Sous l’arbre à palabre
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Sous l’arbre à palabre
24 Janv 13
Il est 17h. Je retrouve mes amis du FB Stars chez eux, à Mayanga, une des communes à la périphérie de Brazzaville, ou l’on se sent presque à la campagne, entourés d’une végétation verte et luxuriante. Après avoir fait les salutations d’usage dans leur parcelle à la famille Batola, nous rejoignons les autres, sous l’arbre un peu plus en contrebas. Je les retrouve là, tous assis sur des rondins de bois ou bancs de fortune aménagés, sous un grand manguier, en train de discuter avec les autres jeunes du quartier. « Oh, Charles ! » On m’accueille chaleureusement, on se tape dans les mains, on se presse contre les poitrines, on se salue en se cognant la tête, et on me fait installer.
C’est ici qu’ils se retrouvent tous les jours. C’est un lieu de rassemblement où chacun sait qu’à tout moment il pourra y retrouver d’autres gens. On y va, on en vient, on se pose et on prend la température des dernières actualités du moment. Chacun amène ses histoires, ses connaissances, ses réflexions. On y débat des problèmes des uns et des autres, on avise, on objecte, on prodigue ses conseils ou ses opinions.
Moi, je suis assis parmi eux et j’observe la fluidité de ces échanges. Tous font l’effort de parler en Français et non en Lari, leur langue maternelle dont ils maitrisent pourtant mieux les nuances pour pouvoir s’exprimer correctement. On me fait prendre part à la conversation, on me questionne, on m’explique les réalités du Congo. On y parle de politique et des travers du régime de Sassou ; on parle d’Histoire, des différents royaumes avant la colonisation jusqu’aux évènements récents et les guerres civiles qui ont tant marqué les esprits ; on m’explique les différentes ethnies, leurs origines, leurs dialectes respectifs, les rivalités qui existent ; On me parle de sorcellerie, des pouvoirs occultes et on me conte des histoires funestes.
Ce dernier aspect est probablement le plus surprenant pour un occidental qui a toujours baigné dans le rationnel et l’esprit critique. On pourrait sourire de voir tous ces camarades aux discours très censés nous raconter avec forte conviction l’histoire d’un avion miniature que des vieux d’un village auraient transformé quelques heures pour pouvoir aller visiter Paris. L’histoire de Air Makana est pourtant célèbre dans tout le pays et aurait même suscité une enquête des autorités françaises. Mais il ne faut pas oublier que cette dimension magique fait partie intégrante de la culture africaine. Nombre conflits entre les gens trouvent leur explication dans un sort qu’un protagoniste aurait jeté sur l’autre après un différend. Les tribunaux coutumiers jugent en permanence des histoires de sorcellerie, où quelqu’un par vengeance ou avidité aurait joué un tour à un autre. Tous les dirigeants africains s’entourent d’une pléiade de sorciers aux pouvoirs occultes qui leur permettraient d’asseoir leur pouvoir et de se prémunir des sorts de leurs opposants. C’est la franc-maçonnerie à l’africaine, autour de laquelle gravitent de nombreuses histoires mystérieuses de cannibalisme et de sacrifices humains.
On est dans une autre dimension, issue de la tradition orale, dont on ne distingue plus où se situent l’histoire originale et son cortège de légendes. Sous l'arbre à palabres, on se les raconte, on les écoute avec attention, et on les transmet à son tour au suivant. Finalement, peu importe que mon esprit critique accepte ou non d’adhérer à ces histoires intrigantes. C’est pour moi surtout l’occasion d’échanger avec mes amis congolais de ce qui participe de leur culture, eux qui me font l’honneur de partager avec moi ces savoirs, et d’accéder ainsi un peu plus à l’essence de la pensée africaine.