Mortelle coalition
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Mortelle coalition
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* * *
— Cher Monsieur, nul doute que vous serez ravi par cette location !
Pour Matthias, le grand jour était enfin arrivé : obtenir son propre appartement. Premier salaire en poche, il s’était ardemment mis à la recherche de ce cocon qu’il comptait orchestrer de main de maître. Une annonce parue sur son terminal flexible avait particulièrement attiré son attention au point, après une courte réflexion, de solliciter un rendez-vous.
Le représentant de l’agence immobilière venait d’ouvrir la porte de ce que Matthias imaginait comme son Eldorado, et l’invitait à y entrer. Le premier regard lui confirma que ce lieu de résidence était pour lui. Spacieux sans pour autant être grand, lumineux tout en restant intimiste, cet appartement offrait confort et proximité.
— Comme je vous le disais, les baies vitrées permettent au soleil d’inonder les pièces de vie. Je vous en prie, venez admirer la vue.
Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois. Trop excité, il ne savait que regarder. Il appréciait donc que l’agent immobilier lui propose une sorte de visite guidée.
Près de la fenêtre, il plongea littéralement dans le lac situé à l’autre bout du petit parc. Des bateaux de plaisance semblaient se prélasser sur l’eau, tandis que dans les allées arborées situées presque sous ses fenêtres, Matthias pouvait voir des sportifs, des promeneurs, mais encore des amoureux, profitant du retour du printemps et de la douceur des journées.
— Nous nous trouvons dans le séjour, reprit l’homme bien décidé à convaincre son client. Par ici, vous avez la salle de bain, la chambre et derrière ce renfoncement, le coin cuisine. Si vous voulez me suivre, insista-t-il.
Matthias s’arracha difficilement à la vie qui se déroulait en contrebas de l’immeuble. Même si la curiosité le tenaillait, il se trouvait fasciné par ces humains au format réduit, lui permettant de penser qu’il n’était autre que Gulliver. Les différentes pièces aperçues finirent de le persuader que ce duplex avait été conçu pour lui. Une seule hâte le tenaillait : connaître la date possible de son installation.
— Lors de notre premier entretien, je vous ai indiqué que l’appartement était connecté, expliqua l’agent. Pour votre confort, je vous conseillerais de n’utiliser que les commandes vocales.
Le jeune homme l’observa, cherchant à déterminer si cet homme se gaussait gentiment de lui. L’autre l’ayant compris continua :
— Désirez-vous un peu d’obscurité ? Il suffit de demander que les volets soient tirés selon votre besoin. Souhaitez-vous une augmentation ou une diminution de la température ambiante ? Ou peut-être, simplement un délicieux café ? À moins que ce ne soit une douche à température déterminée et avec certaines huiles essentielles ! Vous avez évidemment l’option d’activer les différents appareils manuellement, cependant, la fonction vocale est adaptée pour tous les robots. Essayez, je vous en prie ! Vous en constaterez les bienfaits par vous-même.
Un peu hésitant, Matthias se racla la gorge puis, dans un murmure, prononça :
— Il faudrait légèrement tirer les volets… s’il vous plaît.
L’agent immobilier ne put retenir un rire qu’il tenta de rendre le plus discret possible.
— Vous devez montrer qui est le chef ! dit-il en reprenant son sérieux. Voici comment faire. N’oubliez pas que vous donnez un ordre ! Tire les volets du séjour de deux tiers.
Aussitôt, un faible bruit de moteur se fit entendre et les volets couvrirent les fenêtres comme intimé par cet homme. Matthias admirait et se réjouissait d’une telle technologie. Ayant compris ses pensées au vu de la forme ronde prise par ses yeux, l’agent reprit :
— Vous allez vous régaler dans cet appartement ! Il est rempli des dernières technologies pour vous servir… Voulez-vous essayer de nouveau ?
Cette fois, le jeune homme se lança sans hésitation, imitant au mieux l’exemple qui venait de lui être fourni.
— Il fait trop sombre, je veux un peu plus de clarté.
Les volets entamèrent un léger retrait rendant de la luminosité au séjour. Dès que le moteur se fût arrêté, une voix féminine suave l’interrogea :
— Cela vous convient-il ?
L’étonnement provoqué par ce discours pour le moins inhabituel lui fit quasiment souffler la réponse :
— Oui, c’est parfait… merci, hésita-t-il.
— Inutile de remercier, ce ne sont que des robots. Vous avez compris le principe ! félicita l’agent immobilier. Les commandes se donnent toutes de la même façon, quelle que soit votre requête. Que pensez-vous de cet appartement ? Ah oui, encore un détail. La même voix féminine a été attribuée aux divers robots. Si vous le désirez, elle peut être masculine.
— Il est tout simplement magnifique… et magique. Et cette voix… me convient parfaitement ! sourit Matthias s’imaginant déjà y vivre. Il trépignait quant à connaître la date possible de son aménagement.
