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Maurice le Siffleur

Maurice le Siffleur

Publicado el 23, jul., 2020 Actualizado 23, jul., 2020 Cultura
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Maurice le Siffleur

Ah on peut dire que j’ai été gâté cet été. Je vous ai causé il y a peu de temps de Replay, roman avec lequel j’ai entamé mon été et qui m’a tenu en haleine autant que fait cogiter sur la vie, les choix et la destinée. Eh bien j’ai enchaîné avec Le Siffleur de Laurent Chalumeau, qui m’a lui aussi, bien que dans un tout autre registre, complètement enthousiasmé.

 

De Laurent Chalumeau j’avais littéralement adoré Un Mec Sympa que je ne saurais trop vous conseiller, puis j’avais lu le très original Fuck qui par sa forme assez inattendue m’avait laissé un arrière-goût de déception lors de la lecture. Mais la faute n’en incombait pas à la qualité du bouquin mais plutôt au lecteur : je m’attendais tellement à un livre du type de Un Mec Sympa que j’ai été désarçonné par un style très différent, autant sur la forme que sur le fond. Avec Le Siffleur je suis retombé en plein dans la gouaille, l’inventivité et l’humour du premier Chalumeau que j’avais lu voici bientôt deux ans. Un polar-comédie situé sur la Côte d'Azur, farci de personnages truculents et de dialogues aux petits oignons. Drôle, frais, original, divertissant.

 

L’histoire se déroule dans la région cannoise, sur fond de transactions-magouilles immobilières. Armand Teillard est un petit commerçant sans grande envergure, la soixantaine entamée, mais qui sait profiter de la vie et de ses plaisirs simples. Parmi ces dits plaisirs, l’un des plus précieux c’est son déjeuner, qu’Armand prend chaque jour à l’Aline Roc, restaurant en bord de mer. Il y a sa table réservée, face à la mer. Les patrons, la jeune Sofia et son époux Martial sont devenus pour ainsi dire des amis, et c’est bien vite qu’il apprend les ennuis dans lesquels ces derniers se retrouvent. Approchés à plusieurs reprises par un promoteur immobilier, Jean-Patrick Zapetti, qui a racheté toutes les propriétés alentours afin d’en faire un immense hôtel de luxe pour le compte de riches investisseurs russes, les jeunes restaurateurs ne veulent pas vendre leur bien, un héritage familial, malgré le pont d’or qui leur est offert. Depuis peu, ils sont menacés et des racketteurs, des petites frappes locales viennent leur chercher des noises.

 

Armand, soucieux autant de leur venir en aide que de voir coûte que coûte son restaurant fétiche rester ouvert, les convainc de porter plainte auprès de la police. Mais devant le manque de réactivité des forces de l’ordre, il leur propose une autre solution. Faire appel à son frère jumeau, Maurice dit le siffleur. Maurice et Armand sont en mauvais terme, mais Maurice a un talent particulier : doté d’un aplomb sans faille, auréolé d’une réputation de vieux de la vieille dans le milieu du banditisme, il sait résoudre des problèmes que la police ne peut pas résoudre. Résignés, les restaurateurs acceptent l’aide de Maurice. Dès lors Armand disparaît du décor et laisse sa place à son jumeau tout droit arrivé d’Italie. Ces deux hommes là ne peuvent pas vivre dans la même ville. Et pour cause : il s’agit d’une seule et même personne, Maurice n’étant rien d’autre qu’Armand qui se lâche la bride, osant ce qu’il n’ose pas d’habitude, jouant le rôle du mauvais garçon, de l’intrigant, du type dangereux, du mec à la cool, du bandit old-school à la classe un peu démodée, là où Armand est un honnête commerçant à la réputation presque un peu terne.

 

Maurice entre en lice donc, et va vite comprendre à qui il se frotte : les petites frappes ce sont Jérôme Fringant, magouilleur de bas étage et Xavier Mazini, aussi cogneur que crétin, deux jeunes pas trop futés qu’il sent à sa portée. Mais ils obéissent aux ordres de Zapetti, un parvenu-salopard au cuir déjà plus tanné, une ordure qui se la pète autant qu’il peut être vicelard. Là encore Maurice pense pouvoir faire le poids, avec un peu de chance. Mais derrière Zapetti il y a les russes, et là ça ne rigole plus, c’est du lourd, du très lourd. Maurice s’en rend compte un peu tard, et il n’a plus d’autre choix que de mener son coup de poker jusqu’au bout. En priant pour s’en sortir entier…

 

Voilà pour l’intrigue. On retrouve avec bonheur la verve de Chalumeau appliquée à mettre en scène des losers qui se la racontent, des mecs qui vous hypnotisent par la simple force de leur bêtise, des branques qui le sont tellement qu’ils en deviennent attachants, des magouilleurs dont le culot n'a d'égal que la cupidité, des mauvais garçons aussi méchants que ridicules, bref des pauvres types mais dans toute leur splendeur. C’est simple, pour moi, Chalumeau érige la connerie en œuvre d’art. Et j’aime, parce que ça me fait vraiment rire. Faut dire que le gars est doué : il nous décrit des types quand même assez invraisemblables mais avec une telle crédibilité que moi je mords à l’hameçon à chaque fois.

