Sur la planète Yris, un lendemain de fête…

C’est le soleil qui les réveilla, allongés sur la plage ils s’étaient endormis d’épuisement. La mer glissait doucement par mouvement régulier sur le sable humide. Le soleil le séchait instantanément et la mer revenait l’humidifier. Leur duel était sans fin pensait Lily.

La nuit à danser avait endolori leurs pieds, recouvert de couleurs, celles-ci avaient perdues de leur superbe effet. Ce matin après un bain dans la mer, leurs corps et leurs traits allaient de nouveau se découvrir avec toutes leurs singularités. C’était tellement plus simple d’être semblable.

Robin avait un sérieux mal de tête, la lumière l’éblouissait, il se déshabilla et plongea dans la mer en caleçon. Il voulait rentrer chez lui. Lily l’avait observé à la dérobé, tout humide avec ses boucles brunes, elle le trouvait charmant, elle faisait encore semblant de dormir en le regardant quitter la plage comme si son sort ne l’intéressait pas.

Les plus vaillants : Mila, Anderson et Nathan voulaient déjeuner sur la plage. Lily se recula à l’ombre pour dormir encore un peu sous les arbres.

Elle n’aurait pas dû respirer les fleurs, après avoir tant ri, elle avait envie de pleurer, elle se sentait envahie de tristesse et de nostalgie. Son corps, douloureux, était traversé de toutes les blessures de sa vie, comment guérirai-t-elle ? Peut-être qu’elle ne guérirait jamais ? Son ventre, son dos, sa tête. Elle n’était que souffrance, mais ce matin s’ajoutai la honte et la haine, ses deux horribles H, trois avec horrible. Elle détestait les mots en H, son cerveau voyait des H partout, ils se transformaient en véritable hache et elle avait envie de tout détruire. Elle voulait tout oublié, se noyer, mais pour le moment elle voulait surtout tout oublier.

Aloïs et Jasmine s’occupaient de Lily, un couple de parent adoptant à qui elle avait été confiée. Elle allait encore leur faire de la peine. Ils étaient charmants chacun vivait dans une petite case mitoyenne. « Chacun chez soi, faisait la paix des ménages » aimait à répéter Jasmine. Mais pour l’éducation de Lily ils étaient toujours d’accord, il fallait lui montrer l’exemple. Pourtant Lily savait parfaitement lire leurs contradictions dans les expressions de leurs corps, Lily était devenue une super détective d’émotions, elle était toujours en alerte ou plutôt sur le qui-vive. Seule sa bande de copain lui permettait de lâcher prise parfois.

Hier soir, elle avait abusé de la fleur blanche, elle regrettait maintenant de s’être laisser influencer par Nathan. Elle allait être mal toute la journée, elle devait dormir, elle échapperait au temps. Pourquoi se comportait-elle ainsi ?

                                                                                                                                                         *

Anderson et Nathan quittèrent la plage pour aller se rendormir chez eux au frais. Mila s’installa près de Lily pour ne pas la laisser seule. Elle avait trouvé un magazine qu’elle feuilleta, puis se rendormit près de Lily. C’est la mère de Mila qui les réveilla, Fanny était contrariée, sa fille ne lui avait pas donné de nouvelles, ses fréquentations ne la rassuraient pas. Où étais les parents de ces gosses qui sortaient tous les week-end ?

Fanny avait tout sacrifié pour son mariage et ses enfants, mais aujourd’hui qu’ils avaient grandi plus personne ne l’écoutait, pire quand elle parlait, ils s’opposaient, même Mila qui pourtant lui ressemblait tant. Elle se sentait déprimée. Après avoir attendu toute la journée à tourner dans sa maison, elle était venue à la plage. Pourquoi s’inquiéter pour ces gosses qui faisaient preuve de tant d’insouciance ? C’était son tempérament, elle avait confiance en eux mais pas toujours au comportement de ceux que sa fille pouvait rencontrer. Elle avait besoin d’avoir des nouvelles.

Mila s’excusa, elle avait bien conscience qu’elle avait dépassé les bornes en se rendormant sur la plage. Mila fit signe à Lily de la suivre. Elles secouèrent le sable de leurs corps avant de s’installer dans la voiture. Sa mère déposa Lily chez Aloïs et Jasmine puis ramena Mila à la maison. Le silence de Fanny était suffisamment éloquent pour que Mila ressente la contrariété de sa mère.

