Le banian du mal
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Le banian du mal
C’était un banian imposant et tortueux. Sa silhouette massive se découpait, angoissante, face à la mer. Ses racines entrelacées évoquaient de monstrueux tentacules. La ville en pleine expansion dévorait de plus en plus d’espaces et ce banian se tenait là, sur une plage de Nouméa. Mais sur cette plage, personne ne s’approchait de lui. Les vieilles traditions disaient que ce lieu était maudit. Les arbres près de lui étaient tous morts desséchés et une étrange angoisse serrait le cœur de quiconque s’en approchait. On racontait d’étranges histoires à son sujet. Chacun sait que le banian est associé aux rites funéraires et que les Anciens exposaient les dépouilles de leurs chefs dans l’entrelacs de ses racines. On disait que ce banian avait absorbé des morts mais aussi des vivants. Bien sûr, ce genre d’histoires, assimilées à des légendes urbaines faisaient sourire en ville. Personne ne prenait au sérieux ces légendes venues d’une autre époque, et bien que chacun admît un certain malaise à proximité du banian, les gens l’évitaient tout simplement, sans se poser de questions.
Les hôtels du front de mer de Nouméa offraient à leurs habitants, une vue imprenable sur l’océan et les plages. Le temps qui changeait souvent permettait de saisir de ses fenêtres toutes les humeurs de la mer.
Un soir qu’un cyclone s’abattait sur Nouméa, une jeune fille regardait par sa fenêtre les éléments qui se déchaînaient. Le bruit de la mer était assourdissant et le vent hurlait une complainte plaintive qui se brisait contre les vitres. Le spectacle était aussi fascinant qu’angoissant. Des trombes d’eau tombaient du ciel et les palmiers ployés par la tempête étaient comme de vieilles femmes décharnées et échevelées. La jeune fille plissa les yeux. Sur la plage, un phénomène étrange se produisait. C’était comme si les racines pendantes du banian se mouvaient au gré du vent. C’étaient de solides racines et non pas des lianes, elles n’auraient donc jamais du onduler ainsi. La jeune fille hypnotisée par ce phénomène décida de sortir de l’hôtel pour voir de plus près ce qu’il se passait. Entortillée dans un solide ciré, elle brava la dépression. La violence des rafales la ployait et elle dut presque ramper pour atteindre les quelques mètres qui la séparait de la plage. Son imperméable, dérisoire bouclier, ne la protégeait en rien de l’eau qui se déversait du ciel. En s’approchant du banian, une indicible terreur l’étreignit mais elle ne put faire demi-tour. C’était comme un impérieux appel qui la poussait à se rapprocher de cet arbre, contre son gré. Le spectacle était effroyable ! Le banian grouillait. Ses racines entremêlées comme autant de tentacules, ondulaient dans les airs, sur le sol et le tronc. Certaines comme de longs bras s’étiraient vers elles pour la happer. Aucune personne sensée n’aurait voulu s’approcher de cet arbre mais la jeune fille ne pouvait lutter contre la force invisible qui la poussait à avancer. Bientôt, elle se retrouva entre les racines du banian. Elles l’enlaçaient lentement mais fermement, saisissant ses poignets, ses chevilles, s’insinuant dans ses cheveux, agrippant ses bras. La jeune fille était prisonnière, comme dans les mailles d’un filet, face à la mer déchaînée. Le mugissement se faisait de plus en plus strident. On ne distinguait plus le sifflement du vent du fracas de la mer. C’était à présent un bourdonnement aigu qui enflait de plus en plus. Ce son puissant s’amplifiait et se rapprochait de plus en plus. Il entourait la jeune fille. C’était comme si ce bruit provenait du banian lui-même.
La peur paralysait la jeune fille mais son cauchemar ne faisait que débuter. Le bruit l’environnait mais il s’accroissait encore et les vagues qui s’écrasaient sur la plage étaient de plus en plus grosses. Et sous ses yeux exorbités, une vague monstrueuse arriva. Ce n’était pas sa taille qui impressionnait le plus mais sa forme : elle roulait sur elle-même, se balançant d’avant en arrière et sur les côtés, écrasant les autres vagues et projetant d’énormes gerbes d’eau. Elle sifflait ; un sifflement lugubre et atroce. Et lorsqu’elle s’écrasa enfin sur la plage, aux pieds du banian, l’écume se mit à mugir et les gouttes d’eau s’élevèrent en tourbillonnant, formant une nuée qui entoura l’arbre et la jeune fille. Et tout d’un coup, la nuée s’écrasa au sol et une ombre terrifiante apparut. Emergeant du chaos, c’était une forme humaine gigantesque et sa tête était semblable à celle d’un poulpe monstrueux. On ne pouvait décrire cette vision d’effroi, cet hideux amas de tentacules palpitants émergeant du néant. Une odeur nauséabonde accompagnait la créature dont la silhouette était dominée d’une paire d’ailes filandreuses. Cette vision d’horreur fit perdre la tête à la jeune fille. Elle se débattit, hurlant dans les racines et les branches du banian mais la cacophonie générée par les éléments, couvrait ses cris. La bête s’approcha d’elle et ses tentacules effleurèrent son visage. La jeune fille s’évanouit et la bête l’étreignit. C’était une masse inextricable de racines grouillantes, de tentacules frémissants, de cheveux épars. Et le monstre serra à la jeune fille comme pour l’embrasser et il aspira son énergie vitale. Une étrange mélopée gutturale et entêtante jaillit alors de l’arbre. Une personne connaissant cette langue infâme aurait pu traduire ainsi cette litanie: « N’est pas mort ce qui à jamais dort et au cours des ères peut mourir même la Mort. Nous t’adorons Cthulhu. De ta semence a jailli ce banian, porte de l’Enfer. Nous sommes les âmes dont tu te repais. Nous t’avons donné notre fluide vital et nous gisons à présent sous cet arbre. Et notre décomposition le maintient grand et fort ! » La jeune fille gisait à présent au sol, inconsciente. La boue qui se formait en raison du temps maculait son corps tout entier. On eut dit qu’elle s’enfonçait dans un sol mouvant. Et c’est ce qui se passait ! Le sol s’ouvrait lentement et les racines s’écartaient. Le corps disparaissait progressivement. Ce qui ressemblait à de fines racines blanchâtres s’enroulèrent autour du corps pour l’entraîner dans la terre. Ce n’était pas de fines racines mais des os, des mains décharnées de squelette. Et la mélopée continuait. Enfin, la jeune fille disparut complètement et dans un craquement sourd, le sol se referma et les racines reprirent leur place. La bête poussa alors un long soupir de satisfaction et sa voix caverneuse résonna : « Par ce sacrifice, j’ai gagné en force. Moi Cthulhu l’Immortel, je repars dormir dans ma cité sous-marine de R’lyeh. Je règne sur la mer, je domine les démons et je me nourris de la vie des Hommes. » Et il repartit comme il était venu, dans un fracas épouvantable d’écume et de bruit. Et avec son départ, s’éloigna la tempête.
Cette nuit-là, à l’hôtel, un jeune homme vit sa nuit peuplée de cauchemars. Sans doute le vacarme de la tourmente extérieure influait sur son sommeil. Il vit en songe sa petite amie aspirée par un monstre ailé à tête de pieuvre puis enterrée sous un banian. Et quand le vent déclina, sa respiration se fit moins oppressante. Quand il se réveilla, glacé d’effroi le matin, le ciel était pur et la mer calme, nettoyés et apaisés après l’orage cataclysmique. Il se tourna pour réveiller sa petite amie, mais elle avait disparu !