

La frêle dame
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La frêle dame
Dès que je passe dans cette ruelle je ne peux que remarquer cette étrange arche comme sortie de terre. Elle s’impose, malgré la discrétion de ses formes, se pose là intacte ou presque malgré le chaos que l’on arrive à deviner autour d’elle. Elle a survécu. Une arche semble si frêle et fragile face à ces bâtiments massifs qui soulignent une puissance et une indestructibilité. Comment avait-elle pu résister là où d’autres plus forts qu’elles avaient échoué. Deux pieds, un arrondi survolant comme suspendu à rien. Les arches m’ont toujours donné l’envie de poser un tuteur au milieu comme si la force exercée n’était pas suffisante pour supporter l’édifice. Cela valait pour les ponts sous lesquels je passais, le souffle coupé parfois, ma dernière heure semblant toute proche. Celle-ci était ancienne, semblait friable à la limite de l’effondrement. Des enfants auraient pu jouer à la roulette russe en dessous je pense, ce qui n’était pas bien prudent et m’inquiétait un peu.
Je m’approchais maintenant après y être passé une centaine de fois auparavant. Je la touche. Sens des vibrations qui ne me disent rien de bon. Je retire ma main comme si j’avais vu un fantôme. Curieuse de nature, cartésienne de surcroît je m’y risque de nouveau. Une vibration encore, cette fois ci je laisse ma main. La frêle dame me happe. Je me sens d’un seul coup comme désossée, une partie de mes attributs ayant été catapultée tandis que l’autre partie plus puissante que jamais commence à envahir mon corps. Je prends peur. Une voix soudaine me sort de ma torpeur tout en m’y enfonçant une peu plus. « J’ai pris ce que tu as de plus beau, tout ce que tu considères comme le plus difficile pour exister, tes faiblesses et tes fragilités. Je les ai polies, choyées et aimées pour te les redonner. Elles constituent maintenant tes pieds. Je suis aussi frêle que forte. Mes pieds sont de plomb, ma tête d’argile. J’ai l’air fragile mais je n’ai pas besoin de tuteur, je tiens toute seule. Que le vent se lève, que la terre tremble, mes pieds et mes jambes resteront en place et protègeront ma Tête. Tu es à mon image. Vis. Que les événements te touchent, qu’ils frôlent ton esprit, qu’ils te tourmentent je ne peux l’empêcher et c’est d’une certaine manière bien mieux mais tu ne failliras point, tu avanceras contre vents et marées. Je ne souhaite aucun mal au colosse au pied d’argile mais la frêle aux pieds de plomb tient bien mieux la distance, j’en suis l’exemple le plus parlant »
Alors que la voix s’estompait, je comprenais. Des années durant j’avais regardé ces gens qui semblaient avoir des nerfs d’acier, une vie sans problème, une force intérieure incroyable leur permettant de réussir ce qu’ils entreprenaient sans difficulté, avec envie. Aujourd’hui je comprenais la forme et le fond, la face immergée et émergée, l’ombre et la lumière, le yin et le yang, la dualité de l’esprit et l’importance des fragilités s’équilibrant à merveille avec mes forces. J’étais libérée.
Choyer ses parties les plus sombres, celles sur lesquelles personne ne miserait, celles qui semblent pourrir nos existences permet de révéler des forces insoupçonnées. L’apparente fragilité cache bien plus souvent qu’on ne le croit des pieds de plomb résistant bien mieux aux événements les plus terribles. Mon arche avait résisté au pire, je jouerai à la roulette russe et passerai sous les ponts. Je me méfierai plus de ces monuments carrés avec une apparente base solide qui s’enorgueillissent d’une force pourtant précaire. Les fêlures seront mes amies tout comme les trous dans la glace ou les mauvaises herbes. Il paraît qu’il n’existe pas de mauvaises herbes. On les pense inutiles et néfastes. Elles repoussent toujours animées par un désir de vivre comme si leur place dans ce monde allait un jour être révélée. L’arche m’avait révélée. Je la regarde emplie de reconnaissance et la laisse espérant qu’une autre âme aurait un jour la chance de la rencontrer.

