

La révolte de Balthazar
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La révolte de Balthazar
Il était une fois, il y a fort longtemps, sous un ciel parsemé d’étoiles brillantes et baigné d’une lumière céleste, une nuit en apparence paisible qui allait pourtant bouleverser l’histoire pour toujours. Trois sages, issus de royaumes lointains de l'Orient, traversaient le désert, leurs silhouettes drapées de tissus royaux, montées sur des chameaux qui progressaient lentement sous le halo envoûtant d'une étoile nouvelle. Ce n'était pas un voyage ordinaire. Ils suivaient la lueur d’une étoile mystérieuse, un astre au rayonnement surnaturel que nulle personne avant eux n’avait jamais contemplé. Les Mages, qu'on appelait Melchior, Gaspard et Balthazar, avaient été envoyés pour accomplir une prophétie ancienne, murmurée depuis des siècles par les sages et prophètes de leurs royaumes.
La prophétie des trois rois, transmise de génération en génération, annonçait qu’un jour, sous la lumière d’une étoile jamais vue, naîtrait un enfant qui incarnerait la lumière et l’espoir de toute l’humanité. Cet enfant, le Roi des rois, apporterait la paix dans les cœurs et régnerait non par le pouvoir de l’épée, mais par la puissance d’une sagesse infinie. Il serait à la fois un roi, un guide et un guérisseur, capable de chasser les ténèbres du monde par sa seule présence.
Les Mages connaissaient les mots anciens de la prophétie : « Lorsque l’étoile céleste brillera de mille feux, les trois porteurs de la sagesse s’uniront pour franchir le désert et trouver l’enfant-roi. Ils lui offriront des trésors, symbole de son règne éternel, de sa mission divine et du destin qui l'attend, car il naîtra pour sauver tous les peuples. » Cette prophétie leur avait été révélée dans des visions et des songes, et chacun des trois mages avait découvert sa part de vérité.
Melchior, le plus âgé des trois, avait vu dans ses songes un jeune enfant dont la lumière repoussait les ombres et dont le règne serait éternel. À lui, il porterait l'or, symbole de royauté, car cet enfant serait un roi, non seulement des hommes mais de tous les royaumes de l’âme. Gaspard, le sage aux cheveux d'ébène, avait entrevu un enfant au visage empli de douceur, portant une sagesse infinie. Pour lui, il apporterait l'encens, symbole de divinité, reconnaissant en l'enfant la puissance du divin incarné. Quant à Balthazar, dont la peau était sombre comme la terre fertile, il avait senti la douleur et le sacrifice qu'impliquerait le destin de cet enfant. À lui, il offrirait la myrrhe, un baume sacré pour les blessures et les adieux, préfigurant la souffrance et le sacrifice du futur roi pour son peuple.
Mais cette nuit-là, alors que l'étoile brillait de mille feux dans le ciel, une obscurité bien plus profonde s’empara du cœur de Balthazar. Son esprit, empoisonné par une jalousie viscérale, tourbillonnait de pensées noires. Il revoyait les visions prophétiques d’un avenir où le monde entier vénèrerait cet enfant à la naissance sacrée, célébrant chaque année en s'échangeant des présents, honorant la venue d’un roi de paix et de lumière. Et lui, Balthazar, sage parmi les sages, n'était qu'un simple porteur de présents, son nom destiné à s’effacer dans les pages de l’histoire. Une rage froide monta en lui, le désir sombre d’empêcher cet enfant de régner sur le cœur des hommes, d'arracher l’amour et l’admiration qui lui étaient promis.
Le désert autour de lui était plongé dans un silence glacé, la caravane des mages s’étant arrêtée à la lisière d’un village endormi. Balthazar, le regard fiévreux, attendit que Melchior et Gaspard, épuisés par leur voyage, s’endormissent, confiants en l’amitié qui les liait. L’ombre de l’étoile semblait peser sur eux, amplifiant les ténèbres qui habitaient désormais l’âme de Balthazar. D’un pas silencieux, il s’approcha de ses compagnons, glissant la main sous son manteau pour en retirer une lame acérée, luisant d’un éclat métallique sous la lumière des astres.