 

Et puis Chalumeau manie le verbe avec malice, humour et talent. S’il fallait me lancer dans des comparaisons hasardeuses, je dirais que ça ressemble à du bon Tarantino sur papier. Dans les situations, dans les personnages et dans les dialogues.

D’ailleurs pour illustrer ça, je ne résiste pas à l’envie de reproduire ici un extrait du bouquin. C’est une discussion entre les deux petites frappes, Fringant et Mazini, à la solde du promoteur véreux Zapetti. Juste pour vous donner une idée de ce que Chalumeau a sous le stylo.

 

« Le soir, Mazini mettait la capote de sa 307. Fringant, lui, l’aurait laissée baissée, trouvant qu’il faisait pas froid, mais c’était pas sa tire. Là, presque une heure du matin, ils roulaient en silence, jusqu’à ce que Xavier Mazini dise : "Hey, t’as vu Britney."

Jérôme Fringant laissant venir.

"Tu sais, Britney, elle vient d’avoir un petit Sean Preston avec Kevin."

Jérôme Fringant traduisant, pour lui-même : "Britney… Sean Preston… Kevin… Britney Spears et son mari viennent d’avoir un petit garçon. Et ?"

"Britney, elle peut pas allaiter Sean Preston à cause des implants qu’elle s’est fait poser à dix-sept ans pour avoir ses gros nibes. Elle est désespérée, du coup. Allaiter son enfant, elle en rêvait depuis toujours."

"En même temps, elle serait restée avec zéro matos, Kevin aurait moins eu envie de lui coller Sean Preston dans la boîte à bijoux. Donc moi je dis l’un dans l’autre…"

Mazini considéra l’argument deux secondes avant de reprendre : "En fait, l’implant doit faire obstacle entre le téton et les canaux galactophores. Du coup, pendant les montées de lait, le lait peut pas monter, justement."

"Les canaux quoi ?"

"Galactophores. C’est là que passe le lait fabriqué par la prolactine et l’ocytocine."

"Parce que t’as pris option sage-femme au bac, toi ? Je savais pas."

"Non mais bon, tout ce qui a rapport aux seins des femmes, je m’intéresse."

"Ça t’as raison, mon pote. Il y a pas que le cul, dans la vie." »

 

Voilà, tout est de ce tonneau-là, avec des petites fulgurances drôlatiques qui m’ont fait me bidonner du début à la fin du bouquin quasiment. Enfin moi je suis client de ce genre d’humour et de ce style d’écriture.

 

Dans le genre, le personnage de Zapetti est une pointure aussi, et c'est certainement celui avec qui Laurent Chalumeau se fait le plus plaisir. Blindé de thunes, fier comme un paon, il aime en jeter et se faire mousser, sa poule de luxe faisant partie de la panoplie du connard plein aux as au même titre que la villa somptueuse, le train de vie de ministre et la bagnole qui en impose. Zapetti est du genre à se regarder dans un miroir, se trouver exceptionnel et le faire remarquer à ceux qui ne l'auraient pas félicité d'être aussi merveilleux. Il est le roi du monde, et ne s'embarrasse pas des lois ou autres petites tracasseries d'ordre moral ou éthique. Un personnage plus que propice pour développer des situations et des dialogues tordants, ce dont l'auteur ne se prive pas un instant, et c'est tant mieux.

Pour la petite histoire le bouquin a déjà été adapté au cinéma, avec un joli petit casting en tête duquel on retrouve François Berléand en Armand / Maurice, Thierry Lhermitte en Zapetti et Fred Testot en Mazini. Je l'ai vu en dvd dès que j'ai fini ma lecture et si on y trouve de bons acteurs et un humour plutôt pas trop mal rendu, on est loin, très loin du plaisir qu'on prend à lire le roman. Mon avis sur le film reste assez mitigé.

 

Quant au livre, moi des comme ça j'en redemande. Vous voulez vous détendre et vous marrer un bon coup ? Lisez Le Siffleur !

(NB : le roman original paru en 2006 chez Grasset est titré Maurice le Siffleur, la réédition de 2009 au Points est titrée Le Siffleur)

 

Cet article a été initialement publiée sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

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