Alexandrine de Césure se trouve des chaussures...
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Alexandrine de Césure se trouve des chaussures...
Alexandrine de césure se trouve des chaussures...
-Bonjour Madame,
-Bonjour, qu’est-ce que vous désirez ?
-Je voudrais des chaussures pour habiller mes pieds
-Vous désirez en somme une paire de souliers
-Vous ne savez pas comme je me trouve gênée
Car de souliers madame, il m’en faut bien six paires.
-Vous êtes sûrement femme à en changer souvent !
-Oh non c’est pour les mettre tous en même temps.
Il faut que je vous dise, je suis une rimeuse
Et je suis possédée par un esprit-chanteur
Qui me jette à la bouche les pieds par lot de douze
Ce qui me fait poète dans tout ce que je dis
Oh oui c’est bien ma tête, mais tous les pieds, c’est lui !
Donc si vous voulez bien, une douzaine de souliers.
-Oh moi je le veux bien, quelle pointure vous avez !
-Trente-six, trente-sept, enfin jusqu’à présent.
-C’est un pied bien petit, un petit pied charmant !
-Oh oui le pied ça va, c’est la cheville qui enfle
À être poétesse, comme ça, tout le temps
Que je parle de fesses, d’amour, de bêtises
Je dis tout en césure, c’est vraiment inquiétant.
-Dites-moi, les chaussures, vous les voulez comment ?
Vraiment toutes pareilles ou toutes différentes ?
-Différentes ! Quelle merveille je vais être pimpante
Avec douze souliers chacun d’une paroisse
Ça va être joyeux ma douzaine de godasses
Montrez-moi vite là tout ce que vous avez
Que je fasse mon choix, allez-y, proposez.
-Peut-être - c’est très fille - un long talon aiguille
Avoir le pied coquin dans la rime c’est bien
Alléger un instant cette lourdeur du temps.
-Donc j’opte pour l’aiguille, en voilà un choisi !
Mais noir j’aime autant, c’est bien plus inspirant.
-Noir, oui, le voilà, il faudra mettre en bas...
Au deuxième je propose peut-être un soulier blanc
-Le blanc oui, je suppose, c’est sacré en-dedans
C’est la couleur de Dieu et puis aussi des anges
Je parle parfois d’eux, l’esprit-chanteur étrange
Les connais mieux que moi, allons-y pour le blanc.
-Au troisième, peut-être, un tout petit vernis ?
Élégant, habillé, presque aristocratique.
-Aucun milieu doit n’être par ma rime banni
Bien que bassement née, voyez-vous je me pique
De servir la noblesse aussi bien que le gueux
Il me sont sympathiques, à vrai dire, tous les deux
Va donc pour le vernis, ça nous en fera trois.
–Un petit soulier vert, en fin cuir québécois ?
-Chanter dame nature, ça me va bien je crois
Alors ni une ni deux, optons pour celui-là.
-Et un petit tout rouge, comme un rubis profond ?
-Oh oui un rouge, pour toutes les passions.
Qui prennent de la place partout dans nos maisons
Dans les Alexandrins, faisons-leur un lieu bon
Où leur feu souverain trouvera un giron.
-Pour le sixième, je crois, il faudra essayer
Une jolie babouche, soulier pas ordinaire.
-Oh la, à ma bouche montent des voluptés
Les tapis, les turbans, l’orient, les déserts
Acceptons la babouche, soulier pas ordinaire.
-Et puis que pensez-vous d’une chaussure d’enfant ?
-Mais vous pensez à tout et pour mes pieds vraiment
Vous êtes une marraine, vous prenez tant de peine
Pour les parer de dons, mais continuez donc
la chaussure d’enfants donnera à mes pieds
Cette fraîcheur qui fend les cœurs les plus fermés
Marraine pour le huitième que me proposez-vous ?
-Une botte de Modène en beau cuir fin et mou ?
-Des bottes vous croyez ? Pour la boue des fossés ?
Pour les combats menés ? Pour l’ogre du Poucet ?
Allons y pour la botte, moi je vous fais confiance…
-L’inspiration me porte, pour faire un peu de danse
Ce soulier qui me semble être celui d’une fée.
-Une fée dites-vous, voilà tout l’invisible
Qui va entrer du coup dans mes pieds enchantés !
Que mon esprit-chanteur ce sent bien honoré
De recevoir ces dames dedans ses douze pieds !
-Le dixième j’en ai peur est vraiment délabré
Une vieille sandale d’homme, qui a beaucoup marché.
-Pourquoi peur ma bonne dame c’est le soulier affreux
Et du pauvre et du moine, un soulier courageux
C’est lui qui me dira les grands jours de désert
« Continue, marche, avance, ne pleure pas, tais-toi »
La sandale je la prends, il me la faut je crois
Pour les jours de silence, de mauvais savoir-faire.
-L’avant-dernière, déjà ! À vrai dire je pensais
Qu’une simple pantoufle ne serait pas de trop.
-Une pantoufle voilà ! Pour que mes douze pieds
Soient vraiment à l'aise et poussent un chant bien beau
À l’oreille de tous ceux qui écoutent mes fables
Et au cœur amoureux de qui les aimera.
-Pour le douzième, voyez, je n’ai plus une idée…
-Le douzième, marraine, ira très bien nu pied
Il portera la mort, le sans-rien, le maudit
Et qui vont, eux aussi, être chantés ici.
Car si il y a douze pieds de longueur dans ma rime
C’est une scène ouverte aux cieux comme aux abîmes
Chacun par son soulier y prendra la parole
Il pourra la garder, qu'il soit triste ou drôle
Maintenant bonne dame, il me faut vous payer
Annoncez donc le drame à ma bourse trouée
-Moi, marraine de vos pieds, vous me croyez capable
De tirer des deniers à cet art respectable ?
Vous êtes une rimeuse et moi je suis la vie
Que je sois votre muse, c’est tout ce que je dis
Et ne m’oubliez pas…
alexandrine de Césure
Illustration : Chantal Perrin Verdier