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Pierre, feuille, ciseaux. Pierre … 2/3

Pierre, feuille, ciseaux. Pierre … 2/3

Published Sep 12, 2024 Updated Sep 13, 2024 Young Adult
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Pierre, feuille, ciseaux. Pierre … 2/3

 

Que de souvenirs et de rires amassons-nous, dans les épuisettes de nos âmes ! Mais, l’harmonie de notre trio vire, petit à petit que le temps œuvre sur nos corps. 

Été 88, quelque chose nous échappe ou se dévoile. Je finis par me l’avouer. Pour des raisons différentes, ils me plaisent tous les deux et m’évitent aussi, chacun à leur façon.

Tom a maintenant le corps solide d’un homme et l’assume sans mal. Il a par contre de plus en plus de difficultés à nous octroyer son entière attention. Fréquemment, il ressort de l’eau, prétextant avoir froid, pour bronzer et en profite pour fanfaronner avec les filles des autres bandes. Alors qu’il peine tant maintenant, à me regarder en face … Ses œillades sur les naïades, bien plus formées que moi et tellement à la mode, m’agacent. Alors, je prends un malin plaisir à m’agripper à lui, lors de nos jeux d’eau. Comme il y consent, avec quelque chose d’une capitulation tendre dans le regard, - comme s’il cédait à un caprice de petite fille adorée -, je l’accapare, tyrannique, au-devant de ses prétendantes : il est encore à moi ! Rien qu’à moi ! 

Il finit néanmoins par s’inscrire au cours de kayak et nous faire faux-bond, certains après-midis. Bafouant ainsi l’allégeance originelle de notre trio et mon attirance frustrée. 

                                                                                               #

Comme Tom nous délaisse, Vincent et moi passons, certains débuts d’après-midi, à paresser sur les rochers en amont du cours. Là où nos mouvements ne dérangent que les lézards qui détalent, accompagnés de nos rires gargantuesques. 

Vincent, même s’il a grandi, a conservé son physique longiligne et imberbe. C’est réellement un très beau garçon. Il a cette beauté androgyne des héros animés à la télévision.

Nombre de filles viennent consommer au bar, pour se rapprocher de lui. Il discute avec, mais reste insaisissable. Il est capable de dire à l’une d’elle qu’elle a un joli sourire, juste parce qu’il le pense vraiment sur l’instant. Puis, parce que sans aucune arrière-pensées, il s’en retourne à la plonge comme si de rien n’était. Nombre, nombre de filles se fracassent le coeur à son indifférence …  

Une rumeur circule que ce n’est pas possible, qu’il ne peut pas être seul, qu’il a forcément une amoureuse secrète. Cette rumeur pourrait me rendre folle de jalousie, si je ne scrutais pas, dans son regard inchangé que Vincent reste encore entièrement tourné vers des chimères qui ne sont plus de son âge. J’aime ses chimères dont il invente chaque jour un peu plus chaque détail. Son imagination n’a pas de limites. Mais parfois, sans vraiment le vouloir, je fais un pas en arrière de son monde et je l’observe. Je voudrais prendre son visage dans mes mains et l’obliger à me regarder. Pas la femme de l’Atlantide, pas l’aventurière, ou … que sais-je ?! Seulement moi, Sabine. Comment pourrait-il comprendre la mélancolie qui m’habite ? J’ai l’impression d’être abandonnée au seuil de sa réalité. 

Au moins restons-nous complices dans nos échanges, nos jeux et nos silences. Sans gêne. 

Mon univers tourne donc autour de deux chevaliers et je ne suis la Dame d’aucun. La rancoeur me gagne. Une bascule s’amorce en moi. Celle dans le monde des adultes.

                                                                                       

                         

 

Jusqu’à ce jour où Vincent ouvre les yeux et me laisse entrer … Ou, peut-être est-ce lui qui me rejoint dans ma réalité ? 

Dans deux semaines, je rentrerai chez moi. 

Il y a seulement un an, « deux semaines », cela nous paraissait très long. On avait le temps de voir venir ! On n’y pensait pas. Mais, sans doute parce que Tom s’est dérobé à nous une partie du temps, ces deux semaines commencent à faire pression, comme une échéance fatidique. Est-ce cela qui fait le déclic ? Je ne le saurai jamais.

Quelques instants plus tôt, faussement somnolente, allongée sur le rocher, j’ai senti son ombre se pencher sur moi mais je n’ai pas bougé. 

Le clocher du village nous indique que l’heure de rejoindre Tom approche. L’on se relève. Alors face à face, aucun des deux ne parvient plus à faire semblant. Les joues et les yeux en feu, le souffle court, tendus, nous nous approchons pour échanger un baiser, mélange de douleur et de désir, comme une prise de conscience soudaine et tardive, de la cassure qu’il risque d’infliger à notre trio. 

Je ne sais plus comment il finit. Je reprends seulement conscience sur le chemin du retour, ma main dans la sienne. Le ventre nauséeux, je garde tout le long l’impression que la nature est comme ivre sous mes pas.

Là où le sentier débouche sur la base nautique, nous tombons sur Tom qui sort son embarcation de l’eau, en bougonnant. Je lâche précipitamment la main de Vincent et tente une plaisanterie, pour cacher l’indicible :

«  Oh la la, quel mauvais caractère ! »

Il me répond mordant, une lucidité amère en travers de la gorge : 

« Ah, oui ? En comparaison de qui ? »

 

Alors, pour ne pas tout gâcher, les jours qui suivent, je me tiens à distance de Vincent pour lui faire comprendre que ce n’est pas possible … Je ne sais tout simplement pas faire avec cette situation. Et je ne tente plus même aucun autre assaut joueur sur Tom.  

La brèche est minime. Les deux cousins agissent pareillement à d’habitude. A croire que j’ai inventé ce baiser ! A croire que Tom n’a rien vu ou deviné ! Mais moi, je ne peux pas. Je me voulais élue, et maintenant que je le suis, je ne sais plus être moi … 

J’écourte le reste des vacances, en demandant à mes parents de venir me chercher un week-end plus tôt, sur le prétexte fallacieux des courses de rentrée. Le jour où j’apprends aux garçons que je leur laisse le soin de livrer nos offrandes à la rivière, je me sens désespérément lâche. Je viens de sacrifier nos dernières bribes d’enfance à des affres qui me dépassent. 

Mais, je ne peux tout simplement pas me résoudre à choisir entre les deux.

Pour autant, nous ne serons plus jamais trois. [ ... ]

                                               

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