Daudet évoque les fées
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Daudet évoque les fées
LA MORT DES FÉES
Alphonse Daudet – 1870
« Quel est votre nom ? » dit le juge.
- Mélusine
- Votre âge ?
- Je ne sais pas.
- Votre profession ?
- Je suis fée… je suis la dernière, il ne reste plus que moi, elles sont toutes mortes. »
La salle partit d’un grand éclat de rire. Mais cela ne la troubla point et de sa petite voix claire et chevrotante qui montait haut dans la salle et planait comme une voix de rêve, la vieille reprit :
« En vérité c’est grand dommage, la vie était bien plus belle quand elle avait encore ses fées Nous étions la poésie du pays, sa foi, sa candeur, sa jeunesse. Tous les endroits que nous hantions, les fonds de parcs embroussaillés, les pierres des fontaines, les tourelles des vieux châteaux, les brumes d’étangs, les grandes landes marécageuses recevaient de notre présence je ne sais quoi de magique et d’agrandi. A la clarté fantastique des légendes on nous voyait passer un peu partout, traînant nos jupes dans un rayon de lune, ou courant sur les prés à la pointe des herbes. Les paysans nous aimaient, nous vénéraient. Dans les imaginations naïves, nos fronts couronnés de perles, nos baguettes, nos quenouilles enchantées mettaient un peu de crainte à l’adoration. Aussi nos sources restaient toujours claires…
Il y avait des petits enfants qui nous connaissaient par nos noms, nous aimaient, nous craignaient un peu. Mais au lieu des beaux livres tout en or et en images où ils apprenaient notre histoire, on leur a mis dans les mains la science à la portée des enfants, de gros bouquins dont l’ennui monte comme une poussière grise et efface dans les petits yeux nos palais enchantés et nos miroirs magiques.
On a envoyé des savants pour analyser nos belles sources miraculeuses et dire au juste ce qu’il entrait de fer et de soufre dedans.
On s’est moqué de nous sur les théâtres, nos enchantements sont devenus des trucs, nos miracles des gaudrioles. On ne peut plus penser à nous sans rire !
On a creusé des tunnels, comblé les étangs et fait tant de coupes d’arbres que bientôt nous n’avons plus su où nous mettre. Peu à peu les paysans n’ont plus cru à nous. Le soir quand nous frappions à leurs volets, ils disaient « c’est le vent ! »… et ils se rendormaient.
Dès lors ça a été fini pour nous. Comme nous vivions de la croyance populaire, en la perdant, nous avons tout perdu. La vertu de nos baguettes s’est évanouie et de puissantes fées que nous étions nous nous sommes trouvées de vieilles femmes ridées, méchantes, comme des fées qu’on oublie…
Et ainsi nous sommes mortes, nous les éternelles. Je suis la dernière, il ne reste plus que moi…
- Décidément, cette vieille est folle, emmenez-là !! »
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Pourtant ce matin, dans la brume épaisse et laiteuse qui recouvrait tout, je n’aurais pas été étonnée qu’elles y soient toutes encore... les fées...
la gaillarde conteuse