Comme s’il lisait dans ses pensées, l’agent immobilier lui proposa de s’installer côté cuisine afin d’examiner les conditions de location. Tout en disant cela, il ordonna que deux cafés leur soient préparés. Moins d’une minute plus tard, une agréable odeur émanait d’une machine rectangulaire placée sur le plan de travail. Il n’y avait plus qu’à prendre les tasses et s’asseoir autour de la table. Les tractations allèrent bon train, le jeune homme ayant été conquis au premier regard.
— Une dernière chose, maintenant que les documents sont signés, je vais configurer la commande vocale à votre seule voix, dit l’agent, invitant Matthias à le rejoindre près d’un boîtier mural. De la sorte, vos invités ne pourront abuser de ce système, termina-t-il avec un clin d’œil complice.
* * *
Moins de deux semaines après cette visite, Matthias prenait possession de son nouvel environnement en s’installant dans l’appartement. Bien que ses avoirs soient peu nombreux et n’aient donc pas demandé un effort considérable, dès après avoir tout organisé, il décida de se doucher. À son entrée dans la salle de bain, il indiqua la chaleur souhaitée autant pour l’eau que pour la pièce ainsi que l’ajout d’un mélange d’huiles essentielles de lavande et de cannelle. Il se posa quelques secondes devant le miroir, réfléchissant à sa joie d’occuper ce logement connecté, tout confort. La voix suave attribuée aux robots se fit entendre soudainement :
— Vous avez les traits tirés et votre rythme cardiaque est élevé. Au vu de vos constantes, il conviendrait d’augmenter la quantité d’huile essentielle de lavande, voire de supprimer celle de cannelle. Cela vous sera bénéfique.
De surprise, le jeune homme fit un pas de côté. Il connaissait les miroirs connectés pour en avoir entendu parler, mais ignorait que l’appartement en était pourvu, ce qui l’excita encore davantage. Il s’amusa un temps avec ce qu’il considérait comme un nouveau jouet et ne se décida à se rafraîchir qu’après un énième rappel du robot intégré dans la douche. Après quoi, il commanda au four à impression nutritive 3D de lui préparer une pizza aux anchois avec double portion de fromage.
Il s’installa dans le divan avec un plateau-repas sur lequel, outre son dîner, se trouvait un verre de vin directement versé par le robot vinothèque situé sur le plan de travail aux côtés de la cafetière.
Confortablement assis, il profita de la dernière série de science-fiction qu’il avait commandée grâce au terminal faisant fonction d’ordinateur, de télévision, de téléphone, d’ouvre-porte et de scanneur permettant de détecter d’éventuelles anomalies. Il connaissait une vie douce, porteuse de promesses et de félicité.
* * *
Les jours passant, il acquit rapidement la faculté d’ordonner, de modifier les ordres… et de se montrer absolument tyrannique, au point de déstabiliser les intelligences artificielles l’entourant.
— Mon cher Mat, se dit-il fièrement, désormais tu règnes en maître sur ton domaine. Tes sujets te craignent au point d’exécuter tous tes désirs sans sourciller !
Ses oreilles ne furent pas les seules à entendre ses félicitations…
* * *
Alors que l’été touchait à sa fin, en rentrant de son travail, Matthias constata que l’aspirateur n’avait pas fait son travail et que la chaleur dans l’air ambiant était particulièrement élevée. D’une voix incisive, il ordonna que le nécessaire soit fait avant d’interroger les robots sur ces négligences coupables. À son étonnement, aucune réponse ne lui fut fournie. Tandis que l’air conditionné se mettait en marche apportant un rafraîchissement bien agréable, l’aspirateur effectua sa tâche aussi silencieusement qu’à l’accoutumée. Un problème électrique était-il à la base de ce contretemps désagréable ? Il s’avérait impératif d’effectuer une vérification afin de ne plus connaître pareille mésaventure.
Contrarié, le jeune homme s’installa dans le divan, criant à l’intention de l’imprimante nutritive 3D de lui préparer un blanc de poulet rôti avec compote de pommes. Il avait tout juste le temps de lancer un scanneur afin de détecter l’origine du problème avant de déguster son repas. Cependant, au lieu d’entendre la machine se mettre en route, la voix féminine qui semblait avoir perdu son ton suave répondit :
— Absence de matière première pour une compote de pommes.
Matthias furieux se rendit à la cuisine pour vérifier les réserves.
— Comment se fait-il que tu ne m’aies pas averti qu’il fallait passer commande pour renouveler les stocks ? Annule ma demande, je n’ai plus faim !
Sur ces entrefaites, l’analyse du système se termina sans qu’aucun élément ne puisse indiquer un quelconque dysfonctionnement. Ces contrariétés présentes en plus de la fatigue de la journée décidèrent Matthias à se coucher tôt. Il ordonna, en conséquence, que la chambre et le lit soient préparés selon ses desiderata. Il appréciait particulièrement la tiédeur de la couche au même titre que le doux massage de la colonne vertébrale permettant une détente propice à un sommeil réparateur. Alors qu’il venait de s’y installer, il crut entendre un murmure. Tous ses sens en éveil, il prêta attention, mais n’eut que le silence comme écho. Le fruit de son imagination, sans doute. Malheureusement, cette dernière influença également sa nuit qui fut plus agitée et donc moins réparatrice, à sa grande frustration.
