Les pieds d’Alexandrine
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Les pieds d’Alexandrine
L’année a douze mois et le jour douze heures
À l’intérieur de moi quel est l’esprit chanteur
Qui m’a fait, moi, portée d’une étrange mesure
Qui a douze pieds de long et compte je l’assure
Sans que j’en sache rien la chanson de mes phrases
Quel est l’esprit chanteur qui me met cette emphase
Sans cesse sur la langue, sans que je puisse dire
Mon avis sur la chose et je suis soumise
À la pure cadence d’un mystérieux tempo.
Mère fut tisseuse et père horloger
D’elle j’ai le fuseau et de lui le rythme
C’est donc ça qui est chez moi tisse à pieds comptés
Des vers que, croyez-moi, je n’ai pas invités
Et qui me sont venus m’a dit ma nourrice
Alors qu’encore nue de connaissance
Petite, innocente dans mon berceau tout blanc
Je disais souriante, petit ange charmant
« ma mère bien-aimée, donnez-moi votre lait »
L’esprit chanteur voyez, s’était vite installé
Il a posé partout de très grandes armoires
Où il range surtout des contes et des histoires
Des phrases empilées comme des assiettes
Et quand l’inspiration vient me faire sa visite
Cette esprit polisson, léger comme une mite
Se rend à ses armoires, il en ouvre les portes
Et les piles rangées soigneusement par douze
Sautent dans ma bouche, toutes prêtes à l’emploi
Sur le papier se couche, et riment à chaque fois !
Même les mots d’amour qui montent de mon cœur
Ne peuvent échapper à mon esprit chanteur
Et je berce l’aimé de ces douze souliers
qui donnent à mes élans tournure d’épopée
Même sur les trottoirs en sautant sur les bords
Comme je faisais enfant rentrant de l’école
C’est la même histoire je compte douze bords
Et si un seul manque me voilà quasi folle
Et alors le haïku ce petit diamant doux
Dont j’adore en secret la nudité primaire
Quelle ruse mon ami il me faut, entre nous
Pour ne pas le parer de pieds supplémentaires !
Oh quel combat pour moi, quelle bataille sanguinaire
Pour réduire à si peu, à si maigre, à si frêle
Ce poème petit dans lequel tout est dit
Et quand il m’en vient un, quel instant de grâce
Cela veut bien dire, hein, que je peux décider
De sortir aussi seule sans mes douze godasses
Et qu’il ne tient qu’à moi de parfois les laisser
Dans l’armoire…
Alexandrine gaillard
Comtesse de césure