Après un bref séjour dans nos cachots, Jack, Franck et Justine avaient été installés par Marcus dans un petit chalet à la lisière de la forêt. Un moyen facile de les garder à l'œil tout en protégeant la meute. Au début, des gardes y étaient postés jour et nuit, épiant leurs moindres faits et gestes, jusqu'à ce qu'ils nous démontrent qu'ils ne représentaient aucun danger pour nous.

Une fois leur cérémonie d'intégration terminée, Marcus leur avait proposé de rejoindre la maison de la meute. La tradition voulait que tous les loups non accouplés de plus de 19 ans y résident. Dès qu'ils trouvaient leur compagnon, ils rejoignaient le village pour y fonder leur foyer. Mais ces trois-là avaient refusé. Ils avaient choisi de rester ensemble et de ne pas s'impliquer dans le quotidien de la meute. On ne les voyait même pas au réfectoire ! J'aurais dû me méfier ! J'aurais dû insister pour qu'ils soient surveillés par des guerriers, mais j'avais failli à ma tâche. À mon devoir d'alpha.

― C'est pas beau à voir... déclara Marcus en nous accueillant Lia et moi à l'entrée du chalet.

Une puissante odeur de mort mêlée à celle du sang imprégnait l'atmosphère. Merde ! Que s'était-il passé ici ? Je scrutai le visage de mon bêta à la recherche de réponses. Son expression était sombre. Ses traits tirés par la fatigue et l'effroi. Et son regard fuyant.

Je sentis une main s'enrouler autour de la mienne, des doigts fins s'entremêler aux miens, et une chaleur se répandre dans tout mon corps. Lia. Sa présence me réconfortait. M'apaisait et me rendait plus fort.

― Tu devrais peut-être rester ici, Lia... Je...

― N'y pense même pas ! s'exclama-t-elle en passant devant.

Elle s'est évanouie dans l'obscurité du chalet, comme si les ténèbres l'avaient engloutie et me l'arrachaient. Je n'eus d'autre choix que d'affronter la situation à mon tour.

Je suis entré dans ce qui était autrefois un petit salon. Les meubles étaient brisés et éparpillés dans la pièce. Le canapé était éventré, les rideaux en lambeaux. De grandes traînées de sang maculaient les murs. J'ai rapidement repéré trois corps sans vie.

Au fond de la pièce, près du comptoir de la cuisine, gisait Jack, la nuque brisée. Sur les marches de l'escalier, Franck était assis, les entrailles dégueulant de son abdomen. À ses côtés, une jeune femme était allongée au sol, telle une poupée de chiffon. Totalement désarticulée. Elle m'était familière, mais les ecchymoses et les plaies sur son visage rendaient toute identification difficile.

Ciara se tenait à ma droite, arborant un air contrit. Elle me remit un dossier médical, celui de Jeanne. Une jeune louve de ma meute. Pas besoin d'être un génie pour comprendre : Jeanne avait fêté ses 19 ans le mois précédent et avait trouvé un partenaire, mais comme ils n'étaient pas encore accouplés, elle n'avait pas quitté la maison. Je l'avais croisée trois jours auparavant dans les cuisines. Elle semblait soucieuse, mais avait refusé de m'en parler, ne voulant pas m'accabler avec des bêtises. Quel con !

― Que s'est-il passé exactement ? Je ne sens aucune odeur de loups sauvages ici, intervint Lia.

J'ai détourné le regard du corps meurtri de Jeanne pour observer ma tendre compagne. Elle était penchée près de Jack, examinant les blessures du garçon.

― Nous essayons encore de comprendre ce qui s'est passé, Luna, a expliqué Marcus. Je pense que Justine voulait partir et que Jack et Franck ont cherché à l'en empêcher. Malheureusement, Jeanne se trouvait aussi au chalet à ce moment-là et la situation a dégénéré. Ils se sont battus et...

Marcus a montré la pièce du doigt. La scène n'avait pas besoin d'explication, elle parlait d'elle-même.

― Quelque chose ne colle pas, déclara Lia. Cette blessure est causée par une morsure et celle-ci par une griffure, mais les deux sont caractéristiques d'une attaque de vampire. Le corps de mon père présentait les mêmes traces. Justine n'était pas seule. Elle a participé au massacre, comme le montrent les cheveux blonds dans la main de la victime, mais elle a été aidée.

Ciara rejoignit Lia et confirma ses dires. Et merde ! Des vampires sur mon territoire ! 

― C'est totalement impossible, s'emporta Marcus. Nous les aurions forcément repérés. J'ai patrouillé une bonne partie de la nuit et j'aurais senti si des putains de suceurs de sang rodaient dans le coin ! 