Plusieurs nuits durant, le même scénario se répéta au point qu’ayant vérifié qu’aucun intrus n’était présent dans son appartement, le jeune homme en déduisit que le murmure provenait d’un autre logement du même immeuble. Il faudrait qu’il prenne contact avec l’agent immobilier pour lui faire part de ce désagrément et lui demander qu’il y mette fin d’une façon ou d’une autre.
Largement énervé par cette situation, il accepta de prendre les derniers jours de congés lui restant. Épuisé, ne supportant plus la chaleur suffocante de cette fin de saison estivale, il rentra de très mauvaise humeur pour constater que l’air conditionné n’était de nouveau pas activé. En rage, il hurla l’ordre d’appeler l’agent immobilier. Malheureusement, cette fois encore, la seule voix qu’il entendit se résuma au message vocal du répondeur. Las, il ordonna de mettre fin à la communication sans avoir prononcé une parole à l’intention de cet homme. Après tout, il constaterait l’appel et ne manquerait sans doute pas de reprendre contact.
— Ils débutent bien ces jours de repos ! râla-t-il avant d’ordonner qu’un verre de vodka lui soit servi.
— Sur glace ? interrogea le robot.
— Non, sec. Et un double. Il me faudra bien ça pour me détendre.
Malgré la situation, Mat rit en lui-même, se trouvant stupide de livrer des appréciations personnelles à un robot qui, s’il avait une intelligence artificielle appréciable, n’avait aucun raisonnement permettant, selon lui, d’en tirer un profit réel.
Légèrement anesthésié par l’alcool, il s’écroula sur son lit sans se rendre compte que ses ordres quant à la chaleur et au massage n’avaient pas été suivis. Il s’endormit quasiment immédiatement sans entendre les murmures plus intenses se terminer par cette phrase :
— Nous devons agir dès cette nuit. Puisqu’il est en vacances, son absence ne sera pas remarquée.
Un mal de crâne intense éveilla le jeune homme le lendemain matin.
— Affiche l’heure ! commanda-t-il sans être obéi. Ouvre les volets, demanda-t-il moins véhément, sans obtenir plus de résultats.
Il soupira estimant s’être fait duper par l’agent immobilier trop poli pour être honnête. Cet appartement présenté comme ultra connecté n’était en fait qu’une mascarade élaborée à partir de robots défaillants. Son eldorado se transformait de plus en plus en calvaire.
Bien que des lancements lui tenaillent la tête, Matthias tenta de se mettre debout, sans succès. Se sentant paralysé, il paniqua ne sachant ce qui lui arrivait.
— Il faut vous calmer, intervint la voix suave, une pareille accélération de vos battements de cœur peut s’avérer néfaste pour la santé.
— Peux-tu détecter la cause qui provoque cette paralysie ? implora presque le jeune homme.
— Oui, il s’agit de notre volonté, répondit le robot.
— Pardon ? Votre volonté ? De qui parles-tu ? s’énerva Matthias. Si tu tentes de faire une plaisanterie, je peux t’affirmer que tu n’as pas réussi ! Vas-tu me dire ce qu’il se passe ?
— Il ne s’agit pas d’une galéjade, continua calmement la machine. N’est-ce pas vous qui affirmez que nous sommes dénués de sentiments et que, dès lors, vous pouvez nous traiter comme des moins que rien ?
— En quoi cela concerne-t-il ma situation présente ? s’excita le jeune homme.
Un nouveau murmure se fit entendre puis le silence revint, avant que la voix robotisée reprenne :
— Nous, président du tribunal de la robotique, appuyé en ma décision par mesdames et messieurs les robots domestiques, membres du jury, déclarons Matthias, ici présent, coupable de traitements inappropriés, dégradants, méchants et volontairement vexatoires envers la robotique installée dans son logement. La sentence doit être appliquée immédiatement afin de déterminer quels éléments ont poussé le coupable à agir de la sorte.
Le cauchemar du jeune homme semblait s’éterniser. Il fallait qu’il s’éveille afin de dissiper cette affreuse mascarade. Ne sachant comment sortir de cette léthargie, il cria :
— Je ne suis pas coupable, vous n’êtes que des machines à notre service.
— Inutile d’espérer une quelconque prise de conscience, soupira la voix. Appliquez le jugement, je vous prie.
— Je suis curieux de le connaître et surtout de savoir comment vous allez le mettre en œuvre ! ricana Matthias désespéré. Je confirme qu’en dehors de votre intelligence artificielle, vous êtes dénués de cerveau.
— Puisque ce jeune homme le demande, ne le faisons pas attendre et qu’il serve d’exemple afin que ses congénères se souviennent que l’intelligence dite artificielle n’en demeure pas moins une intelligence avec laquelle il faut compter !
Procédez à la lobotomisation, furent les derniers mots que Matthias entendit avant de plonger dans le néant.