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21 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 01h33
Sur la vidéo on aperçoit quelques rochers orangés et pointus, ceux situés à droite de la plage, puis, le cameraman se déplace lentement, laissant paraître une eau claire et turquoise qui semble très agitée. Des rouleaux d’une cinquantaine de centimètres de hauteur s’écrasent violemment. Sur le sable, on aperçoit des touristes en maillot de bain. Certaines femmes seins nus, se font dorer au soleil sur leur serviette. La caméra se déplace de plus en plus sur la droite et c’est là qu’on le voit, tout petit, tout frêle, caché par les jambes d’un groupe de quatre personnes. Il regarde la mer et semble perdre son regard dans ces montagnes d’eau. La caméra se déplace de plus en plus et c’est lorsque que l’enfant est sur l’extrême gauche du champ de la caméra qu’on l’aperçoit faire quelques pas et se diriger vers la vague. Il entre dans l’eau et disparaît soudainement du champ de la caméra qui se concentre maintenant sur l’autre extrémité de la plage où d’autres touristes profitent du soleil. Lorsque la caméra fait un retour arrière très rapide, l’enfant n’est plus dans l’eau. Il n’est pas non plus sur la plage. Il a disparu.
-Malheureusement, j’ai bien peur que ce que l’on craignait s’est réellement produit… Déclare l’inspecteur avec amertume.
L’homme se décompose, il a perdu tout espoir. Il hurle, il pleure. Désormais, il en est certain. Son fils ne reviendra plus… Il retourne auprès de la femme et s’écroule dans sa chaise.
Elle, est toujours dans ce même état second. Comme si elle n’avait rien entendu de ce qu’il venait de se passer depuis les trente dernières minutes. Son regard est vide. Vide de sens, vide d’espoir, vide de larmes. Elle est comme morte vivante. Désormais, plus une once de vie n’abrite son corps amaigri par le chagrin.
-Et qui est l’auteur de cette vidéo ? Demande l’inspecteur lui aussi sous le choc de la nouvelle.
-Eh bien, c’est un corse, un habitant de Calvi, un certain Marcellin Fritini.
06 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 09h23
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je n’ai fait que me remémorer les événements survenus plus tôt. Il se passe définitivement quelque chose d’étrange dans cette maison, et Louison est peut-être en danger.
En prenant seule mon petit déjeuner sur la terrasse, pendant que ma famille prépare les affaires à l’intérieur, je fixe la maison jumelle à la nôtre, dont aujourd’hui les motifs semblent différents. Le bois du colombage me paraît plus terne, les fenêtres dorénavant toutes fermées, semblent cacher un monde glacial, une pièce hantée. Les briques rouges ne forment plus une spirale mais une sorte de méduse aux tentacule venimeuse, prête à vous dévorer.
« S’il-vous-plaît… Aidez-moi. ». J’entends cette phrase en boucle dans ma tête. Est-ce que Louison a réellement besoin d’aide. Pourtant hier elle me semblait parfaitement heureuse, courant dans les bras de sa mère, sautant partout. Jouant avec des amis imaginaires. Mais pourquoi a-t-elle donc appelé à l’aide ?
Je finis ma dernière gorgée de chocolat chaud lorsque je détourne subitement mon regard de la maison. La femme, Sarah, me regarde à travers la fenêtre. Elle a dû voir que je les observais. Je fais semblant de feuilleter le magazine sous mes yeux, trop perturbée par la situation pour me rendre compte qu’il est en fait à l’envers. Quelques minutes plus tard, je les vois enfin. Marcellin, Sarah et Louison. Ils sortent tous les trois en même temps, chargés chacun d’un sac à dos. Excepté pour la petite fille qui n’a que son doudou lapin dans ses bras. Le père tient dans sa main les clés de la Peugeot 5008 et je devine qu’ils s’apprêtent à partir quelque part. Au même moment que nous finalement.
J’observe Louison. Les événements d’hier me reviennent. Je ne comprends pas. Je la vois, là, souriante devant moi alors qu’hier elle appelait à l’aide. Comment est-ce possible ? Son visage n’a aucune marque, ni de fatigue, ni de pleurs récents. Elle, contrairement à moi, ne semble pas se souvenir de ce qu’il s’est passé hier.
