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En Vipassana

En Vipassana

Published Feb 19, 2024 Updated Feb 19, 2024 Travel
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En Vipassana

novembre 2017

 

Pratiquer Vipassana, c’est s’engager dans un camp d'entraînement intense à la pratique méditative. Dix jours de méditation, enfermés dans une enceinte. Dix jours à méditer de quatre heures du matin jusqu’à neuf heures le soir. Dix jours de silence complet. Il est interdit de communiquer d'une quelconque manière, il est même recommandé d’éviter de se regarder quand on se croise ou lorsqu’on est à table. Interdiction de fumer, d’écouter de la musique, de lire ou même de prendre de quoi écrire. Le but est de rester concentré sur son travail, pendant et hors des sessions. Nous devons être entièrement dévoués à la pratique, et uniquement la pratique.

Des bénévoles s’occupent de toute l’intendance, sonnent la cloche pour annoncer le début et la fin des sessions, préparent les repas, pour lesquels on se faire servir sans échanger un mot, en acceptant ce qu’on nous donne, ni plus ni moins. Les pratiquants plus avancés ont un régime plus allégé que nous. Ils n’ont pas le droit à la collation de l’après-midi. Pour moi qui suis débutant, j’ai le droit à un fin matelas pour pouvoir dormir. Pour eux, c’est une simple planche de bois. Le ton est donné.

 

Nous enchaînons les méditations sous forme de séances d’une heure à une heure et demie, parfois deux heures. Entre les sessions, nous bénéficions de cinq minutes de pause pour aller aux toilettes, nous passer de l’eau sur le visage, nous dégourdir les jambes. Assis en tailleur ou en position de lotus, l’objectif d’une séance méditative est de se tenir droit, maintenir sa position en évitant autant que possible de bouger, et de pratiquer en boucle un scan corporel de la tête aux pieds.

Observer mentalement chaque partie de notre corps, poser notre attention sur chaque surface, de manière neutre, sans réagir. Observer la sensation qui s’en dégage, plaisante ou déplaisante, sans y attribuer une quelconque charge émotionnelle d’attraction ou d’aversion. Simplement observer. Ressentir de manière de plus en plus affinée que chaque zone du corps, aussi minime soit-elle, est en permanence en vie et donc en mouvement, animée par des sensations auxquelles nous ne prêtons habituellement pas attention. Inspecter chaque partie de notre corps, juste le temps de prendre conscience de son existence, puis passer à la zone d’à côté. Scanner de haut en bas et de bas en haut, et recommencer, inlassablement, du matin au soir, au gré des séances de méditation. Et surtout, surtout, ne pas réagir. Rester un observateur neutre de ce qui se passe. C’est un travail de discipline, de concentration et de patience infinies.

 

Pour moi, c’est d’abord une confrontation à la douleur. Tenir la position jambes croisées, pendant une à deux heures sans bouger, réveille rapidement des fourmis, puis des douleurs, puis des crampes de plus en plus insupportables, dans le dos, dans les bras, et surtout dans les jambes. Il est très amusant de voir chacun s’aménager progressivement des tas de petits coussins qu’il place sous ses fesses, sous ses genoux, entre ses jambes ou sous ses pieds, de manière à essayer de trouver des arrangements pour que la position soit la moins pénible possible.

Le plus compliqué, c’est de rester neutre. Ne pas réagir face à la douleur, ne pas changer de position, ne pas fuir cette sensation qui se présente à nous. Il s’agit de considérer que tout phénomène est par nature impermanent, et qu’aussi plaisant ou déplaisant soit-il, il aura une fin. Réagir, c’est donner de l’importance à une sensation, c’est focaliser son attention dessus, et c’est justement l’entretenir et la nourrir plutôt que de la laisser circuler. Et effectivement, si nous ne nous attardons pas dessus, au bout d’un moment, elle finit par disparaître.

 

Il y a d’autres sensations, plus subtiles, qui apparaissent progressivement dans le champ de ma conscience. La sensation d’une mouche qui vient se poser sur mon visage. Une larme qui perle très lentement le long de ma joue. Une envie irrépressible de me gratter, de masquer cette sensation aiguë et dérangeante. Là encore, il faut ne pas réagir. Résister à la tentation, rester concentré sur son scan corporel et sa respiration, et constater effectivement que moins on lui prête d’attention, plus vite elle s’évapore. C’est une attitude extrêmement compliquée à tenir, tellement certaines sensations sont perturbantes, mettant l’ensemble de notre vigilance en état d’alerte, nous poussant à agir pour fuir.

Il doit en être de même pour les sensations plaisantes également. Celles-ci sont beaucoup plus vicieuses, justement parce qu’elles sont agréables et suscitent notre attirance, notre convoitise, notre attachement. Étant également des phénomènes impermanents, leur disparition génère ensuite en nous une sensation de manque, le désir de pouvoir les ré-éprouver, nous conduisant ainsi à une addiction, une dépendance dans laquelle notre bien-être se retrouve conditionné à la nécessité de leur présence. Ni aversion, ni attachement. Il s’agit là encore d’observer ces sensations plaisantes en nous, sans y réagir, en poursuivant inlassablement notre travail d’écoute, puis de laisser aller.

 

Plus je progresse au fil des jours dans ma pratique, plus mon niveau de perceptibilité s’affine. Ce sont des surfaces de plus en plus réduites que je parviens à observer, à la surface de ma peau, puis à l’intérieur même de mon corps. Je perçois des manifestations extrêmement puissantes qui vivent en moi, une richesse de ressentis que je ne me connaissais pas jusque-là. J’accède à un degré de conscientisation de tout ce qui m’anime, je deviens capable de ressentir chaque zone à l’intérieur de moi, je perçois la moindre partie de mon corps comme le théâtre d’un florilège de sensations de plus en plus riches et variées, dont je n’avais pas idée jusque-là.

Et je finis par percevoir avec acuité le flux d’énergie qui me traverse, cette vie qui m’anime et qui est en perpétuel mouvement, au cours de la journée et même au milieu de mon sommeil.

 

Observer ce qui se manifeste. Accepter ce qui est. Ne pas rejeter ce que nous n’aimons pas. Ne pas désirer ce que nous aimerions mais qui ne se manifeste pas. Simplement éprouver les sensations qui émanent et disparaissent au cours du temps. Tel est l’enseignement de S.N Goenka, le maître de Vipassana dont nous écoutons l’enseignement tous les soirs.

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