D’abord, il s’avança vers Melchior, le plus sage et le plus âgé, dont la respiration régulière et paisible témoignait de son sommeil profond. D'un geste précis, froid, Balthazar plongea la lame dans le cœur de Melchior, coupant court à tout souffle de vie. Un sang chaud et sombre s’étendit sur le sable, comme une tache indélébile dans la nuit. Le visage de Melchior s’éteignit sans un cri, son regard fixe se perdant dans l’infini.
Ensuite, Balthazar tourna son attention vers Gaspard, le rêveur, le porteur d’encens, qui murmurait encore des paroles endormies sur l’enfant-roi. Un sentiment de frisson dévorait Balthazar, un mélange d’angoisse et d’excitation sauvage, tandis qu'il répétait son geste meurtrier avec une précision déconcertante, éteignant à son tour la vie de Gaspard sans un bruit.
Le sang des deux mages se mêlait au sable froid, mais Balthazar ne ressentait aucune pitié, seulement un vertige de puissance. Dans son esprit, déformé par la folie, il se voyait comme le maître de son propre destin, un homme prêt à contredire même les étoiles pour inscrire son nom dans l’histoire. Sa respiration haletante remplissait l'air, accompagnée par le silence oppressant du désert.
Le vent du désert semblait se suspendre, comme si même la terre retenait son souffle face à cet acte atroce. Une fois ses compagnons morts, Balthazar se redressa, la poitrine lourde de cette folie, son cœur battant à tout rompre dans le silence oppressant de la nuit. Les étoiles, témoins de son crime, scintillaient encore dans le ciel, mais leur éclat ne lui apportait aucun réconfort.
D’un geste automatique, il ramassa les présents qu’il avait laissés de côté, se retrouvant face à l'or, à l'encens et à la myrrhe, les trésors qui témoignaient de la grandeur de l’enfant qu’il s’apprêtait à rencontrer. L’or, brillant comme une promesse de pouvoir, l’encens, odorant, symbolisant la divinité, et la myrrhe, un baume lourd de sens. Chacun de ces cadeaux lui rappelait la prophétie et ce qu’il avait arraché à Melchior et Gaspard. Mais au lieu de ressentir le poids de la culpabilité, une exultation glacée l’envahit.
Sans un regard en arrière, il se mit en route vers Nazareth, sa silhouette se découpant dans la lumière blafarde de la lune. Les dunes, auparavant familières, lui semblaient désormais hostiles et étranges. Chaque pas le conduisait loin de ses compagnons, de leur rire et de leurs rêves d’un monde meilleur, et pourtant, il n’éprouvait aucune mélancolie, aucune compassion pour leurs âmes perdues. Au contraire, il se sentait libéré, débarrassé du poids de leur bienveillance, de leurs espoirs placés dans cet enfant.
Le sable crissait sous ses pieds, chaque pas marquant une distance irréversible entre lui et les vies qu’il avait brutalement interrompues. Dans son esprit, des pensées tumultueuses tourbillonnaient. La rencontre avec l’enfant ne serait pas celle d’un simple présent, mais l’opportunité de renverser le cours de la prophétie. Il imagina la scène, se tenant devant l’enfant-roi, l’offrant ses trésors, mais d’une manière tout à fait différente, une façon qui scellerait son propre destin en tant que maître des événements.
Balthazar pressa le pas, son esprit étant à la fois empli de visions grandioses et de chuchotements sombres, un mélange d'anticipation et de peur. Il sentait que quelque chose de fondamental avait changé en lui, qu'il ne pouvait plus revenir en arrière. L'éclat de l'étoile qui l’avait autrefois guidé semblait maintenant se transformer en un phare trompeur, l’attirant vers un abîme qu’il ne pouvait concevoir.
Alors qu’il s’enfonçait dans les ombres du désert, une idée s’enracina dans son esprit : il serait le seul à façonner le récit qui suivrait. En abandonnant Melchior et Gaspard à leur sort, il avait ouvert la voie à une nouvelle légende, celle d’un roi qui ne se contenterait pas de régner, mais qui serait défié par un sage jaloux, un sage qui avait décidé de prendre son destin en main. Le vent se leva, balayant derrière lui les dernières traces de ses compagnons, et Balthazar continua d’avancer, déterminé à rejoindre l’enfant, sans regret, sans hésitation, les souvenirs de ses amis déjà effacés de son esprit.
