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Exil, ou "La liberté est une grâce violente"

Exil, ou "La liberté est une grâce violente"

Veröffentlicht am 15, Sept., 2024 Aktualisiert am 17, Sept., 2024 Poetry and Songs
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Exil, ou "La liberté est une grâce violente"

Année de création : 2003

Publication antérieure : site de Short Éditions (ce texte n'y figure plus aujourd'hui suite à une perte de données)

Langue : français

Source de l'inspiration : après quelques essais dans la langue de Shakespeare, retour à celle de Molière. Le sujet du texte est moins l'exil extérieur, bien visible et identifiable comme tel, que l'exil intérieur, la perte des repères et la solitude qui s'ensuit. Je tenais à y exprimer que les plus grandes épreuves ne sont pas forcément celles qu'on voit, et qu'elles peuvent très bien frapper des gens qui vus de l'extérieur ont l'air d'aller très bien et d'avoir, comme dit le bon vieux cliché, "tout pour être heureux". Les apparences sont souvent trompeuses... les jeunes qui se suicident sont plus souvent des "gosses de riches" que des "gosses de pauvres" ! Et il n'y a rien de pire que de se sentir étranger dans un environnement pourtant censé être familier...

___________________________________________*___*___*______________________________________________

Être un exilé, c’est se sentir étranger partout, où qu’on soit, où qu’on aille.

C’est se sentir d’ailleurs.

C’est se sentir toujours un peu différent, un peu décalé, un peu déphasé, par rapport aux autres, à l’atmosphère, au monde qui nous entoure, et aux autres qui nous entourent à ce moment précis.

Si ce n’est pas forcément « se sentir seul et triste à la fête où qu’on aille » – ou joyeux parmi les décombres et la désolation… – ce n’est pas non plus se sentir en harmonie avec les autres dans l’émotion partagée. Quelle qu’en soit la raison profonde, il y a toujours une distance, une différence de ressenti, un malaise dans l’émotion, entre soi et les autres. On ne parvient jamais à rejoindre vraiment l’autre, à le ressentir, à faire sienne son émotion, à la vivre comme lui, à partager ses joies, ses peines, ses révoltes et ses enthousiasmes. On respecte son émotion, mais on se sent un peu en décalage, en marge, par rapport à elle. On ne la voit que de l’extérieur. Et, pareillement, on se sent soi-même éternellement incompris par les autres. On passe son temps à rêver du confident, ou de la confidente, à qui l’on pourra tout dire exclusivement sans retenue, mais devant les autres dans le monde réel, on se méfie de leur regard, de leur jugement, on se recouvre de sa pudeur, et on reste sur son quant-à-soi. Et les autres sont bien plus des sources de questions que des réservoirs de réponses. On ne connaît que soi-même. On ne connaît rien d’autre.

Et le soi-même qu’on connaît, cette unique chose que l’on connaisse, on le connaît encore bien mal.

Être un exilé, c’est chercher son chemin dans la vie et dans le monde à tâtons et en expérimentant sur la pointe des pieds, avec la conscience d’avancer en terrain miné sans même avoir un début de cartographie de l’emplacement des mines – là où l’on voit tous les autres s’avancer d’un pas sûr et confiant, forts de leurs certitudes, et n’avoir pour ses doutes que pitié, commisération et condescendance au mieux, quolibets et mépris au pire.

Être un exilé, c’est n’être jamais sûr de rien.

Être un exilé, c’est savoir qu’il existe plusieurs façons de voir les choses, et ignorer quelle façon de voir est la bonne.

Être un exilé, c’est être jeté au milieu de l’inconnu sans repères, ou pire encore, en croyant avoir des repères et en constatant à l’usage qu’ils ne correspondent à rien.

Être un exilé, c’est être suspendu dans le vide, se sentir en chute libre, et découvrir que si l’on a eu quoi que ce soit sous les pieds auparavant, c’était tout au plus un tapis volant qui donnait l’illusion d’être le sol.

Être un exilé, c’est être projeté au-delà de toutes les illusions, découvrir le réel comme un explorateur découvre une terre vierge, créer ses propres repères, et inventer sa propre cartographie du monde.

Être un exilé, c’est être indifféremment de partout et de nulle part, pouvoir être chez soi n’importe où, pourvu qu’on s’y sente à l’abri, n’avoir même pas une pierre sur laquelle reposer sa tête, et devoir tout réinventer. Pour son propre compte. Et parfois même la roue.

Être un exilé, c’est devoir redécouvrir, au milieu du chaos du monde et du désordre qu’est devenu son monde, la place que devrait avoir chaque chose.

La redécouvrir… ou devoir lui en assigner une, arbitrairement, souverainement, à sa façon. Selon ses propres critères.

Et devoir se débrouiller avec l’idée que les valeurs sont arbitraires. Il n’y en a pas de vraie, il n’y en a pas de fausse. Il y a juste l’importance que chacun à part soi accorde à chaque chose – et qui varie selon chacun, selon ses buts et ses priorités.

Être un exilé, c’est se savoir fragile et vulnérable de par son ignorance, et la cacher en faisant illusion de savoir et de sagesse, c’est garder ses distances, c’est se refermer sur ses maigres trésors, sur son vide et sur son manque ; c’est cacher ses lacunes, pour se protéger des marchands d’illusions, des vendeurs de vent et des guides vers l’abîme. De tous ceux qui ne rempliront que trop volontiers cet office si par malheur ils en viennent jamais à savoir que l’on ne sait pas où l’on est, et que l’on ne sait pas où on va.

Être un exilé, c’est dire de la liberté ce qu’Eschyle disait de la sagesse : de la part des dieux, c’est une grâce violente

 

Crédit image : ©  Getty Images

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Surf Xi vor 3 Monaten

La nuance entre exil extérieur et intérieur [à laquelle je n'avais jamais pensé] m'a rappelé le témoignage, entendu récemment, d'une personne exilée physique en France qui raconte qu'arrivée [enfin] dans une famille d'accueil [elle était alors mineure], il lui avait fallu plusieurs semaines pour parvenir à dormir dans le lit qui meublait sa chambre 'pour ne pas s'y habituer' et ainsi 'ne pas le regretter le jour où elle le perdrait'.

Le principe d'écriture [comme pour votre texte Survivre : https://panodyssey.com/fr/article/poesie-et-chanson/survivre-5k3tsqw45ttq ], me fait penser à une étude [fusain, violon...] où l'on creuse un motif, une idée, une définition en explorant ses possibles variations, pour tenter d'en cerner les contours, l'appréhender, la comprendre.

Le travail a porté ses fruits, je trouve : c'est agréable à lire et donne à réfléchir.

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Jackie H vor 3 Monaten

Merci beaucoup Surf Xi, vos commentaires me donnent l'impression d'être une artiste 🙂

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