L'ombre
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L'ombre
Que fuis-tu ? lui demanda la femme qu’il tenait dans ses bras.
Il avait posé sa tête sur son opulente poitrine. Lovée contre celle dont les longs cheveux ondulés embaumaient la pièce, il songeait, le regard perdu, douloureux. Elle lui caressait la tête pour apaiser son corps encore haletant. Leurs sueur mêlées détrempaient les draps et accentuaient la moiteur de la pièce. L’air marin s’infiltrait par la fenêtre, l’odeur du large, un parfum salé comme la sueur qui perlait sur la peau nue de la jeune femme.
Il se dégagea d’entre ses cuisses après qu’elle eut parlé, se leva et alla se planter devant la fenêtre. L’air iodé lui rafraîchit le visage. Il restait immobile, tendu.
Dans son dos, la jeune fille s’était enveloppée dans les draps. Sa peau noire dans la pénombre, faisait ressortir ses yeux qui luisaient, interrogateurs.
- Que fuis-tu ? demanda t-elle à nouveau.
- Me fuis-tu ? résonna la voix dans sa tête
Il enfila un pantalon et sortit. Une ombre furtive se glissa derrière lui.
Il se mit à longer la plage. Les vagues venaient mourir à ses pieds en languissant. Dans le ciel, les étoiles s’éteignaient et le ciel pâlissait. Il se retourna et aperçut l’Ombre. Il continuait d’avancer et l’Ombre toujours le suivait. Et lorsqu’il s’arrêta enfin, Elle fit de même. Il contemplait l’immensité tumultueuse devant lui. A quelque pas, l’Ombre semblait sortir des flots. Elle se dessinait dans le ciel blanchissant, ses formes changeantes et mouvantes comme l’onde à portée de vue.
Il fit demi-tour, s’arrêtant au moment de croiser cette silhouette immobile, il ferma les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, il était seul. Il se hâta vers la cabane de pêcheur en bord de mer. Mais quand il s’étendit de nouveau au creux des draps, près du corps alangui et endormi, il tressaillit. Assise dans le coin de la pièce, l’Ombre le regardait !
Il en avait sillonné des mers et affronté des tempêtes. La mer c’était sa vie. Aussi exaltante qu’elle pouvait être, elle avait aussi un visage dur et implacable. Oui, il avait connu de sombres heures d’angoisse, en mer, pour lutter pour sa vie, mais aucunement comparable à ce que l’Ombre lui faisait vivre à présent.
Il savait la crainte quand les flots noirs et impétueux, les creux profonds et les hautes vagues faisaient assaut contre un navire. Il savait combien l’homme était petit face au déchaînement des éléments, à la houle furieuse. Il savait le doute quand brisés, harassés, seuls face à l’immensité de l’océan, les hommes étaient prisonniers de cette masse à perte de vue, sans plus aucun repère.
Mais il ne savait pas cette inquiétude-ci. Non, il n’avait jamais encore expérimenté ce doute face à l’immensité du gouffre en son cœur. Il ne savait pas les flots noirs et impétueux de haine que l’Ombre déversait en son cœur. Il était sans repères face à cette Ombre.
Depuis longtemps déjà, Elle pesait sur son cœur. Tout comme les tatouages qui ornaient ses bras, racontaient son histoire, son regard brûlant et les rides de son expression trahissaient son angoisse. Une histoire de peine et de peur.
Il ressentait cette peine toujours plus intensément, une peine lourde qui pesait comme une chape de plomb sur ses épaules. Une chape de haine qui le brûlait de l’intérieur. Quand l’Ombre était là, il repensait à ses fautes passées. Quelle haine brûlait son cœur et ses entrailles ?
Et maintenant, l’Ombre s’était matérialisée.
Et à présent, elle le suivait partout. Opalescente dans la franche lumière du jour, plus profonde que la nuit quand l’obscurité étendait son voile sur la terre. Parfois elle s’éloignait, puis elle se rapprochait si près qu’il aurait presque pu la toucher. Oui, elle était changeante, bel et bien changeante comme la mer, évoluant à son gré comme le ressac.
