La particule particulière
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La particule particulière
Je venais à peine de fermer les yeux quand, comme des rois mages, déboulèrent à dos de dromadaires Galilée, Newton, Einstein et quelques autres. Et nous voilà partis vers les étoiles faire du toboggan sur les courbures de l’espace-temps. J’ai laissé mes petits vieux à bout de souffle à l’horizon d’un trou noir. Pour les revenants, un trou noir c’est troublant. Ils décidèrent de s’arrêter un instant pour souffler et boire un vin chaud en observant, émerveillés, les tourbillons des nébuleuses dans l’entonnoir de cette déformation extrême. Je me retournai et j’aperçus un magnifique champ de Higgs tout proche, vierge, immaculé, pas une seule trace de particule. Je chaussais mes skis galactiques et me lançais. Le champ était bleu et drapé comme le manteau de Marie dans un tableau de Mariotto Albertinelli qui lui même était comme un champ de neige au crépuscule. J’étais grisé par la vitesse (proche de celle de la lumière, vous-vous en doutez), une légère brise stellaire me caressait les joues.
Un jeune cosmologiste de Grenoble aperçu la rayure que j’avais laissé dans le ciel. Il saisit sa tablette quantique à surface transparente et avec son stylet de nacre commença à prendre des notes. Son écriture ressemblait au cordon d’une soudure sur une tôle d’acier inoxydable. Elle formait des vaguelettes moirées qui, aussitôt solidifiées, disparaissaient dans la mémoire de son carnet électronique. J’eus juste le temps d’apercevoir « Zobon J-68 ». C’est ainsi qu’il m’avait nommé. En abrégé ZJ-68. Z indice J, je comprenais, mais pourquoi tiret 68 ? 67 aurait été en référence à mon âge, mais 68 … 38 aurait pu être le département de l’Isère d’où l’observation fut faite. 68 ce n’était ni un jour, ni, un mois, ni une heure. Un 69 timide, peut-être ? Peut-être aimait t-il, tout simplement, partir en vacances dans le Haut-Rhin ? … Bref, je pense qu’on on ne le saura jamais.
Plus tard, beaucoup plus tard, bien après ma mort, un article paru dans la revue « Nature » du 26 mai 2052 à 09:55 informait la communauté scientifique que cette fine rayure dans le ciel avait occupé notre astrophysicien grenoblois durant 30 ans. Il avait travaillé 30 années durant à résoudre ce paradoxe : pourquoi une particule aussi massive que le Zobon J-68 avait laissé de son passage une trace aussi ténue, presque imperceptible ?
- Photo d’entête : Julien Ziemniak
- site internet : jb-photographies.net