L'unité dans la diversitéChapitre 3
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L'unité dans la diversitéChapitre 3
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Belgique, avril 2022
Le sésame
— C’est aujourd’hui que nous saurons si nous atteignons le Nsypu Kyrolry, taquina Nargie.
— Comme je te l’ai déjà expliqué, c’est la quête de toute une vie, répondit Luvii. Et avec l’inquiétude qui grandit en moi au fur et à mesure que l’heure fatidique approche, je peux t’assurer que je suis loin d’y parvenir.
— Je te remercie de n’avoir pas souligné que, dans mon cas, tout espoir était perdu ! N’est-il pas plus épanouissant de laisser vivre ses émotions ?
— Je ne te contrarierais pas sur ce point pour autant qu’il s’agisse du côté positif.
— Le recto a toujours un verso. Tu ne peux avoir l’un sans l’autre. Imagine que tu ne te sois pas angoissée avant la proclamation des résultats, ta joie en sera tronquée lorsque nous recevrons notre certificat ouvrant l’accès à l’Académie.
— Tu sembles bien certaine de ton fait, sourit Luvii. J’envie ton assurance.
— Pense à l’étonnement de l’examinateur principal lorsque nous avons défendu notre projet. Nul doute que nous avons fait mouche.
Luvii revoyait ce jour de la semaine précédente. Si Nargie affichait une grande sérénité, elle éprouvait, quant à elle, des difficultés à masquer une sorte de gêne, sentiment qui l’assaillait de nouveau. Elle estimait ne pas mériter la probable réussite qu’amènerait l’objet minuscule présenté alors. Tout revenait à Nargie, de l’idée de base à la réalisation finale. Tout au plus, Luvii pouvait-elle revendiquer la modification appliquée au degré d’ionisation du plasma.
— Voilà un cylindre des plus ordinaires, commenta l’homme dont l’âge ne pouvait être déterminé. Mesdemoiselles, pourriez-vous nous dire son utilité ?
Nargie appréciait l’effet de surprise voulu par elle. Comme elle le prévoyait, les trois experts devant lesquels elles se présentaient attendaient dédaigneusement une explication à ce qui semblait une mauvaise plaisanterie.
— Vous avez devant vous un nanoaccélérateur à particules, commença la jeune femme.
— Amplifié grâce à l’onde plasmique générée par un laser, compléta Luvii.
— Elle-même contrainte de suivre un parcours bien défini grâce aux tubes en graphène recevant le plasma, décuplant ainsi ses capacités, termina Nargie. Nous l’avons baptisé NAP pour plus de facilité dans nos échanges.
L’idée de cette présentation venait de Nargie et avait été savamment peaufinée par ce qu’il convenait d’appeler maintenant les deux amies. Après le premier étonnement face à la petitesse et la banalité apparentes de l’objet arrivait l’incrédulité quant à son haut potentiel scientifique. Elles ne s’étaient pas trompées, leur attention était captée. Continuant la présentation à tour de rôle, elles expliquaient que ce minuscule cylindre offrait des poussées et des ralentissements des ions de manière circulaire, permettant de mouvoir un poids près de mille fois supérieur à lui. La récupération de l’onde plasmique générée par le rayon laser multipliait l’accélération.
— Jusque-là, rien de bien neuf, murmurait l’examinateur principal. Si ce n’est, bien évidemment, la petitesse de l’ensemble qui, je dois le reconnaître, relève de la prouesse.
— Et de l’ingéniosité de ma collègue, souligna Luvii.
Nargie intervenait alors pour décrire l’innovation proprement dite. Pour ce faire, elle déployait un écran holographique affichant un ensemble de diagrammes et autres plans.
— Comme vous le constatez ici, le rayon laser est projeté, par intermittence, dans un tube en graphène de la taille d’un cheveu. Le champ de plasma généré se trouve compressé dans cet endroit restreint, augmentant sa puissance et, par voie de conséquence, la vélocité des ions. La discontinuité dans l’accélération et le ralentissement des ions élève considérablement la propulsion et la vitesse de déplacement.
