La mélancolie du gardien de phare
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La mélancolie du gardien de phare
Mais qu’est-ce que t’as gamin,
à me r’garder comme ça ?
Dévisager les gens, tu sais, ça s’fait pas.
Tes parents ne t’ont pas dit
de respecter les vieux,
qu’un beau jour, toi aussi,
tu finiras comme ceux
qui ont donné leur temps
sans jamais rien attendre,
à peine un merci, à peine un regard tendre.
La vie est si fragile, faut bien la protéger,
à peine plus fine qu’un fil, trop facile à couper.
Tu le sais, toi, gamin,
comment le monde est beau !
Que l’on traîne au jardin,
qu’on navigue les eaux…
Y a tant de choses à voir,
il y a tant de mystères.
C’est pas dans vos boîtes noires
que vous trouverez lumière.
Lève donc un peu les yeux
de ton monde pixels
et plonge-toi dans le bleu, dans le bleu du ciel,
prends-toi pour un oiseau,
envole-toi tout là-haut,
laisse donc aux ignorants la pâleur des écrans.
Allez va gamin, t’as bien autre chose à faire !
Va-t’en faire le malin
dans les jupons de ta mère.
Ne perds donc pas ton temps
avec ma triste gueule.
T’en fais pas mon enfant,
j’ai l'habitude d'être seul.
Oui tu sais, moi, avant j'étais un magicien
qui du soleil couchant aux lueurs du matin
protégeais, du naufrage, les navires de passage
en guidant les esquifs au plus loin des récifs.
Et puis un jour, gamin,
ils ont pris mes pouvoirs.
Je n'étais plus gardien,
je n'étais qu’un vieillard.
De ma tour d’ivoire, j'ai dû rendre les clés
sans même un regard,
tout juste remercié.
Jeté aux ordures comme un pauvre déchet
par une imposture qu’ils appellent progrès.
Mais si la technologie est l'avenir de l’homme,
que restera-t-il de lui
s’il s’y abandonne ?
Allez va-t’en gamin, je n’ai rien à t’offrir
que le vague chagrin
de mon cœur qui chavire.
Tu sais, le monde n’a que faire
d’un vieil homme amer.
Je ne suis qu'un gardien,
un gardien sans lumière.
Si tu savais, gamin, j'étais roi sur mon île.
Je ne regrettais rien de la grisaille des villes.
Moi, j’avais l'océan pour unique horizon
et quelques goélands
en guise de compagnons.
Sur la surface de l’eau
se couchait l’astre diurne,
remplacé aussitôt par son pendant nocturne,
c’est le ballet du jour qui danse avec la nuit,
c’est la mort et l’amour qui s’enlacent,
infini.
Allez va mon gamin, va-t’en faire le mariolle.
Laisse grommeler l’ancien,
la gapette de traviole.
Tes parents ne t’ont pas dit de pas importuner
les inconnus, les aigris,
et les personnes âgées ?
Laisse-moi à mes souvenirs,
mes plaisirs dépassés,
je te laisse l’avenir, j’suis pas intéressé.
Je m’en irai ce soir,
écoute bien gamin,
j’vais reprendre le phare
dont j’étais le gardien.
Gamin faut rentrer,
il commence à faire noir.
T'as pas l'âge de traîner,
de veiller aussi tard.
Tes parents ne t’ont pas dit
que le monde est dangereux ?
Tes parents devraient p’t'être
t’apprendre une chose ou deux…
Allez viens, j’te ramène,
j’vais pas t’laisser comme ça.
Mets ta main dans la mienne,
laisse-moi guider tes pas.
Tu seras voilier et moi je serai la lumière
qui saura t'éloigner des dangers de la mer.
Eh ben ça y est gamin ! Te voilà à bon port.
Va-t’en retrouver les tiens
tant qu’tu le peux encore.
Peut-être qu’un jour prochain
des robots à la con
s’occuperont des gamins,
de leur éducation.
Si nous sommes condamnés
à nous faire remplacer
par des ordinateurs,
des machines sans cœur,
je retourne à mon phare,
contempler l’horizon,
loin du peu d’espoir qu’offre l'évolution.
Allez va-t’en gamin, je n’ai plus rien à dire…
Que le vague chagrin
de mon cœur qui chavire.
Tu sais, le monde n’a que faire
d’un vieil homme amer.
Je ne suis que gardien et je cherche lumière…
Auteur, compositeur, interprète, guitare/piano et montage vidéo : Oren le conteur
Texte à retrouver dans "Nous n'irons plus voir la mer"
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