Les traces
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Les traces
Les traces
PROLOGUE :
Tel un caméléon, Sir Boleun se fondit dans la masse médiatique et s’installa au plus proche de l’estrade, afin d’avoir un bel angle lorsqu’il exécuterait son projet salutaire. D’aucuns auraient plutôt accolé l’adjectif pervers au projet, mais ceux-là n’avaient qu’une vision partielle ou déformée de la stricte vérité. Sir Boleun, lui, savait.
L’histoire, la vraie, celle que personne ne voulait admettre malgré le parfum d’incertitude ambiant qui régnait depuis des années, c’est Boleun qui la détenait. Et elle allait être dévoilée ce soir, au grand dam de toute cette société si superficielle qui ne savait plus chercher, ni déceler le vrai du faux.
CHAPITRE 1 :
« Attrapez-le ! Ne le laissez pas filer ! »
Voici ce qu’entendit Patrice avant qu’on ne l’agrippe violemment par le bras et qu’on le menotte sans ménagement, et sans explication de quelque sorte. Tout cela, sous le regard stupéfait de Yolande qui se demandait ce que son fils avait bien pu faire pour que la police s’acharne ainsi sur lui.
On le poussa sans ménagement dans l’estafette, puis on entendit les sirènes stridentes retentirent dans toute la rue et au-delà.
Patrice tenta, en vain, de comprendre pourquoi il se retrouvait à l’arrière d’un véhicule de police, menotté, et épié par des fonctionnaires dont le regard avait tout l’air de dire : « sale enfoiré on t’a chopé ! »
Le soir vint. Patrice avait déjà passé quelques heures en garde à vue. Au commissariat, on n’attendait plus que ses aveux. Mais Patrice insistait. Il n’avait rien fait de mal. Il ne comprenait pas ce qu’on lui voulait.
CHAPITRE 2 :
Il entra sur scène sous une pluie d’applaudissements assourdissants. Quelle assurance malgré tous ses mensonges ! Une vie de faux semblants qui lui réussissait. Il s’approcha du pupitre, vérifia la hauteur et le bon fonctionnement des micros, puis commença son discours.
« Quel accueil ! Merci. Je suis et serai votre humble serviteur tant que ma plume me permettra d’obtenir votre confiance. » Il caressa le livre posé sur son pupitre, son livre, son mensonge.
« Voici le résultat de plusieurs années de recherche, de doutes, de rires et de larmes. Cette histoire, inspirée de faits réels qui ont bercé mes premières années de l’âge adulte, retrace le parcours d’un monstre ordinaire. Un homme que tout le monde côtoyait par ici, qui avait la confiance de tous. Mais un jour, le masque est tombé. Les journaux ont raconté leurs propres versions. Mon histoire est, elle, le résultat d’un travail de fourmi auprès de tous les acteurs de l’époque. Certains détails n’ont jamais été divulgués par la presse. Aujourd’hui, ils le sont grâce à ce livre ! » Puis il leva un exemplaire de son roman Les traces devant une foule déjà conquise avant même une première lecture de l’ouvrage.
Sir Boleun, imitant la foule, se leva et attendit le premier moment d’accalmie pour prendre la parole :
« Les traces, pourriez-vous nous en dire plus sur le titre choisi ? »
Christian Recquel mit ses mains en visière afin d’apercevoir celui qui lui posait cette question. Lorsque son regard entra en contact avec celui de Boleun, un voile de haine vint emplir les iris de l’écrivain Recquel.
CHAPITRE 3 :
Au lendemain de son arrestation, Patrice n’avait pas bonne mine. Il avait été affamé et assoiffé par les représentants de l’ordre, afin qu’il crache le morceau et qu’on en finisse. Il vivait un cauchemar éveillé. Comment s’en sortir ? Les traces étaient là, présentes, près du cadavre du jeune garçon. Tout le commissariat était formel : il s’agissait bien des empreintes de baskets de Patrice retrouvées tout autour du corps. On lui avait montré des photos de Simon. Quelle sauvagerie ! Quelle horreur ! Il n’était pas responsable de cela… Non, c’était impossible… Il essaya une dernière fois de lister son emploi du temps. Mais les flics s’en moquaient. Il était le suspect idéal. Pas besoin d’aller plus loin. Et puis, il y avait une famille en souffrance, qui cherchait à focaliser sa haine sur un responsable, afin de commencer son deuil. Il ne fallait pas traîner.
