Chapitre 1
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Chapitre 1
Autopsie de Mr. Milan Torcol
ROBIN HOUILLON
Parfois, j'aimerais être sourd. Pour ne plus entendre les sottises du monde, pour ne plus entendre ma vie. Après ces interrogations, je réfléchis puis je me dis « la vie mérite d’être entendue » je me perds moi-même dans l’insalubrité de mes propos, c’est vrai, la nature nous a pourvu de paupière pour ne plus voir ne serait-ce que quelques instants. Alors pourquoi pas des muqueuses que l’on pourrait contrôler pour ne plus entendre le monde, j’aimerais appeler mon invention les « clarielles » le préfixe -cla pour le mot clapet puis le suffixe -rielles car cela me fait penser au mot oreilles, tout simplement. Le monde m’en a fait beaucoup découvrir, le son de la mort, le son de la vie et surtout le son ou devrais-je dire le crissement des pneus sur le macadam chaud d’été, ce son-là m’insupportait, c'est un son à se taper la tête contre les murs.
J’aimerais donc vous parler des sons qui m’insupportent, d’abord le son des professeurs qui parlent pour ne rien dire, j’aime l’école j’ai toujours aimé apprendre et si je n’avais plus d’ouïe se serait plus compliqué pour moi d’apprendre, mais parfois oui, je l’admets par moment, j’aimerais ne pas entendre les inepties, car les mots qu’ils disent glissent sur mon tympan et le font vibrer et arrivent je ne sais point comment à mon cerveau pour être analysés et décortiqués. Mais le problème avec cette méthode, c'est que l’on entend toutes les paroles, qu’elles soient gentilles ou pestes.
Finalement mes professeurs n’avaient pas si tort, je suis incapable d’être bon en grammaire, c’est ce genre de paroles qui me fait détester mon ouïe.
Les sons sont aussi les garants de la nostalgie, une chanson que l’on réécoute pour ressentir une sensation particulière, une chanson qui fait vibrer notre âme, nous secoue, nous bouleverse. La musique peut être un ange ou une torture, tout dépend de comment on l’utilise, à bon escient ou pas. Les sons nous transportent autant qu’ils nous tuent, c'est pourquoi j’ai décidé de ne plus vivre avec eux. J'ai décidé de les enlever de ma vie, moi Milan Torcol, je décide de ne plus entendre les inepties du monde, la sanction est irrévocable, je n’entendrai dorénavant plus rien de ma vie.
Les premiers temps sans ouïe furent pour le moins paradoxalement reposants. En ces beaux jours de juillet, au cœur de l’été, mon corps couché sur le sol de mon jardin avec ma fontaine dont je peux percevoir l’eau qui sort des dragons en pierre, la sensation du soleil sur ma peau. À partir de ce jour, je ne peux vivre qu’avec mes sens restants, c'est-à-dire : la vue, l’odorat, le goût, le toucher. Ce jour de juillet se déroule sans encombre, je suis heureux de ne plus entendre, je suis ravi de m’apercevoir que mes autres sens commencent déjà à s’affiner.
Les premiers jours de ce silence volontaire étaient une révélation. Sans le tumulte incessant du monde, tout semblait plus net, plus vrai. Chaque sensation était rare et précieuse, comme si elle avait attendu ce moment pour exister pleinement. L'odeur de la terre chaude après l'orage, la lumière du soleil filtrant à travers les feuilles, le contact apaisant de l'herbe sous mes doigts. Dans ce cocon de silence, j'étais enfin libre, enfin maître de ma réalité.
Mais peu à peu, cette paix se mue en étrangeté, puis en angoisse diffuse. Les jours passaient, et mes autres sens, que j'avais cru en éveil, me paraissaient à leurs tours envahissants, trop vifs, presque agressifs. L'odeur des fleurs que j'aimais autrefois me paraissait insupportablement sucrée, le toucher d'un tissu familier irritait ma peau. Je me dis que l'ouïe n'avait été qu'une première étape. Si je voulais atteindre une pureté totale, il fallait aller plus loin. C'est alors qu'un matin, dans un élan que je ne saurais qualifier, je pris une décision. Je n'avais plus besoin de la vue. À quoi bon observer un monde qui m'apparaissait désormais si bruyant, même sans son ? Les couleurs criaient, les formes me fatiguaient. Je bandais mes yeux avec soin, décidant de m'enfermer dans cette obscurité choisie, comme un peintre éteint ses lumières pour se retirer dans son atelier intérieur.
Au début, ce fut une révélation encore plus profonde. Sans images, les autres sens semblaient s'harmoniser, comme une symphonie jouée à la perfection. Mais cette harmonie ne dura pas. Les parfums des fleurs me submergeaient, me rendaient presque nauséeux. La texture du pain que je mâchais paraissait grotesque. Mes pensées tournaient en boucle, se heurtant à l'intérieur d'un esprit privé de ses échappatoires habituelles. Une nuit, incapable de trouver le sommeil, je pris une nouvelle résolution : me détacher de l'odorat. Je me bouchai les narines avec un mélange de cire et de coton, créant une barrière contre cette perception. Et à nouveau, je découvrit un calme fugace, avant que la folie ne reprenne. Chaque sens que je supprimais paraissait donner davantage de poids aux autres, les amplifiant jusqu'à la démesure.
Le toucher était devenu une tyrannie. Chaque surface me paraissait hostile, chaque courant d'air une agression. Alors, je pris la décision qui me semblait inévitable : couper le toucher. J'enfilai des gants, des vêtements épais, et tentai de réduire au maximum le contact entre mon corps et le monde extérieur. Je vivais alors dans une sorte de néant sensoriel. Loin de la paix que j'avais espérée, ce vide me terrifiait. Mes pensées s'emballaient, déferlaient comme une tempête dans ce silence absolu. Le moindre souvenir devenait insupportable, le moindre écho du passé un hurlement. Puis, un jour, je me réveillai et pris conscience de ce que j'avais fait. Je m'étais réduit à une coquille vide. Mon esprit, privé de toute ancre au réel, n'était plus qu'un théâtre d'ombres. Je ne pouvais plus percevoir le monde, et pourtant je ne pouvais m'en échapper.