De ses longs doigts fins, elle étreignait son âme. Et ce faisant, tuait tout espoir en lui. Il ne sentait que la boue, la fange, des marécages insondés de peur, de haine, tout ce qui était vil en lui. Comme si jamais le jour ne reviendrait, comme si jamais la bonté ne l’étreindrait à nouveau. Mais toujours le jour revenait, allégeant quelque peu sa peine. Mais toujours l’Ombre restait, étreignant son cœur.
Et maintenant Elle avait parlé.
« Me fuis-tu ? » avait-elle demandé. Il connaissait cette voix qui avait résonné dans sa tête. Et il ne voulait pas l’entendre. Il n’avait qu’à faire comme si cela n’existait pas. Il ne pouvait y faire face, il ne voulait y faire face ! Il reprendrait la mer encore et advienne que pourra !
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Les étoiles brillaient et le navire fendait l’océan noir et miroitant sous la lune. Il fumait sa pipe sur le pont. Le bateau avait appareillé depuis quelques semaines déjà. L’air frais nocturne et la sombre beauté du paysage ne réussissaient toujours pas à le détendre. Accoudée au bastingage, l’Ombre était là et le regardait. Elle ne l’avait plus quitté même quand il avait réembarqué.
Il se pencha pour tenter de sonder les flots en dessous. Sous l’éclairage de la lune, la mer agissait comme un obscur miroir poli. Il se refléta légèrement puis fit entendre un gémissement de dégoût. Sa belle figure apparaissait désormais comme un affreux masque grimaçant. Et les mains de son reflet étaient maculées de sang. La mer bouillonnait, écarlate. Il recula transi de peur et partit rejoindre sa cabine.
Le lendemain, le soleil se coucha. Incandescent. Il jeta ses derniers rayons de feu, colorant les flots d’une teinte flamboyante. Le marin se mit à trembler. La mer était si belle et terrible, si rouge… Il voyait du sang. Et l’Ombre se renforçait, couverte de son voile de ténèbres maintenant que la nuit tombait.
La traversée avait pris fin. Nouveau port d’attache pour ces hommes sans attaches. La vie à terre déroulait son lot de plaisirs.
Une nuit, le marin sortit d’une taverne avec ses compagnons. Les chants des ivrognes se mêlaient aux feulements des putains. L’air marin était saturé de vapeurs d’alcool. C’était de nouveau la pleine lune, et ils se promenèrent dans le port, déambulant entre les navires qui mouillaient. Titubant plus que les autres, notre marin se détacha du groupe. Il fumait sa pipe et trottinait avec peine. Inspirant à pleins poumons, il cherchait à reprendre le fil de ses idées ; la bière lui avait quelque peu brouillé l’esprit. Il s’approcha du bord et se pencha pour scruter les flots en contrebas et à nouveau, il vit dans la mer comme un miroir. La silhouette de l’Ombre était là, réfléchie. Il ne sut pas très bien ce qui se produisit mais le reflet semblait s’agiter. Etait-ce l’eau ou son esprit ? Etait-ce le brouillard qui montait des eaux ou la fumée de sa pipe ? L’Ombre tendit les bras, ainsi que son reflet. Au milieu des volutes, la silhouette montait des eaux, plus nette, plus précise. Des cheveux flamboyants et des yeux vides fixés sur lui. Ses bras tendus, elle l’invitait, avec elle dans la mer. Une perle brillait à son annulaire gauche.
« Me fuis-tu ? » demanda-t-elle encore. Et cette voix d’outre-tombe lui perça le cœur !
Il se pencha pour contempler le beau visage sans yeux. Dans un mouvement de rage impuissante, il voulut saisir les bras que lui tendait la silhouette et se sentit saisir par les flots glacés. Il avait si peur mais savait qu’il ne pouvait continuer à fuir sans cesse… Il ne pouvait plus lutter et se s’enfonça lentement dans l’eau. L’Ombre aquatique lui tendit la main. Et soudain, une main ferme le rattrapa et le tira hors de l’eau. Il s’évanouit, et personne ne put voir la tête émergeant de l’onde, fixant de ses yeux sans vie l’homme évanoui sur le sol, que ses compagnons tentaient de ranimer.
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Il contempla son reflet dans le miroir. Son regard avait retrouvé un peu de sérénité. Il savait ce qu’il devait faire. Il ne pouvait plus fuir et se devait d’accepter sa destinée. Son reflet lui sourit tristement. Et derrière ce reflet, l’Ombre émergeait de la pénombre.
