Ma femme, nos chiens et moi habitons le comté de Samba. A droite il y a celui de Waltz et au-delà ceux de Java et de Twist. A gauche il y a le comté de Jerk au-delà du quel il n’y a plus rien.

Au dessus ? Il n’y pas de dessus, ni de dessous. Le dessus et le dessous sont allés voir ailleurs s’ils y étaient et ils y sont restés. Dans un monde perpendiculaire. Désormais la gauche est à gauche et la droite à droite pour tout le monde. Si, assis face à face, nous avons ma femme et moi la même idée au même moment, par exemple celle d’aller à droite, nous partons dans des directions opposées. Ça n’a pas de sens. C’est même un non-sens, vu que ma femme et moi nous aimons aller ensemble dans l’un des sens*.

Les comtés de Java et de Twist sont des pays où aucun habitant de Samba n’est encore allé ni même revenu, forcément. Ainsi nous pouvons en parler doctement et avec autorité. Quand j’étais petit on me racontait des histoires d’ogres et de sorcières. Aujourd’hui pour faire peur aux enfants de Samba nous leur racontons les épopées des habitants de Java. L’une des plus troublante est celle d’Onille Urrbud**. Un sorcier de la rue de Bercy lui jeta un sort. Elle en est tellement malheureuse que tout l’irrite. L’argent et les banques surtout. Une banque ? Essayez d’imager un bâtiment équipé de grilles et de fortes portes en acier. On y entasse des tonnes de feuilles de papier imprimées des deux côtés et des cubes fait d’un métal jaune très lourd. Il y en a qui aiment tant ces prospectus colorés qu’ils y pénètrent de force et les emportent avec eux. Dès lors, d’autres habitants de Java se mettent sur la tête une sorte de cylindre plat en feutre et toile cirée, noir et bleu-marine, que l’on appelle képi. Ils leur courent après. Puis ils les attrapent et les enferment dans d’autres bâtiments avec aussi des grilles et des portes en acier. Cette fois on les appelle prisons. Deux noms différents pour deux bâtiments presque identiques, quelle drôle d’idée !

Le comté de Samba a aussi sa monnaie. Chaque maison à sa cave à monnaie. C’est une pièce de 10 à 12 mètres carrés, basse de plafond. C’est au plafond que pousse, plus ou moins bien d’ailleurs, notre argent. Il pousse en faisceaux colorés, un peu comme des câbles électriques. Plus le faisceau et épais et long plus il a de la valeur. Si la cave à monnaie a un plafond et un sol elle n’a pas de murs. Pour maintenir l’obscurité elle est équipée de rideaux aphotoniques à effondrement superposé de sorte que vous pouvez y pénétrer facilement sans pour autant y faire entrer la lumière. Je profite de cette obscurité pour y forcer quelques endives et de la trévise, comme ça quand M me demande de lui prêter de l’argent et que mon argent préfère rester avec moi elle repart avec une caissette de chicons et est, du coup, moins triste.

* Ça c’est pour Bernard.
** Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.

• Photo d’entête : Bożena et Julien Ziemniak
• site internet : jb-photographies.net