Mon frère met du temps à se préparer. Mes parents sont maintenant sortis et nous l’attendons dans la voiture avant de prendre la route. Quelque chose me tracasse à nouveau. Pourquoi les voisins ne sont toujours pas partis ? Ils sont prêts : habillés, coiffés, toutes les affaires sont dans leurs mains, et pourtant, ils ne bougent pas depuis tout à l’heure. Pourtant notre voiture ne gêne pas leur départ. C’est comme s’ils attendaient que nous partions avant de partir. D’accord… Mais pourquoi ?
21 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 09h20
-Bonjour Monsieur Fritini, déclare l’inspecteur en entrant dans la salle d’interrogatoire, j’ai quelques courtes questions à vous poser, ça ne prendra pas longtemps…
L’homme semble décontracté. Les mains dans les poches, il est assis, les jambes écartées. Il est assez jeune, il doit avoir dans les vingt-cinq-trente ans. Il a des cernes sous les yeux, sûrement dû au fait qu’il a passé une partie de la nuit au commissariat. Il ne répond pas à l’inspecteur mais lui adresse seulement un regard bienveillant.
-Bon… Parlons de la matinée d’hier. Pouvez-vous me raconter exactement tout ce que vous avez fait et vu et plus particulièrement entre 10h30 et 11h.
L’homme n’a pas besoin de beaucoup de temps pour réfléchir avant de commencer son monologue qui semble comme appris par cœur, à force de l’avoir répété.
-Je suis arrivé à la plage de Cargèse vers 9h30, déclare-t-il d’un accent corse très prononcé. Au début, il n’y avait pas grand monde. J’en ai profité pour me baigner avant que les touristes commencent à arriver. J’ai installé ma serviette vers le milieu de la plage à quelques mètres de cette femme et de son enfant. Je ne les ai pas trop calculés pour être honnête. J’ai seulement vu la femme décrocher son téléphone quand il devait être 10h15 à peu près. Ensuite, un pote à moi qui devait me rejoindre m’a demandé où j’étais. On devait faire de la planche à voile ensemble. Je lui ai répondu et j’ai filmé pour lui montrer les conditions météo. C’est là que j’ai fait la vidéo. Finalement, il est arrivé dix minutes plus tard et nous sommes partis ensemble. Le soir lorsque j’ai vu aux infos qu’un petit avait disparu, j’ai tout de suite reconnu l’enfant, et j’ai vérifié si je ne l’avais pas par hasard capturé en vidéo. C’est là justement que j’ai pu constater ce qu’il s’est passé.
-Et pourquoi être venu au commissariat si tard ? En plein milieu de la nuit ? Vous n’avez quand même pas fait de la planche à voile jusqu’à une heure du matin ?
L’homme ne semble pas perturbé par cette question. Comme s’il s’y attendait.
-Eh bien en fait je ne pouvais pas rentrer chez moi tout de suite. Je dormais chez un pote à Cargèse. J’avais une soirée au club de planche à voile. On a bu, ça a un peu duré. J’aurais dû vous prévenir tout de suite mais je pensais que l’enfant allait être retrouvé avant que je vienne. Je… Je n’ai pas vraiment d’excuse c’est vrai… En même temps, on ne voit pas grand-chose sur la vidéo. L’enfant aurait juste pu être caché derrière quelqu’un sur la fin de la vidéo… Je ne pensais pas avoir filmé le moment de sa disparition…
-Et qu’est-ce qui vous a fait venir après ?
-Eh bien je n’avais pas la conscience tranquille, je n’arrivais pas à dormir. Alors vers minuit, j’ai pris la route et je suis venu jusqu’ici… L’enfant s’est noyé c’est ça ? Vous avez pu le retrouver ?
-Je ne peux pas divulguer ce genre d’infirmation pour le moment. Tout ce que je peux vous dire c’est que votre vidéo nous a été très utile, merci d’être venu. Vous allez pouvoir repartir.
L’homme libère un grand sourire à cette annonce, prend ses affaires et se fait raccompagner par un agent.
Un sergent se rapproche de l’inspecteur.
