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Itinéraire

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Publicado el 23, jun, 2021 Actualizado 23, jun, 2021 Cultura
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Itinéraire

    J'ai retrouvé cette photo, hier. Cette photo d'hier. D'un hier d'il y a plus de 20 ans. Nous étions en train de déménager les combles. Mon mari pensait qu'il serait intéressant de les aménager en bureau. Moi, je n'en pensais rien. Mais bon. Nous avons donc commencé à ranger., trier. Jeter. J'aidais sans y mettre trop de coeur. Seulement parce qu'il le fallait bien. Mon mari allait et venait au pas du conquistador, les bras chargés de cartons. Il sifflotait. Je soupirais.

    Et puis il y a eu cette malle verte. En métal. Cabossée. Rayée.

    Elle était là. Dans un coin. Ensevelie sous des cartons et des vieilles couvertures. Je l'avais oubliée, cette malle. Dans ma mémoire, comme dans ces combles, je l'avais poussée dans un coin, cachée, puis oubliée. Je restais là un moment, plantée au milieu de la pièce, ne sachant que faire. Ce que je devais faire. Ce que j'avais envie de faire. Elle, derrière ses bosses et ses étiquettes, entre ses rayures et les éclats de peinture, semblait m'observer d'un air narquois. 

    "Alors quoi?", avait-elle l'air de dire. "Que vas-tu faire maintenant?"

    Des frissons sur le visage, j'ai ouvert la bouche:

    "..."

    Je l'ai refernée.

    "La malle?", a demandé mon mari en entrant dans la pièce. 

    Je l'ai regardé, un peu perdue.

    "La malle?", a t-il répété. "On en fait quoi? Tu veux la garder? Encore?"

    Il avait l'air agacé. Quelque chose comme ça. En tout cas, moi je l'étais. Je ne sais pas pourquoi mais brusquement je l'étais. Je lui ai jeté les couvertures poussiéreuses que je tenais encore contre moi, et je me suis agenouillée devant la malle.

    J'ai mis du temps avant de l'ouvrir, les doigts posés sur les deux petits verrous. Lorsqu'ils ont finalement sauté dans un bruit sec, j'ai sursauté. Ce son familier. .. Ce son qui m'a redonné des frissons. J'ai soulevé le couvercle. Lentement. Sans respirer.

     Elle était vide.

    Enfin non. Elle ne l'était pas. Pas vraiment en tout cas.

    A la place de mes appareils, des pellicules, des boîtiers pour les objectifs, elle était là. Cette photo. Posée au fond. Bien au milieu. Comme un cadeau. Ou un petit mot qu'on laisse à l'attention de quelqu'un. Un Nota Bene en 16 par 24 sur papier brillant. Et qui faisait un silence épouvantable.

    J'avais oublié. J'avais oublié cet instant. Ainsi que tous ceux qui m'avaient conduite à lui. J'ai fermé les yeux. Les ai rouverts pour contempler le ciel cotonneux et cette trainée d'hommes parmi les décombres. 

    "Miséricorde.", ai-je murmuré.

    Le son de ma voix m'a ramenée à la réalité. J'ai saisi la photo.

    "Miséricorde.", ai-je répété.

    C'est ce qu'avait dit Ali, mon guide, lorsque nous étions arrivés sur le site. J'avais ponctué sa prière d'un déclic d'appareil photo, puis l'avais machinalement rangé dans son étui, ignorant que ce serait la dernière fois que je m'en servirais.

    Le petit Ali et ses rides précoces.

    Dans un geste-réflexe, j'ai posé ma main sur mon front. Soupiré. Ca revenait maintenant. Par vagues. Tantôt fines, tantôt monstrueuses et étouffantes.

    Ali.

    Ali. Ali. Ali.

    La ville. L'odeur de fumée et de désolation qui rend sourd à toutes autres choses. 

    Les montagnes à l'horizon, celles de gravats sans fleurs sous nos pieds. Et ce silence provocateur qui emplit tout: l'air, les gens. Ce silence qui semble dire:

    "Et maintenant?"

    "Miséricorde.", ai-je dit encore une fois.

    J'ai passé la nuit devant l'ordinateur. J'ai cherché des images récentes de la ville. J'ai cherché Ali.

    Rien. Comme si cet endroit avait cessé d'exister.

    Alors j'ai pris le train. J'y suis encore.

    Ensuite, je prendrais l'avion. Puis la voiture, peut-être. Sans nul doute que je marcherai. Alors je verrai: ce qui est resté. Ceux qui sont restés. Ce qui n'est plus et ce qui est nouveau. 

    Peut-être verrai-je mon reflet dans la poussière du chemin

    Peut-être vais-je, sans le décider vraiment, marcher dans mes propres pas.

    La photo est dans la poche de poitrine de mon blouson. Mon appareil, un nouveau, dans on étui sur le siège d'à-côté.

    La malle est restée à la maison. Mon mari aussi.

    "Où vas-tu,", m'a t-il demandé.

    J'ai répondu:

    "Voir si les fleurs ont repoussé."

    Il n'a pas compris.

    Je n'aurais pas su mieux lui expliquer.

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