Les éclats sombres
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Les éclats sombres
Un matin d'automne
Les feuilles glissent et coulent au vent - ces larmes d’arbres - à l’abri des regards d’hommes, eux qui ne voient que l’automne et ne sentent que le froid gifler leurs visages rougis, tout emmitouflés de laine. Le petit matin brode tendrement un voile brumeux entre eux et le dehors, recouvrant leurs lunettes d’un nuage blanchâtre. Leurs pensées s’évaporent. Les spectres qu’ils croisent sur leur chemin se dissipent. Leur route apparaît et disparaît dans le même brouillard… Où va le monde ? Quel reliquat de conscience, quel rite mécanique guide leurs pas ? Floc, floc dans les flaques et les feuilles humides. Floc, floc sous les branches des arbres qui s’effeuillent. Jusqu’où iront-ils ? Ils viennent du néant pour mieux y retourner, jaillissant un instant dans le grand défilé, sous les yeux somnolant du spectateur que je suis.
Peinture de Karl Wilhem Diefenbach
La fenêtre ouverte
Cet effluve ardent dans l’air froid, comme un relent de feu de bois, évoque en moi la guerre. Plus précisément l’avant-guerre, dans une époque lointaine, au sortir de l’hiver. Je vois une charrette vide qui repose négligemment contre une muraille. Les pierres sont grises et sales comme le ciel qui plane sur nos têtes engourdies. Je sens la vie qui tourne au ralenti, dans un faubourg crasseux et cette tension dans l’air... On l’entendrait presque, à travers le silence morne, pesant et dépouillé, que brise, hasardeux, un oiseau de passage, ou un chien sur le qui-vive aboyant au lointain. C’est comme un dimanche, où l’on ne se prépare ni pour la messe, ni pour le marché, mais bien pour le pire. Un vrombissement de moteur et le grondement d’une voiture me rappellent à la réalité. Quelques éclats résonnent dans le quartier, bruits de vaisselle brisée, les nerfs qui lâchent, le ton qui monte, puis, plus rien. Des enfants qui parlent sans avoir l’air de jouer. Le temps se languit comme la chaussée sous les roues des voitures. Un calme inhabituel.
Gravure de Gustave Doré
La nouvelle épouse
Elle a franchi le seuil, la mariée, dans sa robe qui traîne. Elle emprunte le hall de l’infini. Elle monte vers la lumière. Elle avance, d’un pas lent, lancinant et portant le fardeau de la guerre, couvre ses meurtrissures, d’un voile immaculé. Le linceul éclipse son visage d’ange. Elle s’en va répondant à son destin funeste, se marier à la mort.
Peinture de Witold Pruszkowski