― Non, pas s'ils ont reçu de l'aide d'une sorcière, lui rappelai-je. Tu sais qu'avec le bon cocktail, on peut cacher notre odeur. Je vois pas pourquoi ce ne serait pas possible pour eux... Reste à savoir s'ils sont toujours ici ! Ils n'ont pas dû aller bien loin en pleine journée ! Renforce les patrouilles, fais contrôler chaque véhicule qui sort. Je veux que tous ceux qui ne savent pas se battre se rassemblent dans le bunker avant la tombée de la nuit. Personne ne doit rester seul tant que nous n'avons pas la certitude que ces connards ont quitté nos terres. 

― Bien, alpha. 

― Et Marcus, je vais m'adresser à la meute plus tard dans la soirée. J'irai avec Lia au bunker avant de te rejoindre en patrouille. Les guerriers pourront m'entendre à travers le lien. Pour le moment, on ne dit rien. Je ne veux pas de panique.

L'humeur de Lia changea brutalement et une violente colère s'abattit sur moi. 

― Tu crois sérieusement que je vais rester enfermée dans un bunker pendant que vous risquez vos vies dehors ? Tu te moques de moi ? Et si tu penses que tenir la meute dans l'ignorance va arranger les choses, laisse-moi te dire que tu es un idiot, Askaï.

Son aura était saisissante. Marcus et Ciara se sont agenouillés, sous l'effet de la puissance alpha qu'elle dégageait, et si nous n'avions pas été liés, j'y aurais également succombé.

Le torse bombé de pouvoir, Golliath tout proche, je la défiai du regard sans lui répondre. Elle s'avança vers moi, ses yeux accrochés aux miens. Sa démarche était aussi élégante et gracieuse qu'un félin. Elle était à couper le souffle.

― Nila est revenue ?

― Quel est le rapport ? demanda Lia sur la défensive.

― Sans elle, tu ne guéris pas assez vite. En cas de combat, sans elle, tu risques de mourir. J'ai déjà assez de corps sur les bras !

Elle fit claquer sa langue en guise de réponse, pour me faire comprendre son mécontentement. Déesse, qu'elle était sexy ! 

― Et pour la meute ? Tu as aussi une explication ?

― En plein jour, ils ne craignent rien...

― Va dire ça à Jeanne ! aboya-t-elle. Ils doivent savoir. Les mensonges et les secrets affaiblissent une meute. Ils la rongent de l'intérieur. Chaque membre doit pouvoir avoir une totale confiance en toi. Quel que soit leur rang. Quelle que soit leur origine... 

Les cris poussés par Lia ont inquiété les guerriers en faction dans la forêt. Un certain nombre d'entre eux sont venus à nous et se sont prosternés devant leur Luna. Le lien entre la meute et ma compagne était déjà puissant, et bientôt, tous les membres viendraient suivre notre délicieuse meneuse. À travers son comportement, je pouvais percevoir la sauvagerie de sa louve. Nila n'était pas loin.

― Luna a raison, acquiesça docilement Ciara. Nous devons être transparents avec le reste de la meute. Les vampires ont frappé en pleine journée, juste sous notre nez. Nous courons tous un grave danger.

Mes yeux étaient rivés sur Lia, dont le bleu profond des iris paraissait crépiter sous l'intensité de sa fureur. Elle m'observait. Attendait que je prenne une décision. Que je me comporte enfin comme un alpha... 

― Marcus, tonnai-je, demande aux sentinelles de fermer les frontières. Personne n'entre. Personne ne sort. Oublions la subtilité ! Je veux voir toute la meute dans 15 minutes au gymnase. Tous les guerriers en patrouille restent à leur poste. Je compte sur toi pour briefer les autres et mettre en place la relève. Je veux pouvoir interroger tous ceux qui étaient autour du chalet dans une heure. Je veux comprendre comment les vampires ont réussi leur coup et surtout comment Justine a pu disparaître. Ciara, mets l'infirmerie en état d'alerte. Tous les guérisseurs doivent être prêts à intervenir en cas d'attaque. Il n'y a pas une seconde à perdre !

― Oui, alpha, répondirent Ciara et Marcus d'une seule voix.

Un sourire saisissant se dessina sur les lèvres pulpeuses de Lia. Son aura se dissipa et libéra tous les loups des alentours. Elle avait raison et m'avait tenu tête, mais elle n'avait pas pris le contrôle. Elle m'avait poussé à reprendre ma place. Elle était parfaite...

Je comblai la distance qui nous séparait et posai une main dans le bas de son dos. Elle ne résista pas à mon geste, elle ne chercha pas à se dégager de mon étreinte. Elle me laissa poser ma tête au creux de son cou et respirer son parfum de jasmin. Golliath ronronnait. Il sentait la présence de Nila, bientôt elle se réveillerait et notre compagne serait enfin complète.

― Allons-y, Alpha... souffla Lia.

Je me redressai, pris sa main et entremêlai nos doigts pour sortir du chalet et affronter notre meute.

Texte de L.S.Martins (60 minutes chrono, sans relecture). 
Image par Julius H. de Pixabay