Célébration

La brèche scellée, le fracas des combats apaisé, et le sang versé toujours frais dans les souvenirs, la soirée s’ouvrit sous le signe d’une solennelle félicitation. Dans la grande salle des hauts forges du Royaume de Père Peuplier, le vieux Gryngoir, digne gardien des traditions et des exploits, présida à un banquet en l’honneur de la vaillance de Byldrick la Cogne et de ses compagnons. Les feux des braises, tamisés par le crépuscule des souterrains, jetaient sur les murs d’ardoise des reflets chatoyants, et les chants ancestraux s’élevaient, portés par des voix rauques et fières.

Autour d’un immense banquet de viandes rôties, de racines savoureuses et de chopes débordantes de bière d’orge, les guerriers se remémorèrent, entre rires et silences méditatifs, le tumulte du combat. Les récits se succédaient, chacun exaltant l’inflexible détermination et la force tranquille qui avaient permis de repousser l’assaut des reptiliens. Byldrick, auréolé par l’émotion de l’instant, écoutait en silence ces légendes qui se tissaient autour de la bravoure et du sacrifice, tandis que la médaille d’acier, étincelante sous les lueurs vacillantes, reposait sur sa poitrine, témoignage indélébile de son courage.

Mais au cœur de cette liesse, un murmure discret s’éleva, porteur d’un présage nouveau. Une messagère, vêtue d’un manteau de cuir usé et le visage marqué par le vent des montagnes, se glissa dans la salle. D’une voix basse et assurée, elle déclara que, depuis les confins du réseau des tunnels, des échos d’une agitation inhabituelle se faisaient entendre. Un groupe d’ambassadeurs venus des confins du sous‑monde rapportait avoir aperçu, à la lisière d’un ancien passage oublié, une lueur étrangement mouvante et le frisson d’un danger qui n’était pas négligeable.

Vigilance

Le silence s’installa alors que les convives se penchaient vers la messagère, captivés par ce récit inattendu. Le vieux Gryngoir, les yeux plissés sous le poids des années et des batailles, prit la parole d’une voix grave : « Mes frères, notre victoire de ce jour, bien que glorieuse, ne doit point nous faire oublier que le destin, capricieux et implacable, tisse sans relâche la toile de nos vies. Si la brèche a été refermée, d’autres ombres guettent, et il nous appartient de veiller sur le Royaume, ici et au-delà de ces cavernes. »

Les discussions s’enflammèrent alors dans un murmure de sagesse et d’alerte. Tandis que la fête continuait, les guerriers évoquèrent la nécessité de redoubler de vigilance. Certains rappelaient les anciens récits des invasions oubliées, d’autres, avec une gravité toute particulière, mentionnaient les signes précurseurs d’une nouvelle menace émergeant des entrailles de la terre. La fête, malgré sa gaieté apparente, se teintait d’une lueur d’inquiétude mesurée, une alerte subtile portée par le savoir des anciens.

Byldrick, dans un moment d’intime réflexion, se leva et parcourut du regard l’assemblée. Ses yeux, emplis non plus seulement de la fierté du combat, mais aussi de la sagesse acquise au fil des épreuves, scrutèrent chaque visage. Il déclara d’une voix posée : « Ce banquet est notre célébration, notre moment de répit, mais il n’est point le repos final. Le Royaume a besoin de nous, et notre devoir est de préparer nos âmes et nos armes pour ce qui pourrait suivre. » Ses paroles, à la fois promesse et avertissement, furent accueillies par un frisson d’assentiment collectif.

La Légende enfle

Alors que le banquet se poursuivait, les convives levèrent leurs chopes en un toast vibrant à l’honneur des héros et à la pérennité du Royaume. La nuit s’étira, riche de récits, de chants et de serments murmurés dans le creuset des forges ancestrales. Le banquet des héros devint ainsi l’instant suspendu entre le souvenir glorieux du combat et la promesse d’un avenir où, ensemble, ils sauraient affronter les ténèbres, avec l’éclat indomptable d’une fraternité forgée dans le feu et le fer.

Ce fut dans ce climat de festivités et d’anticipation que s’acheva la soirée. Les convives, le cœur vibrant et l’esprit aiguisé par le devoir, prirent congé en silence, chacun portant en lui la certitude que, quoi qu’il advienne, la légende de leurs exploits, gravée dans la mémoire des pierres et dans le souffle des forges, ne s’éteindrait jamais. Ainsi s’inscrivait une nouvelle page dans l’histoire éternelle du Royaume de Père Peuplier, où la lumière du courage et de l’honneur brillait, immuable, au cœur des ténèbres.