Il sortit et respira à pleins poumons. La journée tirait à sa fin et bientôt le soleil se coucherait. Il s’éloigna du port et longea la grève. L’ombre le suivit. Elle se précisait de plus en plus. Elle était vêtue d’une longue robe de flanelle noire. Le chemin s’élevait en lacets au-dessus de la mer. Le chemin était de plus en plus escarpé et la mer mugissait en contrebas. Un paysage de falaises se dessinait. Plus la voie s’exhaussait, plus le vent soufflait. Souvent, au détour d’un lacet, le marin s’arrêtait pour reprendre son souffle. Il attendait que l’Ombre se rapprochât puis il reprenait son ascension. Elle avait de longs bras fins qui resserraient un châle ébène autour de sa tête et de ses épaules.
La lente ascension était physiquement dure pour le marin mais son esprit et son cœur gagnaient en légèreté.
Il atteignit ainsi le sommet. Le paysage était nu, rocailleux, désolé et hostile. Tendant leurs cimaises déchiquetées vers le ciel, les falaises enfonçaient leurs racines dans un océan vindicatif.
Debout face à la mer, il attendait. L’Ombre doucement le rejoint, s’approchant à pas feutrés. Le soleil dardait ses derniers rayons sur la mer.
Il sentit le souffle de l’Ombre dans sa nuque.
- « Me fuis-tu ? » demanda t-elle à nouveau
- « Je ne peux plus fuir »
L’Ombre effleura de ses doigts fins et délicats le bras droit du marin. En redescendant vers son poignet, elle suivait les traits et les dessins de ses tatouages. Son index s’arrêta sur un personnage féminin aux grands yeux verts et à la longue chevelure flamboyante. Elle se découvrit, ramenant son châle sur ses frêles épaules et libéra une épaisse chevelure rousse. Le marin regarda son tatouage et soupira.
- « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » murmura la femme dans son oreille. « Tu m’as tatoué à jamais sur ta peau et toi, tu es tatoué dans mon cœur à jamais.»
- « Je t’ai trahie, et depuis tu n’as cessé de me hanter »
- « Tu m’as gravée dans ta chair, tu ne pouvais donc plus te délier de ton serment. Regarde, ce que tu as fait de moi » dit-elle en montrant ses mains. Elles étaient rouges sang dans la lumière du couchant.
- « Tu me hantes depuis bien trop longtemps. J’ai voulu te fuir mais maintenant, je suis en paix. Je sais ce que je t’ai fait et je ne peux plus lutter, ni contre toi, ni contre moi-même. »
- « Je ne suis qu’une Ombre dans tes pensées. »
- « Une Ombre que mon remords a créé »
Et le marin se retourna vers la jeune femme. Il prit son visage dans ses mains et tout doucement s’approcha. Au moment où leurs lèvres se touchèrent, le soleil darda un dernier rayon écarlate, éclairant le visage de la femme : un crâne, et ses grands yeux vide de mort, injectés de sang étaient comme fixés sur son amant.
Le lendemain, en arpentant une plage balayée par les vents, loin, au-delà de la mer, des promeneurs trouvèrent deux cadavres enlacés. Un squelette de femme, revêtu de noir et un marin au corps encore intact. Les cheveux roux du squelette recouvraient le bras de l’homme. Et sur ce bras, une splendide rousse souriait.
Cette macabre découverte fit grand bruit dans le petit village où les corps avaient été retrouvés.
La fille du gardien de phare avait été abandonnée par son fiancé, un marin. Elle avait sauté du phare, au soleil couchant, il y a des lunes de cela et on n’avait jamais retrouvé son corps.
On reconnut le corps de son fiancé.
Nul ne sut jamais ce qu’il s’était passé mais on murmure que le marin, rendu fou de remords par sa lâcheté se jeta à son tour dans la mer. On ne fut non plus jamais sûr de l’identité du cadavre féminin mais on les ensevelit tous deux. Et sur leur tombe, dans un vieux cimetière balayé par les embruns, on peut lire : Ci gisent les amants maudits. La mer les sépara. La mer les réunit.