doivent vouer leur vie à leur entreprise, les citoyens doivent être prêts à se sacrifier pour leur pays, tout est pensé pour le bien collectif avant le bien individuel. Les jeunes qui peinent à s’insérer dans la société ressentent donc une mise à l’écart plus violemment que dans d’autres cultures et leur réaction serait en conséquence d’autant plus extrême.
La santé mentale au Japon
Si le pays est plutôt bien équipé pour les personnes souffrant d’un handicap physique, les questions de santé mentale “visible” restent plutôt taboues au Japon. Pour les familles, il est donc délicat d’admettre qu’un de leur membre est un hikikomori et d’aller chercher de l’aide spécialisée.
Cette situation est d’autant plus complexe que beaucoup d’hikikomori ne souffrent pas d’un trouble psychiatrique à proprement parler et ne ressentent pas de souffrance vis-à-vis de leur situation. Ils ne voient alors pas l’utilité de consulter ou de se faire aider. Pour une partie d’entre eux, un retour à la normale se fait d’ailleurs naturellement après des temps d’isolement variables.
D’un autre côté, les troubles mentaux à proprement parler étant très mal perçus et les hikikomori n’étant pas officiellement des “patients”, certains psychiatres japonais préféreraient utiliser ce terme plutôt que de diagnostiquer une dépression ou une schizophrénie qui seraient encore plus difficile à accepter pour la famille et l’individu. Ainsi, un certain flou demeure autour de ce phénomène pourtant bien présent.
La prise en charge des hikikomori
Si de nombreux cas sont sans doute trop isolés pour être repérés et aidés, le gouvernement japonais a tout de même mis en place un système d’aide pour la réinsertion des hikikomori connus.
D’un côté, il y a des traitements “classiques” et médicamenteux ainsi qu’un suivi psychiatrique pour ceux qui expriment une souffrance, mais il existe aussi des centres sociaux non cliniques. Là-bas, les hikikomori sont doucement réhabitués aux tâches quotidiennes et à la socialisation. Des visites à domicile ont également lieu pour ramener le monde extérieur dans la vie des hikikomori sans les brusquer.
Dans les deux cas, l’aide doit être consentie et la démarche doit venir du patient ou de la famille. Il faut donc qu’il y ait une acceptation de la situation et pour certains Japonais, il reste inconcevable d’admettre que son enfant souffre d’un trouble mental et doit être suivi.
Sur le terrain, le syndrome reste donc relativement tabou, mais dans la culture populaire, la figure du hikikomori a gagné en popularité. Au Japon, plusieurs manga ont comme personnage principal des hikikomori et de plus en plus de films ou séries traitent du sujet. En France, la courte web série “Journal d’un hikikomori” relate la vie de Damien sous forme de docu-fiction. Ci-dessous, le personnage féminin du film coréen “Cast away on the moon” qui ne sort même plus ses poubelles.
Sans forcément être nommés hikikomori, les cas de “retraits de la société” chez des adolescents sont observés partout dans le monde et restent encore mal compris. Pour certains chercheurs, il s’agirait d’une forme extrême de “crise d’adolescence” où l’isolement devient le seul moyen de se forger une identité propre loin de l’influence familiale et sociétale.