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Partie 2

Partie 2

Published Apr 15, 2025 Updated Apr 15, 2025 Tale
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Partie 2

Dans le néant du monde

Partie 2



Le temps s’écoulait, les lunes se succédaient et le soleil se leva de multiples fois. L’été se fit plus rude, la faim devint impitoyable et la terre se craquela. Les jours passaient et Motema traversait résolument la forêt. Le paysage défilait autour d’elle et se succédait en une myriade de territoires inconnus et hostiles. Bientôt, elle finit par atteindre les limites de son univers sylvestre où les arbres centenaires n’étaient désormais que des troncs abattus et dévorés par la pourriture. Devant elle, une lande désolée s’étendait à perte de vue et se confondait avec le ciel. Et dans le lointain, perdue à l’horizon, se dressait une forêt de béton enveloppée d'un épais brouillard dont l'odeur la répugnait. La Haine qui l’accompagnait la défendait d’y aller mais elle voulait une réponse à la Question qui la taraudait. Une lutte violente se déroulait en elle et les ténèbres de la Haine semblaient gagner, mais la volonté de savoir l'emporta. Alors, résolue, elle s’avança.

À peine eut-elle fait un pas qu’un fil de lumière referma ses mâchoires voraces sur sa patte et lui déchira la chair. Emprisonnée par le même piège qui avait occis sa mère, elle se débattait, impuissante contre le collet de fer. Le sang coulait et la terre assoiffée s’en abreuvait, avide du liquide vermeil comme elle le serait de la pluie. Plus elle bougeait, plus le fil tranchant s'enfonçait dans sa chair. Folle de douleur, elle tirait sur le lien qui, heureusement défectueux, rompit et la libéra au prix de sa patte meurtrie, dont les chairs sectionnées pendaient lamentablement en lambeaux sur un os blanchâtre.

Blessée par l’Homme dans sa chair et dans son cœur, Motema sentit de nouveau la haine la submerger. Luttant contre le néant elle poursuivit sa route à travers la lande désolée et, sa patte meurtrie relevée, elle entra en claudiquant dans l’antre du meurtrier.

Cet univers tout nouveau était étrange pour elle. Le soleil était caché par les hauts bâtiments et la terre avait disparue des ruelles. Le béton et le ciment avaient tout recouvert, rendent gris un monde autrefois si vert. Les cieux pollués couleur de bitume étaient eux aussi dénaturés. C'était un paysage détruit, changé pour l’éternité. Dans ce territoire hostile où tout semblait mort, flottait aussi, inconnue dans sa clairière, l'odeur de la misère.

La Misère était partout. Gisant dans les caniveaux à attendre le repos éternel et suppliant le ciel de paroles balbutiées et inaudibles. Accroupie au bord d’un maigre feu essayant de réchauffer ses mains abîmées par la pauvreté. Ou encore criant famine sous un abri de fortune, collant contre son maigre sein un enfant décharné par la faim. Motema pataugeait dans cette mare de détresse qui lui engluait les pattes et poissait sa fourrure. Elle était étrangère à ce monde où les pleurs se mêlaient au sang des agonisants, suppliant aux portes closes des riches vivants.

Effarée par tant d'indigence, la renarde héla un chien efflanqué qui fouillait dans les bennes et elle lui demanda ce qui causait toute cette peine.

« Mais c’est l’Homme, répondit-il sans hésiter. Regarde autour de toi, nous sommes dans sa ville, il la contrôle et en fait ce qu’il veut ! Il l’a bâtie sur les cendres d’un bois et en a fait un délicieux enfer ! »

- Mais quel genre de monstre est-il pour laisser ainsi ses congénères dans la misère ? Ce n’est pas une ville, c’est un cimetière de béton !

- Dis ce que tu veux, moi je me sens bien ici. Il y fait chaud et on y trouve de la nourriture agonisant dans chaque caniveaux.

- Mais que veut l'Homme. Le sais-tu chien ?

- Ce qu’il veut ? C’est le monde ! Maintenant laisse moi, j’ai à faire.

Puis retournant à sa besogne, il fit bombance, laissant Motema ahurie. Le repas bruyant du chien lui rappela qu’elle aussi avait faim. Mais à peine s’était elle approchée du festin que la bête lui montra les crocs en grondant, l’incitant à reprendre son chemin. Dans ce monde en putréfaction, il y avait de la nourriture à chaque coin de rue mais les rats énormes qu’elle convoitait étaient bien trop rapides pour sa patte meurtrie. Alors les membres creux et l’estomac frémissant elle continua sa route à travers se dédale de misère durant tout le jour et toute la nuit. Mais aux premières lueurs d'une aube sanglante, ses forces l’abandonnèrent et elle se retrouva à son tour gisant à l’ombre d’un mur. Elle y resta agonisante durant de longs jours, sa patte nécrosée attirant la vermine et les rats. Un jour où elle se sentait retourner dans son pays natal, accompagnée par le croassement lugubre des corbeaux, un enfant la sortit de sa torpeur d’agonie.

Il était tout petit, déformé par les années de famine, les pieds et le visages crasseux, ses cheveux emmêlés par la boue et le sang. Il regardait cette bête qu’il pensait être un chien durant de longues secondes et attendri par son sort, – malgré son propre estomac qui criait famine – lui laissa son maigre repas : un bout de pain rassi et à moitié rongé par la moisissure. Puis il s’éloigna clopinant sur ses jambes torses d’infirme et disparut, comme avalé par l'abîme.

Motema ne comprenait pas pourquoi cet être aussi miséreux qu’elle lui avait fait don de son pain. Elle regardait la nourriture ébahie, dévisageant le présent que lui avait fait l’enfant. Mais reconnaissante envers la bonté de ce fils d’Homme, elle rassembla ses dernières forces et s’en revigora afin de reprendre son chemin.

