Il pleuvait à grosses gouttes. Le service de nuit touchait à sa fin quand une femme est entrée. Elle s’est précipitée vers Becky, et a commandé ce qu’on avait de plus rapide à servir avant de s’asseoir sur le tabouret du bar. Becky lui a apporté un muffin qu’elle a avalé d’une traite. Elle était à deux doigts de s’étouffer. Je lui ai tendu un verre d’eau. Je sentais que quelque chose n’allait pas. Elle m’a regardé, s’est excusée : “Désolée, vraiment, mais je n’ai que 10 minutes.”

Je n’ai pas posé de question. J’ai acquiescé silencieusement et suis retourné laver mes verres. Elle s’est essuyé la bouche, puis elle a bu une gorgée avant d’ajouter, les yeux rivés sur l’horloge :

“Dans 10 minutes ça ira mieux !” Et avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, elle a ajouté qu’il l’avait bien cherché. J’essaie de ne pas trop me mêler de la vie des clients, mais la curiosité l’a emporté. Je lui ai demandé ce qu’elle allait faire dans 10 minutes. Elle m’a montré une carte avec la date et l’horaire indiqués juste sous le logo du Loop.

Tout ce qui tourne autour du Loop m’intrigue. Je ne pouvais laisser passer l’occasion d’en apprendre un peu plus sur ce qu’il s’y passait. J’ai donc demandé quel était le but de ce rendez-vous :

“Je n’ai pas vraiment le temps de vous expliquer, mais pour faire court, je vais au Loop pour me libérer d’un poids qui m’empêche de vivre ma vie comme je le voudrais. D’ailleurs, je vais devoir vous laisser, pardonnez-moi. Il est temps qu’il disparaisse définitivement de ma mémoire.”

Elle nous a remerciés et s’est précipitée dehors alors que l’aurore pointait à l’horizon.

“Elle va se faire effacer la mémoire !” Flocky se tenait à côté de moi, un balai dans les mains, le regard tourné vers la porte d’entrée qui battait encore.

"Le Loop a mis au point une machine capable d’effacer des souvenirs de notre mémoire. Il cible un sujet ou une époque en particulier et en retire jusqu’à la moindre évocation.

— Il l’a bien cherché… bredouillais-je

— M’est avis que ce "il" ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir, voire même plus rien du tout. Rien de tel qu’un effaceur mémoriel pour faire oublier une peine de cœur. Il ne peut y avoir de chagrin d’amour si l’amour n’a jamais existé. Il ne sera plus qu’un étranger pour elle. Ils n’auront plus aucun souvenir en commun, ni les mauvais, ni les bons.

— Mais alors, qui sera-t-elle une fois délestée d’une partie de sa vie ? Si les rencontres, les histoires, les souffrances et les joies qui forgent notre identité peuvent être effacées, qui devient-on ?

— Une autre version de nous-même, Hopper, une autre version de nous-même…"