Fanny était nostalgique de son enfance, de son insouciance. Elle voulait redevenir une ado, être une mère de cinquante ans lui coutait. Son mari ne s’intéressait à elle qu’occasionnellement, ses enfants commençaient à quitter le nid, qu’allait-elle devenir ? La solitude qu’elle ressentait lui pesait. La lassitude aussi, elle n’avait jamais ressenti un tel manque d’énergie et d’espoir en l’avenir.

Malgré que Mila lui répéta plusieurs fois qu’elle ne voulait rien manger, elle lui prépara deux œufs au plat, ils restèrent dans l’assiette, Mila n’avait pas faim.

Fanny ne savait plus comment se rendre utile, elle ne servait plus à rien. Mila lui raconta sa soirée, la musique, les feux d’artifice, les artistes ambulants, les Food trucks… rien n’avait manqué.

Qu’avait fait Fanny ?

La question de Mila resta en suspend dans l’air.

Qui était Fanny ? Qu’aimait Fanny ? Comment existait-t-elle ? Où aimait-elle être ?

Quand Mila l’appela Fanny au lieu de maman, ce fut comme un coup de poignard. Son identité en était toute retournée. Elle qui n’avait plus été qu’une mère, ne reconnaissait plus son prénom.

Elle avait l'impression d’être morte, qu’elle n’existait plus. Comment en était-elle arrivé là ? Et où était son père ? Mila posait trop de questions.

Finalement, Fanny ou ce qu’elle se souvenait d’elle, marcha jusqu’à la terrasse.

- « ça va maman ? Tu as l’air bizarre ? » s’enquit Mila s’en attendre la réponse.

Fanny pris une grande bouffée d’oxygène et souffla.

De quoi avait-elle envie ?

Mourir ? Vivre ?

Il semblait qu’en posant cette simple question, un voile se levait au-dessus d’elle.

Quand avait-elle eu le sentiment d’arrêter d’exister autrement que pour s’occuper de son mari et de ses enfants ?

Elle devait fouiller loin dans sa mémoire, remonter bien avant la naissance de Mila, de Nora et de Paul. Finalement c’était depuis qu’elle vivait en couple, les concessions, les adaptations, les frustrations. Vivre à deux impliquait des sacrifices, pourquoi s’était-elle autant oubliée ?

Sa vie de femme ne semblait être que des contraintes permanentes imposées par la société. Comment pouvait-elle être assez forte pour s’y soustraire ? Elle qui n’avait fait qu’essayer de faire plaisir à tout le monde.

Elle allait devoir se retrouver, Fanny avait de nouveau rendez-vous avec elle-même !

Elle allait devoir s’occuper d’elle et trouver de quoi elle avait besoin.

                                                                                                                                                                 *

Mila s’allongea sur son lit, elle aurait aimé profiter plus de la fête.

Elle se sentait différente des autres, elle se trouvait trop sage, trop raisonnable, elle aurait aimé lâcher prise plus facilement. Respirer les fleurs blanches ? Non, elle ne pouvait si résoudre. Elle devait s’accepter comme elle était, quitte à se montrer ennuyeuse.

Mila aimait son groupe d’amis, pourtant elle se sentait limitée dans ses relations. Elle voulait rencontrer de nouvelles personnes. Elle était déjà inscrite sur des groupes de discussions, cela ne la satisfaisait pas. Elle allait proposer à Anderson de l’accompagner au nouveau parc d’activités, il y avait une exposition de programmé, peut-être verrait-elle de nouvelles têtes ? Peut-être aurait-elle de nouvelles conversations ? Elle trouvait difficile de grandir, d’avoir tant de mal à se sentir bien. Trop jeune et parfois déjà trop vieille, elle ne savait pas où était sa place.

En se déshabillant pour se laver, elle s’observa dans le miroir. Son corps avait pris les formes de celui d’une femme. Mila voyait bien que les hommes la regardaient avec un nouvel intérêt. Elle était gênée par leurs regards. Elle n’était pas habituée à son corps, elle ne le reconnaissait plus, se promener torse nu devenait indécent, c’était réservé à la plage et encore.

Elle avait perdu son équilibre parfait avec son corps qui avait grandit et sa poitrine qui l’embarrassait. Heureusement que les fêtes colorées existaient pour oublier ses désagréments, en dansant dans la nuit elle se sentait libérée du poids de sa féminité.

Avoir la possibilité de faire des enfants était un drôle de pouvoir ? Etait-ce un avantage ou un inconvénient ?

Pour le moment Mila pensait que c’était surtout une horrible contrainte, ses règles qui revenaient chaque mois, son humeur qui changeait, sa fatigue qui augmentait, en faisant semblant de ne pas écouter ce corps qui s’exprimait bien malgré elle.