CHAPITRE 4 :
« Bien sûr mon cher ami ! Je suis parti du constat de notre serviteur à tous : Sherlock Holmes qui dit, et je cite : « J’ai enquêté sur beaucoup de crimes mais je n’en ai encore jamais vus qui eussent été commis par une créature ailée. Du moment que le criminel se déplace sur ces deux pieds, il y a toujours un foulage, une dentelure, une éraflure, une modification minime du sol que le chercheur scientifique peut détecter.» Tout le monde sait que ce sont ces fameuses traces qui ont permis d’identifier Patrice Lids, puis de le confronter à ses actes odieux. Le titre était donc tout trouvé. Je rappelle à mon auditoire que la scène de crime n’a pas été polluée. Nous avions tous été marqué par l’affaire vosgienne survenue quelques années plus tôt. Souvenez-vous : les indices autour du petit corps sans vie n’étaient plus exploitables, rien n’avait été protégé par les gendarmes à cette époque. Dans l’affaire qui nous préoccupe, c’est tout le contraire. Mais je ne vais pas dévoiler l’ensemble de mon travail à la première question posée !
- Conan Doyle écrivait avec les découvertes de son temps. Les traces étaient effectivement une piste à ne pas négliger à la fin du XIXè siècle. Mais que dire des recherches ADN dans l’affaire Patrice Lids?
- Monsieur, vous savez très bien que les recherches ADN ne sont qu’à leur balbutiements en France. L’argent du contribuable doit aller aux affaires où le doute est réel.
- Le doute est réel. En voici la preuve. »
Dans un geste qui ne se voulait pas théâtral, Sir Boleun sortit de son veston une enveloppe kraft déjà usée.
« Vous n’êtes pas le seul, Christian, à avoir des contacts chez les forces de l’ordre, reprit Boleun d’une voix forte et claire. Voici des résultats qui risquent bien de souffler un vent de panique sur la sortie de votre livre. »
Boleun monta rapidement sur l’estrade, posa les documents sur le pupitre de Christian Recquel, puis regarda l’assistance qui restait bouche bée.
« J’ai entre les mains la preuve irréfutable que feu Patrice Lids est innocent, et qu’il a été pris dans les mailles d’un filet trop resserré pour s’en sortir à l’époque. »
Christian Recquel resta interdit. Il n’avait jamais été question de recherches ADN dans l’affaire Lids. Il en aurait été informé quasi instantanément puisqu’il connaissait personnellement le juge d’instruction ainsi que le sergent qui s’était occupé des premières constatations sur les lieux où avait été découvert le corps de Simon. Que signifiait tout ceci ?
CHAPITRE 5 :
« C’est bien moi qui ai tué le jeune Simon. »
A bout de force, Patrice avait avoué. Lorsque Yolande l’apprit, elle n’y crut pas. Ce n’était pas possible, pas envisageable.
Patrice n’avait pas voulu d’avocat, il savait qu’il allait passer le reste de ses jours enfermé, les preuves étaient accablantes à ce qu’on lui avait rabâché au commissariat. Le procès express terminé, Patrice avait été envoyé au centre pénitentiaire qui accueillait des détenus classés dangereux. Ce centre se trouvait loin de chez lui. Peu de visite de Yolande qui n’avait pas le permis, pas de soutien, des coups quotidiens reçus par les détenus, tout cela avait eu raison de Patrice qui s’était pendu dans sa cellule moins d’un an après le meurtre de Simon.