-Vous croyez ce qu’il dit ?
-J’ai observé ses faits et gestes. Il semblait plutôt serein dans son discours. Au vu des preuves avec la vidéo, tout semble correspondre. J’ai toutes les raisons de le croire.
Il commence à partir.
-Inspecteur…
Il se retourne.
-Oui, Sergent Braun ?
-Quelque chose ne colle pas chez ce type. Je sais que son discours semble vrai et pourtant…
-Pourtant ?
-Je ne sais pas… Ce n’est peut-être qu’une impression… Il m’a semblé…
-Semblé quoi ? Accouchez Braun !
-Lorsque j’ai vu la vidéo tout à l’heure je n’avais pas remarqué mais maintenant que j’y pense, lorsqu’on s’est rendu sur les lieux j’ai remarqué qu’il y avait deux voiliers en face au mouillage. Un first 35 et un sun odyssey 349. Or sur la vidéo il y a aussi deux voiliers, un first 35 et un Océanis 37 !
-Mais enfin Braun, entre ce matin et cette après-midi ton « sun machin » a pu partir !
-Eh bien non justement. Nos équipes ont interrogé les personnes sur les deux voiliers et ils ont affirmés n’avoir vu aucun autre bateau depuis la veille. Mais alors pourquoi y a-t-il un Océanis sur la vidéo ?
-Mais je n’en sais rien Braun ! Peut-être que vous avez mal vu. La vidéo n’était pas très nette. Et puis cessez de vivre dans un film policier. Vous me faites des suppositions qui n’ont ni queue ni tête pour une affaire qui est dorénavant bientôt classée. Cet enfant s’est noyé ! Un point c’est tout. On a la preuve en vidéo. Les rouleaux étaient plus grands que lui. Avec le courant il a été ramené au large et nous ne retrouverons sûrement jamais son corps. Voilà tout !
06 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 18h25.
Nous venons de rentrer du Mont Saint-Michel. C’était vraiment magnifique, cependant comme dans tous les lieux touristiques en plein été, il y avait beaucoup trop de monde. Il y avait beaucoup d’étrangers du monde entier. Les rues du villages étaient presque impraticables tant les gens étaient agglutinés, entassés les uns sur les autres, cherchant à tout prix à accéder au sommet de ce mont dont ils avaient tous rêvé depuis longtemps. C’est en ce rendant dans ce genre de lieux que je me rends compte que la France est un beau pays et que je suis fière d’y vivre. Après tout ce n’est pas la première destination touristique mondiale pour rien ! C’était tellement beau que ça m’a permis d’éloigner quelques heures mon esprit de cet enfer que j’ai cru vivre hier soir. Je ne comprends toujours pas.
Après tout peut être que j’ai des hallucinations. Je devrais aller voir un psychologue. Mon père avait raison. Je devrais apprendre à contrôler mon stress et mon hypersensibilité. Je pense trop. Il faut que ça s’arrête.
Lorsqu'on entre dans la propriété, je remarque que la voiture des voisins est déjà là. Ils sont rentrés plus tôt que nous. Louison est dans le jardin avec Sarah. Marcellin, encore une fois, manque à l'appel. J’observe Sarah. Pour la première fois, elle semble heureuse. Je me demande ce qu’ils ont pu faire aujourd’hui pour que son visage auparavant flétri et pâle soit devenu si lumineux. Elle est plus jolie que ce que je pensais. Elle porte une robe rouge à fleurs. Lorsque je la vois, là maintenant, je ne peux douter en aucune façon que cette femme est une bonne mère. Je ne peux accepter ce que j’ai entendu le matin même.
Louison n’est plus en train de sauter partout. Pendant que sa mère se détend dans un transat, elle est assise tranquillement sur un des bancs de la table de pique nique de leur côté de la terrasse. Elle dessine. Tranquillement.
L’atmosphère tendue de ce matin semble donc s’être adoucie.
Sortie de la voiture, je rentre à l’intérieur et dépose mes affaires dans ma chambre. Avant de retourner dans le jardin.
Maintenant que sa mère lit tranquillement, je veux essayer de parler à Louison. Je ne sais même pas ce que je vais lui dire. Je veux juste…. Comprendre….
