Deux enfants
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Deux enfants
12Avril 13
Il y a d’abord F.
F.est un gamin de 11 ans. Il a 11ans et il pèse 13 kg. Je ne sais pas si vous vous voyez ce que ça représente. Il a perdu sa mère, qui était elle même atteint du VIH, et son père on n’en sait rien. Il a été depuis recueilli par sa tante, comme c’est si souvent le cas ici. Je ne sais pas comment on en est arrivé là. En tout cas, quand sa tante arrive dans mon bureau, elle a un gamin noué dans le dos avec un pagne. Il s’agitde F.. Je comprends rapidement que F. n’est plus un bébé mais un enfant,et que si la tante le porte comme ça c’est qu’il ne peut plus marcher. Il est décharné comme un gamin qui sortirait tout droit d’Auschwitz ou d’une famine en Somalie. Il n’a plus la force de quoi que ce soit. Il présente de multiples problèmes, dont le premier est qu’il n’arrive plus à s’alimenter. Il ne mange plus, il ne boit plus, il a la diarrhée depuis plus d'un mois. Il est dans un état très critique. Il sort pourtant d’un mois d’hospitalisation durant lequel on l’a perfusé et surveillé, prise en charge minimum si souvent pratiquée ici au Congo, faute de moyens. Il n’a surtout plus envie d’y retourner. On essaie d’éviter un temps l’hospitalisation, de traiter la candidose buccale et les vers dans le ventre, de démarrer le traitement pour le virus, mais rien n’y fait. Il faut le ré-hospitaliser.
Je l’ai revu ce jour. Un mois d’hospitalisation. Un mois de perfusion de sérum physiologique. Il est toujours aussi décharné, il n’a pas pris un kilo. Pourtant sa tante me dit que ca va mieux ; que depuis quelques jours il mange un peu et arrive un peu à marcher. Je la regarde d’un air un peu sceptique, mais j’ai envie de la croire. Peut être plutôt ai-je besoin de la croire. Je renouvelle son traitement, m’occupe de la mycose buccale non pris en charge en service hospitalier et pourtant si handicapante pour la reprise de l’alimentation, et laisse repartir F., la mort dans l’âme et le cœur serré, en me demandant s’il sera encore là à la prochaine consultation.
Et puis il y a B.
B. est un gamin de 13 ans qui pèse ses 19kg à peine. Lui, il est suivi depuis longtemps ici. Il est orphelin de mère et vit avec son père. La première fois qu’il consulte dans mon bureau, il vient seul. Il m’explique qu’il a l’habitude, que son père n’a pas le temps de l’accompagner ici. Je bondis, quand on sait l’importance du soutien parental pour une bonne prise des médicaments ; et je bondis encore plus quand je constate l’état catastrophique de sa santé et son taux de CD4 nul, ce qui traduit l’échec thérapeutique le plus patent.
Je comprends peu à peu l’histoire. Depuis que la mère est morte, le père s’est remis avec quelqu’un d’autre qui ne veut pas de cet enfant. B. n’était pas bien en point et il a fallu changer de ligne de traitement pour retrouver une efficacité, mais le père à ce moment l’avait déjà enterré. Depuis le père est démissionnaire. Il ne voit dans la survie de son fils qu’un gouffre financier, pour quoi au final ? Il va mourir. Il est démissionnaire, agressif envers l’enfant, et lui reproche en permanence de tout ce qu’il lui coute. Alors forcément B. intériorise tout ça et a décidé d’arrêter son traitement et de se laisser dépérir, comme ça il emmerdera moins les gens.
Je convoque le père par écrit, en refusant de consulter l’enfant seul. Le père finalement vient. Il m’explique que l’enfant ne prend pas ses médicaments s’il n’est pas là, et que maintenant il se fait vomir les médicaments pris devant lui sur le chemin de l’école. Il engueule son fils tout au long de la consultation, lui dit que tout ça c’est sa faute, son état de santé et la chute des cd4. B. n’ose rien me dire, puis quand je parviens à faire sortir le père, il me lâche quelques mots sur ses douleurs physiques, rien de plus. C’est la croix et la bannière pour persuader le père que son fils est dans un état très critique et nécessite une hospitalisation. Je les laisse repartir, une lettre en main et la boule au ventre, persuadé que le père ne l’hospitalisera pas du fait du cout. Je me trompe et finalement B est hospitalisé 15j pour perfusion et poly antibiothérapie.
Je les revois ce jour. B. n’a pas pris un kg, ne m’adresse pas un mot, et se fait à nouveau vomir les médicaments. Le père est toujours agressif envers l’enfant, mais depuis j’arrive à le neutraliser. Mais B. ne me parle pas. Finalement c’est Landry qui arrive à lui faire décrocher quelques mots, un sourire, et une ébauche de conviction de reprendre son traitement. Ce médicament élément centralisateur de toutes les tensions avec le père, qui n’hésite pas à lui écraser les joues pour lui faire ouvrir la bouche et constater que le médicament a bien été avalé. Je ne sais pas ce qu’il va advenir de B., mais il n’y a rien sur la protection de l’enfance ici et il n’est absolument pas dans un cadre propice à amélioration.
Je ne sais pas trop pourquoi je vous raconte tout ça. Ce sont les deux cas qui se sont succédés coup sur coup ces derniers jours. Mes deux patients qui m’ont causé le plus de préoccupations. Pourtant la quasi totalité des patients vivent très bien avec le VIH, il ne faut pas croire que c’est la misère du monde tous les jours. Mais le cas de ces deux enfants me laisse entrevoir combien cette maladie est dramatique si elle n’est pas correctement prise en charge. Et c’est encore plus dur quand il s’agit d’enfants.