Yolande fut dévastée par ce drame. Elle culpabilisait, et dans le même temps, elle était très en colère contre le système au sens large : la présomption d’innocence n’avait jamais pointé le bout de son nez depuis l’arrestation de son fils, et ce jusqu’à l’issue fatale ayant entraîné Patrice à se suicider en prison. Elle était dégoûtée et révoltée. Elle employa toutes ses économies et tout son temps libre à tenter de rassembler des preuves à décharge pour innocenter Patrice. Elle se maudit de n’avoir pas eu ce cran lors des faits. Elle sentait bien que son fils n’était pas coupable. Et que son inculpation ne tenait qu’à cette histoire de traces retrouvées près du petit Simon Deloy. Yolande décida des se rapprocher du tumultueux Sir Boleun, même si les tarifs pratiqués par ce détective privé semblaient plus qu’exorbitants.
CHAPITRE 6 :
« Voici les résultats des recherches ADN menés par des scientifiques anglais qui ne sont autres que les disciples du généticien Sir Alec Jeffreys. »
La foule resta interdite. Dans le regard des spectateurs, le détective Boleun sentit une incompréhension. Il se vit dans l’obligation de faire un peu de pédagogie pour ne pas perdre l’ensemble des personnes présentes.
« Alec Jeffreys est un britannique qui a découvert dans les années quatre-vingts l’empreinte génétique. Ce sont ses recherches qui vont permettre de résoudre la célèbre affaire Colin Pitchfork en Angleterre. Depuis, les travaux d’Alec Jeffreys s’améliorent et évoluent afin d’aider les enquêteurs de la criminelle. La demande est croissante et même exponentielle car l’ADN est unique pour chaque individu. »
La stupeur se lisait sur les visages des spectateurs.
« J’ai demandé aux scientifiques qui poursuivent les recherches du professeur Jeffreys de travailler sur l’affaire Patrice Lids. Les conclusions sont on ne peut plus claires : Patrice Lids ne s’est jamais trouvé en présence de Simon le jour de son assassinat. »
Tandis que la foule, dans un même élan, émit un « Oh ! » d’étonnement, Christian Recquel s’éloignait du centre de la scène. Il cherchait à s’éclipser. Il fut maintenu sous les bras par deux hommes en uniforme qui surgirent de nulle part.
« Christian, pourquoi voulez-vous nous quitter avant la fin de l’histoire ? Sauriez-vous quelque chose que vous auriez omis d’écrire à vos fervents lecteurs ? »
L’écrivain était blême. Il connaissait la vérité. C’est en étouffant la vérité et en déformant l’histoire qu’il avait connu le succès. D’abord en tant que premier journaliste arrivé sur la scène de crime du jeune Simon, et ensuite en tant qu’écrivain de polars.
Sir Boleun se décida enfin à lâcher les chiens :
« C’est l’ADN de monsieur Recquel que l’on retrouve sur les preuves mises sous scellé dans l’affaire Patrice Lids ! »
CHAPITRE 7 :
Le journal local titrait : « Rebondissement effroyable dans l’affaire Patrice Lids : les recherches de Sir Boleun prouvent sans détour l’innocence du jeune homme »
Les journaux nationaux, quant à eux, assassinaient le vrai coupable :
« L’écrivain tueur démasqué par le privé Boleun », « Recquel : les empreintes du mal », ou encore « Les traces ADN sont formelles : Recquel seul coupable dans le meurtre du jeune Simon Deloy. »
Son fils réhabilité. Il y aurait des excuses nationales, un rendez-vous avec le garde des Sceaux dans l’après-midi, et des dizaines de journalistes fourmillaient déjà autour de sa maison.
Yolande s’en voudra jusqu’à son dernier souffle de sa passivité lors de l’arrestation de son fils et dans tout ce qui suivit. Mais Sir Boleun avait réussi à mettre en lumière la vérité, à innocenter Patrice. C’est donc tout naturellement qu’elle rejoignit son fils quelques mois après cette affaire résolue.