Dans l’étable où reposaient Marie et Joseph avec leur nouveau-né, l'atmosphère était empreinte de calme et de grâce. L’enfant Jésus dormait paisiblement, enveloppé de langes, innocent et fragile, inconscient de la sombre menace qui pesait sur lui. Balthazar pénétra dans l’étable, le regard déterminé et dur, comme un prédateur se dirigeant vers sa proie. Les ombres dansaient autour de lui, accentuant le côté sinistre de son intrusion.
Marie leva les yeux vers cet homme qui s’avançait, étranger dans la nuit, avec une lueur glacée dans le regard. Elle sentit une terreur instinctive, une peur ancestrale pour son enfant, comme si un instinct maternel profond lui soufflait que cet homme ne portait que malheur. Avant qu’elle n’ait le temps de crier ou de supplier, Balthazar brandit la lame avec une rapidité fulgurante, se penchant sur l’enfant avec une intensité troublante. Dans un ultime acte de déni et de défi, il ne chercha pas à se raviser.
Ce moment, figé dans le temps, se déroula en un souffle. La pièce semblait s’obscurcir alors que l’innocence de l’enfant, symbole de l’espoir de l’humanité, était menacée. Le cœur de Balthazar battait à tout rompre, mais son esprit, embrumé par la folie, ne connaissait plus la pitié. Dans un dernier geste cruel, il frappa l’enfant. À cet instant, il jeta les trois présents au sol – or, myrrhe et encens – en un tas stérile, ces trésors destinés à un roi, désormais voués à un destin tragique.
Les objets brillants tombèrent dans la poussière, leurs éclats scintillant dans la faible lumière de l’étable, mais sans aucune magie, sans aucune promesse. Leurs valeurs symboliques étaient réduites à néant, comme les espoirs qu’ils représentaient. La colère de Balthazar s’était tournée contre lui-même, et il se tenait là, incapable de revenir en arrière, regardant l’enfant avec un mélange de regret et de désespoir.
L’étable, autrefois baignée de lumière, était maintenant plongée dans une obscurité palpable. Balthazar, dans un dernier sursaut de lucidité, comprit l’horreur de ce qu'il venait de faire. Son esprit était désormais un champ de ruines, ravagé par le souvenir des rires de ses compagnons, par l’éclat des étoiles qui l’avaient guidé, et par le visage paisible de l’enfant, qui était sa seule chance de rédemption. Après avoir récupéré la lame, il tourna les talons, le cœur lourd, les pensées en désordre, et se dirigea vers l’extérieur, le souffle court, laissant derrière lui la promesse d’un avenir lumineux.
Dans l’obscurité, le vent du désert se leva, emportant les échos de la souffrance et de la trahison. Les cris de Marie résonnèrent encore dans son esprit, mais il s’en détourna, s’enfuyant dans la nuit comme un spectre, fuyant le poids insupportable de sa culpabilité.
Finalement, dans une ultime tentative de fuir la réalité de son acte, Balthazar se retrouva dans le désert, face à l’étendue infinie de sable et d’étoiles. Chaque grain semblait lui murmurer son nom, chaque étoile l’accusant d’une lumière implacable. Il avait voulu changer le destin, mais en agissant ainsi, il avait scellé le sien dans une désolation infinie.
Les souvenirs de Melchior et Gaspard, les rêves d’un monde meilleur, l’enfant au cœur pur, tout cela se mélangeait dans son esprit, formant un tourbillon de folie. Dans un dernier cri de désespoir, il se trancha la gorge.
Cette nuit marqua la fin de l’histoire avant même qu’elle n’ait commencé. L’esprit de Noël, cette figure généreuse qui aurait inspiré tant d’hommes à donner sans compter, disparut avant de naître. Le monde, privé de cette promesse de bonté, continua de tourner, mais l’ombre de l’égoïsme et de la peur régna longtemps sur les hommes, éteignant dans leur cœur la lumière d'un espoir universel.
Et depuis, chaque année, la nuit du 24 décembre se couvre d’un voile de silence et de mystère, comme si l’univers pleurait la perte d’un rêve qui n’a jamais vu le jour.

