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5 août 2023, Saint-Pierre-en-Auge, 00h05
Voilà maintenant une heure que j’essaie de m’endormir, mais je ne parviens pas à fermer les yeux. Est-ce l’excitation ? Le fait de ne pas dormir à la maison ? Les ronflements de mon frère ?
J’ai une soudaine envie d’aller aux toilettes. Je me lève discrètement. La chambre est entièrement plongée dans l’obscurité. Il n’y a aucun lampadaire visible par la fenêtre. Je me déplace aveuglément vers mon objectif. J’aurais pu prendre mon téléphone mais il est éteint et je n’ai pas le courage de l’allumer.
Doucement, j’avance pas à pas, les mains devant moi dans un parcours du combattant. J’enjambe les affaires de mon frère, tout en râlant : Il met toujours tout en plein milieu.
J’ouvre la porte et je rentre dans le salon. Je me retrouve éclairée par la simple horloge numérique d’un rouge vif sur le four de la cuisine. Je continue, je contourne le canapé. J’entends mes parents qui ronflent dans la mezzanine au-dessus. J’ai froid, j’aurais dû mettre ma polaire. J’entre dans la salle de bain, une odeur de caramel me parvient jusqu’aux narines. Sûrement le savon que ma mère a acheté sur le marché lors de notre escale à Angoulême. Je m’avance vers les toilettes lorsque j’entends un goutte à goutte. Je remarque alors que le robinet du lavabo n’a pas été bien refermé. Je parierai n’importe quoi que c’est un coup de Lucas après s’être lavé les dents. Je tourne le robinet, les gouttes s’estompent peu à peu avant de s’arrêter complètement. Je me retrouve dans un silence total. Puis tout à coup, j’entends toquer trois fois, trois coups distincts de l’autre côté du mur.
Ai-je bien entendu ?
Le son semblait venir de la maison voisine mais personne n’était encore arrivé la veille. Seraient-ils arrivés cette nuit ? Je l’aurais entendu. Je ne dormais pas après tout. Ou alors peut-être que ce n’était qu’une hallucination. Un objet qui est tombé, un craquement.
C’est au moment où je me tourne pour sortir de la salle de bain et regagner la chambre que les coups retentissent de nouveau et s’intensifient. J’en compte dix. Ce n’est pas possible. Il ne peut pas s’agir d’un objet tombé, quelque chose tape contre le mur de la salle de bain.
Par crainte qu’il s’agisse d’un rat, je sors de la pièce, puis par la fenêtre à ma droite, je vérifie qu’une autre voiture ne soit pas garée dans l’allée. Personne. Je me rassure en me disant qu’il s’agit sûrement d’un rongeur et que je ne suis pas dans un film d’horreur. Après tout il est minuit, et je suis fatiguée.
Puis j’entends à nouveau les coups. Plus espacés cette fois-ci. J’en compte neuf. Trois successifs, trois espacés, puis trois à nouveau excessifs. C’est impossible. Il n’y a personne dans l’autre maison. Je me dépêche de retourner dans ma chambre. Je dois dormir, je suis fatiguée. C’est pour ça, non ?
20 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 18h16
-Où est-il ? OU EST MON FILS ?!
-Madame, il faut vous calmer, répond l’inspecteur. Ecoutez, je sais que c’est dur à entendre mais voilà maintenant plus de six heures que nos équipes fouillent la zone de la plage. Toutes nos équipes sont mobilisées. Je déteste annoncer les choses de cette façon, mais dans la logique, si votre fils est allé dans l’eau il est très peu probable qu’on le retrouve vivant. Néanmoins je vous assure qu’il reste des chances. Nous envisageons toutes les possibilités. A l’heure où nous sommes, aucun enfant n’a été retrouvé jusqu’à cent mètres de la côte. Mais nous continuerons toute la nuit si nécessaire. Je vous assure que retrouver votre enfant est notre priorité.
-Mais alors où est-il !? Hurla la femme, dans un mélange de pleurs et de colère.
5 août 2023, saint-Pierre-en-Auge, 10h05
Nous prenons le petit déjeuner en famille, mon père est allé acheter des pains au chocolat dans la boulangerie du village voisin. Le soleil brille pour cette première journée dans la campagne Normande. J’admire le jardin, si vert en plein été. En face, de l’autre côté de la clôture, il y a un champ avec de nombreux pommiers et une dizaine de vaches blanches et noires qui respirent de l’air pur et profitent du soleil. En tournant la tête à droite, je remarque la maison voisine, accolée à la nôtre. Ce sont presque des jumelles. Sur la façade, un colombage et de petites briques rouges. Une sorte de mosaïque a été faite avec de petites pierres colorées qui forment une spirale. Je remarque qu’une des fenêtres est entre-ouverte. Peut-être que le propriétaire a voulu aérer avant l’arrivée des vacanciers. Je me rappelle les événements d’hier soir dans la salle de bain, et immédiatement, la vue de cette fenêtre révélant un fond noir et peu accueillant me donne le vertige. Se pourrait-il qu’il y ait vraiment quelqu’un dans cette maison. Ou en tout cas quelque chose…
Je me tourne vers ma mère. Elle discute avec mon père du programme de la journée.
-Maman ?
-Et toi ça te dirait de faire une sortie en canoé ma chérie ?
-Hein ? Oui, mais…
Je n’ai pas le temps de finir.
-Bon super alors, on va réserver. Tu appelles chéri ? Je pense qu’il y aura de la place, il y a plus de vaches que d’habitants ici.
-Maman ! Je m’exclame soudainement.
-Quoi ma chérie ?
Le regard toujours tourné vers cette fameuse fenêtre, qui la veille m’avait semblée fermée, je demande :
-Tu sais si nos voisins sont déjà arrivés ?
Ma mère me dévisage quelques secondes. Elle semble surprise.
-Mais enfin ma chérie, tu vois bien qu’il n’y a pas de voiture, ni personne. Pourquoi ?
-Bah je ne sais pas j’ai cru entendre du bruit, ça doit être moi…
-Bon on réserve pour 14h ? Demande ma mère, semblant ignorer totalement ce que je viens de dire…
20 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 23h45
-Ne t’inquiète pas on va le retrouver ! S’exclame l’homme, arrivé sur les lieux une heure auparavant.
-Oui mais mort ! C’est facile pour toi de dire ça. Tu ne t’en occupes jamais ! Tu ne t’intéresses pas à lui ! Je ne sais même pas ce que tu fais ici ! s’exclame la femme dans un mélange de rage et de désespoir avant de poser sa tête sur le torse de l’homme en pleurant à chaudes larmes.
Il se passe quelques minutes mélancoliques dans lesquelles aucun d’eux n’ose prendre la parole. L’homme entoure la femme de ses bras et tente de la rassurer. D’une voix rauque, les larmes aux yeux, il déclare :
-Je ne suis pas un bon père… Je ne le serai sûrement jamais. Mais une chose dont je suis sûr c’est que je l’aime plus que tout et que je veux le retrouver. On va le retrouver, ensemble. Tout va bien se passer ne t’inquiète pas.
La femme se morfond de plus en plus dans le torse de l’homme en secouant la tête. Elle lui agrippe la chemise de ses mains en la froissant de ses paumes. Elle pleure, elle hurle intérieurement. Cependant, même si elle ne l’avouera jamais, elle est contente qu’il soit venu. Il est venu lui rapporter, ce qui depuis plusieurs heures fuyait peu à peu : l’espoir.