Une brève présentation de la Société Polynésienne.
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Une brève présentation de la Société Polynésienne.
21 oct 22
Comment consacrer un blog sur la Polynésie sans prendre le temps de parler des Polynésiens ? Exercice cependant toujours compliqué, qui nécessite un temps d’immersion suffisant pour pouvoir correctement appréhender le sujet, à mon petit niveau, et éviter de répandre des généralités prenant la forme de clichés. Je n’aurai pas la prétention de pouvoir définir précisement ce qui fait l’esprit des polynésiens ! Mais au moins essayer d’en faire une esquisse, de « croquer » le Polynésien comme disent les dessinateurs !
Commençons d’abord par les origines. La Polynésie est une grande terre de métissage au sein de laquelle les rapports interethniques semblent se passer assez sereinement. On peut distinguer les Polynésiens « de souche », les Ma’ohis, les français métropolitains et autres européens, les Popa’a, les métis appelés les Demis, et les asiatiques consacrés sous le terme Chinois.
Les Polynésiens se sentent avant tout polynésiens bien avant d’être français. La société et la culture françaises sont en effet très abstraites et très éloignées de leur culture comme on peut le ressentir en arrivant ici, surtout pour nombre de ceux qui n’ont pas voyagé jusqu’en France ! La Polynésie bénéficie à ce titre d’un statut autonome avec un hymne, un drapeau et un gouvernement polynésien. Il s’agit d’un « pays d’outre-mer au sein de la Republique qui se gouverne librement et démocratiquement ». La France reste représentée par un Haut Commissaire de la République, qui gère la monnaie, la justice, la défense et la diplomatie.
L’attitude vis à vis de la France semble partagée : il y a un certain ressentiment concernant l’ère coloniale, qui a déstructuré toute la société traditionnelle polynésienne notamment en interdisant alors nombre de pratiques culturelles. Désormais ils essaient de (re)nouer avec leurs origines, de redonner vie et corps à leur héritage ma’ohi et aux particularismes culturels, en se détachant de l’universalisme hégémonique à la française :
d’abord la langue tahitienne, qui peut être enseignée et parlée désormais dans les écoles (Tomy me racontait les sévices pratiqués pour ceux qui avaient le malheur de parler tahitien à l’école) ; la danse et la musique tahitiennes, véritables institutions culturelles ici ;
l’artisanat local, avec notamment le travail des bois, la vannerie ou la confection de paréos ; les compositions florales qui parsèment la vie polynésienne, de la simple fleur de tiare, de tipanié ou d’hibiscus souvent portée par les vahinés (les femmes) à l’oreille dans la vie de tous les jours, au collier de fleurs qu’on remet à tout nouvel arrivant, de la couronne de fleurs à la tenue végétale des danseuses et des danseurs, ou encore les petits stands d’accueil d’un hôtel ou d’un restaurant toujours très végétalisme de grandes palmes, feuilles, et fleurs ;
et enfin les fameux tatouages polynésiens, aux motifs souvent abstraits, porteurs de fortes connotations symboliques et identitaires.
Il y a également une sourde colère envers le gouvernement français, qui a organisé des essais nucléaires aériens, puis souterrains dans les atolls des Tuamotu jusqu’en 1996, à Moruroa, pour lesquels de nombreux cas de cancers notamment de la thyroïde ont été recensés mais toujours pas indemnisés, les enquêtes se confrontant au secret défense. Les essais nucléaires, se furent l’occasion d’un grand déversement d’argent, de petits arrangements et d’entretien d’un bon réseau de corruption, notamment sous le règne de Gaston Flosse dans les années 80 jusqu’en 2004, pour acheter le silence et fermer les yeux. S’il y existe des revendications indépendantistes, à l’égide d’Oscar Temaru qui lui a ensuite succédé, les polynésiens ne semblent pas encore prêts à s’affranchir complètement de l’Etat Français, qui reste une source de stabilité économique et d’apports financiers non négligeable.
Les tensions peuvent aussi se ressentir concernant les disparités économiques, entre une classe bien dominante occupant les postes les plus qualifiés et stratégiques, composée principalement de Demis et de Popa’as ; et les Ma’ohis, moins qualifiés, moins propriétaires, moins dans les arcanes du pouvoir, et parfois considérés comme les laissés pour compte d’un capitalisme et d’une modernisation qui n’a pas su vraiment les inclure, pouvant être perdus entre culture traditionnelle et modernité avec tous ses travers.
Il faut aussi noter de grandes disparités entre les habitants de Tahiti vivant à Papeete, résolument urbains avec des liens sociaux plus distendus, et les habitants des autres îles, de tradition beaucoup plus rurale et où les liens commmunautaires sont beaucoup plus forts. La question de la famille est primordiale pour les Polynésiens, mais elle se pense de manière beaucoup plus élargie que nous, avec des relations plus fortes et plus complexes au delà du centre nucléaire… Antoine ou Gigi pourraient nous en dire beaucoup à ce sujet, car tout n’est pas rose, et en tant que travailleur social à l’aide sociale à l’enfance, ils en voient même plutôt la face noire…(un commentaire, Toine ?)
