

J'y va t-y j'y va t-y pas, se laisser regarder
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy7 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
J'y va t-y j'y va t-y pas, se laisser regarder
Après l’amputation, une fois que tout est remis en place, si je peux dire, je demande à un copain, Pierre, s’il veut bien m’accompagner à la piscine.
J’ai toujours aimé l’eau, encore plus dans une piscine.
Pierre accepte de m’accompagner. Nous allons donc à la piscine de Valenciennes à la date que nous avons décidé. J’arrive avant Pierre. De l’extérieur on peut voir ce qui se passe dans la piscine grâce à un mur qui est une verrière. Je regarde. C’est un joyeux spectacle d’enfants qui sautent, plongent, nagent, jouent.
Si le spectacle est joyeux, il me fait peur. Je ne me vois pas entrer dans l’eau à cloche pied.
Je vais être le spectacle.
Pierre arrive. Il me rejoins et dis :
- Alors ? On y va ?
Je fais la moue et lui montre d’un coup de tête le bassin plein de remous et d’éclaboussures. Pierre repose sa question :
- On y va ?
- Pas aujourd’hui. J’ose pas.
Pierre n’insiste pas et nous reprenons un rendez-vous.
J’ai été trois fois devant cette piscine avant d’oser entrer. Pierre ne m’a jamais forcé la main. S’il m’avait dit : ‘T’es con, tu vas voir, ça va bien se passer’ je crois que je ne serais jamais entré. Il m’a laissé vivre et décider à mon rythme. Merci Pierre !
Je suis enfin dans cette piscine, assis sur un banc le long du grand bassin. Je regarde les enfants qui s’amusent et crient de joie. je me décide à ôter la prothèse. Une main sur l’épaule de mon ami Pierre, je m’approche à cloche pied du bassin et je plonge.
Quel bonheur, quel délice. Je glisse sur l’eau et retrouve les gestes que je pensais oubliés. Je suis bien dans mon corps qui se détend au contact de l’eau.
Pour sortir c’est difficile. Je n’avais pas pensé à ça ! Je ne vais pas passer le reste de ma vie dans la piscine ! Je m’approche d’une échelle et je monte sur les genoux pour retrouver le sol. A cloche pied, (sans glisser !) je retrouve le banc. J’essuie le moignon, je remets la prothèse immédiatement.
J’ai senti les regards sur moi lorsque je suis sorti du bassin. Je me dis que j’aurais fait pareil. Normal que le regard soit attiré par un spectacle inhabituel.
Je reste assis, une serviette sur les genoux pour cacher mes misères. Un jeune d’une quinzaine d’année approche et sans s’arrêter, il dit en passant :
- Bravo ! Vous êtes courageux monsieur.

