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Propriété privée
Propriété privée, Julia Deck, Minuit, 2019
Un couple, Eva et Charles, des cinquantenaires sans enfant, s'installe dans un écoquartier au bout de la ligne de RER. Bientôt, l'ancien bâtiment industriel transformé en maisons individuelles se peuple de gens aux aspirations écologiques et à une vie paisible de quartier, en interaction avec ses voisins. Eva travaille à l'urbanisme de Paris et Charles reste à la maison, angoissé et en proie à des crises régulées par un traitement lourd. Les deux se mêlent peu aux autres suscitant curiosité et animosité.
J'ai beaucoup aimé Viviane Elisabeth Fauville de l'auteure, je me suis donc plongé dans son dernier roman sans aucune crainte. J'aime bien lorsqu'à partir de faits bénins, de personnages fictifs très réalistes un romancier, en l'occurrence, une romancière, bâtit un roman qui m'embarque. Mon seul bémol vient du format puisque je l'ai lu sur une liseuse et que, décidément, ce format n'est pas fait pour moi.
Mais revenons au texte qui m'a séduit par son ton entre l'ironie, l’empathie, le sarcasme, la vacherie. Tous les sentiments et émotions sont décrits : haine, jalousie, envie, amour, désir... Le quartier est une mini-société dans laquelle ces gens apprennent à se connaître, se lient plus ou moins, parfois beaucoup -sans doute trop aux yeux des conjoints. Ce sont des rapports humains classiques et exacerbés qui se nouent dans ce quartier en construction et en rénovation puisque le système de chauffage révolutionnaire ne fonctionne pas. Il faut donc faire venir des ouvriers et là -quelle transition- j'ai souligné le passage suivant, bien vu et fin :
"Quand je suis descendue à la cuisine le jour suivant, un camion benne barrait l'entrée de la voie. Les ouvriers déchargeaient du matériel. Un quart d'heure plus tard, ils ont commencé à forer. C'était un bruit sans nom qui explosait à l'intérieur des crânes. Il n'était pas humainement possible de le supporter. Et ces hommes qui foraient, casque vissé jusqu'aux yeux, bras rivés à l'engin qui pulvérisait l'asphalte, exécutaient leur tâche avec une tristesse muette. Peut-être songeaient-ils, vibrant au rythme de leur machine, qu'ils s'étaient bien fait avoir en traversant la Méditerranée. Peut-être estimaient-ils, à l'inverse, qu'ils étaient mieux ici. Et peut-être qu'ils ne pensaient rien, transformés en simples prolongements de leur machine." (p.68/69)
J'aime l'écriture de Julia Deck, simple et directe qui va à la fois dans le futile et dans la profondeur et qui sait, au tournant d'une phrase a priori anodine amener une info, une remarque, une opinion ou un questionnement inattendu. Elle fait parler Eva, parfois à la troisième personne, parfois à la deuxième lorsqu'elle s'adresse à son mari. Ce "tu" m'a plu. Il donne un ton intimiste, comme si nous étions avec le couple. Elle nous rappelle qu'on ne choisit pas ses voisins, mais qu'il vaut mieux entretenir avec eux des rapports au minimum cordiaux. D'aucuns pourront dire que son roman part un peu dans tous les sens et que la fin est étonnante. Sans doute. Moi, je me suis laissé totalement faire.
Toutes mes recensions sur mon blog http://www.lyvres.fr/