— Votre théorie est bien étayée, remarqua un des trois experts. Cependant, qu’en est-il en pratique ?
— Le véhicule mû par un tel moteur pourra atteindre la vitesse de la lumière en moins d’une microseconde.
Devant la moue dubitative des examinateurs, Nargie se tourna, comme convenu, vers Luvii, puis reprit :
— Ma collègue va vous en faire la démonstration.
Luvii prit l’objet et commenta ses actions :
— Notre NAP pèse environ vingt grammes et peut donc mouvoir un objet d’environ vingt kilos. Je l’accroche à un haltère de ce poids que nous avons emprunté à la salle de sport. La programmation enregistrée va propulser cet ustensile de musculation de l’autre côté de la pièce, en vous survolant tous trois, et le tout en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Si vous êtes prêts, je démarre la démonstration.
Sur un signe affirmatif des experts, la jeune femme appuya sur une touche d’une petite télécommande. Sans que l’œil ne puisse percevoir le mouvement, l’objet se trouvait de l’autre côté de la pièce.
— Voici maintenant le mouvement au ralenti, compléta Nargie, en projetant une vidéo de ce qui venait de se dérouler. Vous pouvez constater que l’haltère décolle sans difficulté, vous survole tous et se pose délicatement près du mur opposé à son départ.
Le murmure accueillant le déplacement s’amplifia encore devant la démonstration observable.
— Pourriez-vous effectuer le trajet en sens inverse ? sollicita l’examinateur principal.
Celui-ci effectué tout aussi aisément, chacun émit un souhait précis, jusqu’au moment où l’objet, à la demande, se posait sur la table des experts. Ils vérifièrent ainsi qu’il n’y avait pas de surchauffe du moteur ni de tricherie quant au poids de l’haltère. Finalement, après quelques questions complémentaires, les deux jeunes femmes entendaient que l’examen était terminé et qu’elles recevraient les résultats à la date prévue à cet effet. Au sortir de la salle, il était bien difficile de dire laquelle des deux amies était le plus excitée par ce qu’elles venaient de vivre.
Le vrombissement de leur terminal portatif les tira toutes deux de leurs souvenirs.
— Il doit s’agir de la proclamation ! murmura Nargie.
— Oui, le message provient de l’Académie, vérifia Luvii. J’ai peur d’ouvrir.
— Moi aussi, je dois bien l’avouer.
— De toute manière, nous ne pourrons rien changer à la décision.
Sans attendre une remarque de son binôme, Luvii projeta la lettre reçue. Sa lecture les remplit de joie, l’examen était réussi avec la plus haute distinction. Le courrier fournissait son affectation, centrée sur les études qu’elle souhaitait entreprendre et qu’elle avait renseignées à son inscription. Plusieurs documents étaient joints, mais elle désirait savoir ce qu’il en était de son amie. Elle l’invita donc à déployer la réponse la concernant. Toutes deux y lirent presque le même texte. Réussite, plus haute distinction, affectation !
— Je te disais que nous décrocherions ce précieux sésame ! rit Nargie.
— Quel bonheur ! se réjouit Luvii ! Seule ombre au tableau, nos chemins vont se séparer.
— Nous resterons sur le même campus. Rien ne nous empêchera de continuer à nous rencontrer.
— Il est grand et selon notre affectation, nous serons peut-être aux pôles opposés. Pour ma part, je serai dans le département d’astrophysique et ingénierie spatiale.
— Alors le problème est résolu ! Sauf si tu en as assez de me supporter, mais nous avons reçu la même option de carrière.
— J’en suis heureuse ! Tu m’as tellement appris.
— Nous avons travaillé ensemble et sans ton esprit de déduction ce projet n’aurait pas connu le succès qu’il a.
— Bien plus que cela, tu m’as prouvé que les préjugés et les barrières sociales sont des handicaps à bannir.
Les deux amies tombèrent dans les bras l’une de l’autre, chacune ayant reçu de l’autre une ouverture d’esprit qu’elles ne soupçonnaient pas.