Enfin, la religion tient une place prépondérante ici ! Pas un endroit, pas une île qui n’a pas sa ou plutôt ses églises, je me demande bien combien il y a d’églises rapportées au nombre d’habitant tellement on en croise de multiples sur tout le pourtour de chaque île : catholique, évangéliste, adventiste du septième jour, témoins de Jéhovah, mormons… on croise beaucoup de ces jeunes, chemise blanche, cravate et badge accroché fonctionnant toujours par binôme (quelle tradition ?) ou de stands prosélytes de cours biblique gratuit.. Il faut bien imaginer que pour certains, et notamment sur certaines petites îles comportant quelques centaines d’habitants, les fêtes religieuses sont les principales sources d’occupation et de rassemblement de la population !
Maintenant, de quoi vivent -ils ? L’économie de la Polynésie repose d’abord et avant tout sur le tourisme, principale source de devises, d’origine surtout français et américain. Mais celui-ci connaît une décroissance continue depuis plusieurs années, la crise du Covid a fait très mal, mais il semblerait que cette année c’est bien reparti, ceux qui en vivent annonce un bon taux d’occupation. On croise à Papeete et dans les îles d’immenses bateaux de croisière de 11 étages et plus, devenant le temps de quelques jours le plus haut monument de Papeete !
La deuxième grande source de richesse, la filière de la perle, a connu elle aussi un fort déclin en quelques décennies du fait d’une surabondance de l’offre. Il s’agit d’une perle de multiple couleur allant du blanc au noir avec de multiples nuances de teinte selon la couleur du greffon qu’on insère (Je vous en ai parlé dans l’article « eating with Sharks » avec la visite de la ferme perlière)
Outre ces deux activités réservés à une frange particulière de la population tournée vers l’international, les populations locales des iles vivent essentiellement de production agricole qu’on développe pour ses propres besoins et/ou qu’on revend localement ou internationalement, comme la culture de la vanille, de la canne à sucre,(idem, même article), d’arbres fruitiers, de maraichage ; d’élevage (boeuf, chèvre, porc, poulets) ; et de pêche bien sûr ! Le poisson étant à la base de la cuisine traditionnelle, qu’on mange cru (sashimi), cru cuisiné (tartare, carpaccio, cru au lait de coco, cru à la chinoise…), mariné, mi cuit, grillé, cuit à l’étouffée (notamment au four tahitien traditionnel)..
Enfin, particularité importante ici, notamment pour les familles avec peu de terres et de moyens : la Coprah. Il s’agit de la récolte de la partie sèche de la noix de coco ; celle ci est fendue en deux, séchée quelques jours, évidée avec un racloir (le pana), puis redéposée sur des séchoirs à coprah. Son prix est fixé et garanti par l’Etat à chaque début d’année, et toute famille ayant quelques cocotiers à disposition sur sa parcelle peut ainsi s’assurer un moyen de subsistance ou un complément de revenu non négligeable. Ca participe à la stabilité économique et au maintien des populations plus jeunes dans les îles, qui sans cela seraient certainement désertées faute d’activité ; les sacs sont régulièrement récupérés par des bateaux qui en font le tour.
Alors toutes ces précisions pour conclure quoi ? D’abord que les Polynésiens sont extrêmement sympathiques, souriants, accueillants et avenants. On se gratifie souvent d’un Iaorana ou d’un salut de la main dans les boutiques, la rue, sur la route, je trouve qu’il y a beaucoup de respect, de politesse et de gentillesse dans tous les échanges, qui en restent simples et sans trop de formalisme à la française. Le tutoiement et le rire sont faciles ; et surtout, on ne ressent jamais le stress ou l’agacement des gens ici, car toujours : aita pe’a pe’a ! (y’a pas de problèmes).
La société polynésienne semble toutefois avoir une certaine difficulté à trouver sa juste place, entre valorisation d’une héritage culturel traditionnel et d’une structuration sociale très riche d’un côté, et intégration dans le modernisme d’une économie mondialisée d’autre part, avec toutes ses richesses mais aussi toutes ses perversités et ses méfaits. L’exemple le plus frappant ici est le très fort taux d’obésité, souvent d’obésité morbide, dont les déterminants oscillent entre patrimoine génétique probable, sédentarité excessive (beaucoup de campagnes incitant à bouger) et consommation excessive d’aliments pur produits du mode de vie à l’américaine : burgers, steak-frites, ketchup, sodas (le fils de Tomy m’a confié être passé de 145 à 125kg simplement en arrêtant les 3L de coca qu’il buvait par jour et en essayant de pratiquer au moins 30min de marche).
Pour les jeunes enfin, à Tahiti comme dans les îles, il faut s’occuper. Le sport est souvent valorisé, volley ball, course de pirogue (le Va’a), notamment dans les îles, afin d’éviter qu’ils s’ennuient et ne zonent. Ils se retrouvent facilement entre eux, en groupes au bord des plages pour écouter de la musique avec des énormes poste-enceinte JBL aux couleurs militaires. Se retrouver à quelques uns pour occuper le temps et enchaîner les bières est un passe temps régulier d’un certain nombre de polynésiens.
Le grand défi ici est donc certainement pour eux de trouver le juste équilibre entre la valorisation de leur identité et de leur culture polynésienne si riche, et l’intégration adéquate au monde multiculturel et métissé qui est la réalité d’aujourd’hui, pour conserver la cohésion et l’autonomie leur permettant de choisir vers où ils veulent aller désormais.