Ses pas incertains la menèrent dans un endroit désert que les bruits quotidiens des citadins ne venaient pas troubler. Les hautes tours de béton semblaient à l’abandon et les briques noires de suie s’effritaient. Des touffes d'herbe poussaient entre les fissures du goudron et seul le clapotis d’une eau polluée venait briser le silence morne de ce lieu mort. L’air était vicié et la terre souillée mais la vie subsistait grâce aux oiseaux et aux rats. Sortant de l’ombre, un renard décharné au fin museau espiègle la héla. « Que fais-tu ici habitante des forêts ? »

- Je cherche une contrée sans Homme, répondit-elle méfiante à ce frère altéré.

- Alors ne cherche plus, tu l’as trouvée. Cela fait des décennies qu’il ne met plus les pieds ici.

- Mais cet endroit est souillé ! Comment peut-on y vivre ?

- Ne t’en fais pas, on s’y adapte. Certes l’air est impur, l’eau contaminée et la terre morte, mais au moins ici nous sommes tranquilles. Dans ce monde où règne l’Homme, il faut savoir se contenter des miettes.

- Où sommes-nous ?

- Dans un ancien site minier. Pendant des siècles l’Homme l’a dominé et exploité, rejetant dans le ciel une fumée noire et polluée. Il a creusé la terre à la recherche de sombres pierres et toute la vallée résonnait de son fracas de destruction. Quand l’air devint toxique et les murs noirs de suie, l’Homme vénal s’en est allé, à la recherche d’un autre lieu à annihiler. C’est alors que nous sommes arrivés, pour profiter de la paix de ce monde délaissé.

Motema comprit alors que la seule contrée que les humains désertaient était celle qu’ils avaient eux-même détruite. Ils fuyaient leurs propres ravages. Elle regarda son congénère gangrené, avec ses yeux jaunes et ses crocs endommagés. Le renard qui se tenait devant elle n’était plus une bête mais le spectre d’un être détruit par l’Humanité. Tout autour d’elle était le fruit d’un monde pourri par la folie de l’Homme. Horrifiée par cette vision de destruction, elle s'enfuit de ce pays dénaturé.

Elle retraversa cette ville bâtie sur la cendre et le sang dont le cri de misère vociférait puissamment à ses oreilles. Ainsi s'achevait son voyage à travers le néant du monde. Elle arriva dans la lande dénudée où elle sentait les milliers d’ossements ensevelis sous ses pieds, recouverts d'une terre qui avait l’aspect de cendres et de poussières. Elle entra enfin dans la forêt dont les fières gardiens abattus étaient les vestiges d’un être qui aimait la destruction. Elle passa devant le piège affamé qui lui avait volé sa patte et qui en avait emporté bien d’autres avant elle. Mais elle allait bientôt savoir que sa forêt réconfortante n’était pas à l’abri du vil humain qui détruisait tout ce qu’il convoitait...

Dans le lointain sous-bois, assis sur un tronc abattu, le chasseur affûtait sa lame, ses yeux avides posés sur ce territoire qu’il désirait. Une cigarette à la bouche, il observait à ses pieds le cadavre de sa dernière proie, un cerf aux ramures imposantes. Son corps puissant désormais inerte reposait sur le terre, en proie aux asticots et aux vers. Le chasseur se releva,dominant de toute sa hauteur le roi déchu et jeta son mégot à terre. Puis sans même se retourner, sans son trophée s'en fut.

Les fines herbes séchées par le torride soleil d’été, en recevant ce présent incandescent s’embrasèrent instantanément. Des langues de feu s’élevèrent à leur tour, consumant leur berceau et, avides comme leur maître, léchèrent le tronc au pied duquel elles étaient nées. L’arbre mordu s’enflamma à son tour, transmettant ainsi le mal ardent à ses frères. Peu à peu le feu grossissait, se nourrissant de ces végétaux centenaires, guidé par son féroce appétit, il semblait désirer dévorer la Terre.

Motema arriva au moment où la bête ardente se dressait au dessus de la canopée pour rugir aux cieux, étendant ses bras incandescents sur les cimes. Les animaux fuyaient, effrayés par ce monstre géant qui se répandait en hurlant. Le brasier devint tel qu’il incendia même le ciel qui se teinta de rouge comme une traînée sanglante. Dans ce royaume de flammes, la bête dévorait tout sur son passage, ne laissant que des cendres dans son sillage.

La renarde regardait ce spectacle macabre, tétanisée par le feu qui venait sur elle en rugissant. Dans le ciel sanguinolent, les corbeaux croassaient, et dans un tourbillons de plumes noires ils se réjouissaient du désespoir. Motema regardait impuissante son pays natal qui brûlait, énième victime de la folie de l'Homme. Dans sa consternation elle avait enfin trouvé la réponse à sa question.

L’Homme était un monstre. Une bête dénaturée dont la cupidité souillait son cœur pourtant bon. Il répandait autour de lui mort et désolation et était avide du monde qu’il voulait posséder tout entier. Mais Motema savait au fond de son être qu’à force de tout vouloir, l’Homme finirait par tous les détruire et lui avec.


Dans la ville de misère, les habitants regardaient le ciel devenu sanglant, ne comprenant pas le désastre du pays sylvestre. Sourds au monde vivant qui agonisait, ils n’entendaient pas la forêt qui dans le lointain, hurlait.



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Lorelei verif

Lorelei Haberey 23 hours ago

Voici donc la fin de cette courte nouvelle, exclusivement du premier jet. J'espère qu'elle vous aura plu et merci de l'avoir lue.

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