LIGNE DE TEMPS

Tête penchée contre la vitre, le paysage défilait sur son visage. Dans ce train, Elle avait un discret et joli sourire en se disant qu'elle devait ressembler à un personnage de film subventionné. 

Assis en face, Il la regardait sans la regarder. Sans se faire face réellement, ils se parlaient intérieurement. Leurs jambes se mêlaient. Ils sentaient monter quelque chose en eux. Comme synchronisés, leur tête, leur poitrine, leur corps tout entier, bougeaient à l'unisson des légères secousses de la rame. Leur complicité était simple, totale.

Bien sûr qu'Il devait se demander ce à quoi elle pensait. Qui elle était et quel était son nom. Si tu ne me demandes pas, tu ne le sauras jamais chéri, se dit-elle in petto. 

Le temps du trajet, ils étaient ensemble pour toujours. Mais après, où seront nous ? Des inconnus filant vers leur vie, voilà ce qu'on sera. Quelle trace leur resterait-il de ce moment suspendu ? 

Chacun savait qu'à la seconde où ils poseraient le pied sur le quai, ils ne se reverraient jamais plus. Elle avait prévu de rester trois jours à La Rochelle puis remonter sur Quiberon. Il venait rendre visite à sa tante et répartirait le lendemain. 

Soudain, dans un grand fracas, un bruit infernal déchire le silence. En une fraction de seconde, ils se précipitent dans les bras l'un de l'autre, à l'instant même où des flammes jaillissent de toutes parts.

Le lendemain, après une nuit de cauchemar, les pompiers parviennent à éteindre le feu qui a tout ravagé. Au milieu de ce paysage lunaire, composé de cendres brunes encore fumantes et d'enchevêtrements métalliques, l'inspecteur marche muni d'une lampe, de son masque et de couvre-chaussures. 

Il s'arrête un instant, saisi à la vue de ce couple carbonisé, lui évoquant les pétrifiés de Pompéi. Mais qui étaient-ils ces amoureux si enlacés pour l'éternité ?

F. R.