Alors que je le dirige vers la porte pour sortir, ma mère m’interpelle :
-Emi ! Émilie ! Tu vas où comme ça ?
-je vais lire dans le jardin.
-mais enfin ma chérie tu n’as pas pris ton livre.
C’est là que je réalise que mon mensonge ne vaut rien. Je fais semblant d’avoir la tête en l’air et je vais le chercher sur l’étagère dans la chambre. Lucas est affalé sur le lit. Il joue sûrement encore aux jeux vidéo sur son téléphone. Ah les garçons !
Je réalise en y pensant que grâce aux mésaventures qui me sont arrivées je n’ai presque pas regardé mon téléphone aujourd’hui, dont je suis accro d’habitude. Dans la voiture j’étais trop plongée dans les pensées pour regarder une vidéo YouTube sans décrocher. Alors j’ai juste regardé le paysage.
Je m’approche de Louison tout en ne sachant pas trop comment l’aborder. Je grimpe les trois marches qui mènent à leur terrasse. Je fais semblant de vouloir chercher de la compagnie :
-Bonjour… Louison, c’est ça ?
Je fais semblant d’hésiter sur son prénom pour paraître plus naturelle. Surtout que sa mère m’entend et me fixe bizarrement depuis que je viens de prononcer cette phrase. Louison regarde sa mère. Comme pour avoir l’approbation pour pouvoir lui parler.
Sarah semble gênée. Elle approuve d’un hochement de tête qui me semble hésitant.
-Bonjour madame ! Je lance, afin de la rassurer.
-Bonjour…euh… Émilie ! Me répond-elle, stupéfaite qu’on lui adresse la parole.
J’improvise :
-je voulais demander à Louison si elle voulait bien me prêter un feutre. J’en ai besoin pour souligner des passages de mon livre.
Sarah semble rassurée.
-Ah oui ! Louison tu peux prêter un de tes feutres à la jeune fille s'il te plaît ?
La petite fille regarde sa mère, me regarde, regarde sa mère à nouveau, hésitante.
Puis rassurée par mon sourire, elle me tend un feutre rouge.
-Tiens madame ! Me dit-elle d’une voix enfantine.
Sa voix me semble soudain plus aiguë que celle que j’ai entendue hier soir. Différente en fait.
« s’il vous plaît, aidez-moi ! »
J’entends a nouveau cette phrase dans la tête qui m’a hantée toute la journée. Quelque chose me frappe. Pourquoi m’a-t-elle vouvoyée hier soir pour me tutoyer aujourd’hui ?
Et puis… à trois ans c’est quand même rare que les enfants vouvoient non ?
Je fixe Louison depuis plus de trente secondes maintenant. Elle semble mal à l’aise. Lorsque je m’en rends compte, je lance un simple :
-Merci ! En forçant mon sourire.
La mère m’observe aussi, étonnée de mon comportement.
Soudain, je m’apprête à prendre mes jambes à mon cou et fuir cette situation gênante lorsque, en baissant les yeux, j’aperçois le dessin de Louison.
Je tressaille.
Sur un morceau de page de carnet, la petite fille a dessiné sa famille.
Je reconnais son père. Le bonhomme en bâton à gauche. Elle a colorié ses cheveux d'un gribouillis orange. Un autre rond avec une barre et des cheveux longs, noirs représente sa mère. En bas, je distingue un petit rond avec une petite barre pour le corps et des boucles jaunes. Je devine que Louison a essayé de se représenter. Et enfin contre toute attente à la gauche de Louison est dessiné un personnage un peu plus grand qu’elle. Sauf que le rond représentant sa tête est entièrement colorié en noir. Comme s’il n’était pas vraiment là.
Louison me dévisage toujours. En voyant que j’observe son dessin, elle éprouve de la fierté.
La mère Sarah ne sourit plus elle vient de se lever de son transat et se rapproche.
J’ai mille questions à poser à Louison mais je ne peux pas. Ce serait trop risqué.
Alors je lui dis :
-il est très beau ton dessin.
Et je retourne dans la maison, sans me rendre compte que j’ai laissé le feutre qu’elle venait de me prêter sur la table…