

Chapitre 2.1 : Exaspération
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Chapitre 2.1 : Exaspération
Jeudi 6 mars 2024
Comme il se retournait une fois encore sur lui-même, Ronan emporta d'un coup tout un pan de drap et déborda un côté entier du lit. Un des élastiques du drap-housse avait lâché durant la nuit et Ronan s'était emmêlé les deux pieds dans les plis et les replis qui s'étaient étirés et qui n'avaient fait qu'empirer.
De son bras libre, mais emmitouflé comme dans une toge d'empereur, Ronan décrivit une superbe parabole au-dessus de lui. Cependant, au lieu de rencontrer les contours attendus d'une épaule ou d'une côte reconnues, le bras vint s'affaler mollement sur une place libre et froide.
Intrigué, Ronan tendit les doigts, mais cet ultime recours s’avéra vain et sans espoir, et il finit par ouvrir les yeux sur sa solitude. Au même instant, il entendit résonner en lui la voix lointaine de Valentin :
— Allo, Julie, ma chérie ? Es-tu là ? Je ne t'entends plus ! Tu ne m'as pas répondu. Je compte sur toi !
A l'autre bout du fil, Ronan devinait l'impasse dans laquelle se trouvait toujours plongée son héroïne, une impasse qui n'avait rien perdu de son urgence pendant la nuit et qui exigeait de lui une réponse.
Il se leva. 8 h 15. Cette heure-ci n'était pas la sienne. Il avait passé une mauvaise nuit, seul. Paradoxalement, ses désirs sexuels avaient rejailli du plus profond de ses besoins et l'avaient laissé empli d'une rare frustration. Il avait perdu ses marques et même les aiguilles du réveil l'avaient trahi, trottant doucement sans bruit au lieu de lui rappeler son emploi du temps. Normalement, il aurait dû partager le petit-déjeuner de Pierig et de Mathilde. Cet éphémère moment de la journée ressemblait à mue lors de laquelle le garçon se transformait en élève et la femme en inspectrice vétérinaire. Les regards devenaient plus éthérés, les pensées plus carrées. Ronan, quant à lui, endossait son habit d'écrivain dans la joie. La perspective d'une nouvelle journée d'écriture le rendait radieux et sa bonne humeur était rituellement inscrite au menu du petit-déjeuner.
Seulement, aujourd'hui, ils s'étaient passés de lui.
Il fut triste de découvrir dans la cuisine une table jonchée des marques d'un petit-déjeuner sans lui, sans son bol ni sa cuillère. Même Athos avait fini son assiette. La vaisselle de ce jeudi matin serait anonyme, il n'y aurait pas de gaieté dans les bacs à laver. Les bols inertes et froids pèseraient lourd dans ses mains, et ce serait seulement le premier des moyens par lequel la tristesse se rappellerait à lui aujourd'hui.
Du bruit dans l'entrée attira son attention. Mathilde était partie, mais Pierig achevait de lacer ses baskets, tâche qui lui prenait toujours un temps précieux vu la longueur des lacets, et qu'il n'aurait sans doute jamais acceptée si elle lui avait été imposée.
— Tu t’en vas ? demanda Ronan.
La question comportait déjà en elle-même l'évidence de la réponse, mais ce matin Ronan avait besoin de se raccrocher à quelques banalités. Pierig avait encore une tartine dans la bouche et, dans la réponse qu’il fit à son père, ce dernier ne put qu’intercepter un vague « copain », sans en être tout à fait sûr d’ailleurs. C’était le temps des vacances d’hiver pour la zone géographique dont ils dépendaient.
— Maman a téléphoné, reprit Pierig, la phase de mastication terminée.
— Ah ? s'interrogea Ronan. Depuis son bureau ?
— Non, de chez nous, reprit Pierig, apparemment à l'aise dans cette situation dérisoire.
— De chez nous ? reprit Ronan d'un ton désarçonné.
— Et elle insiste pour que tu lui envoies régulièrement l'état d'avancement de ton roman.
Ronan se retrouva seul sans rien avoir compris. En quatre minutes très exactement, il venait de se faire balayer hors du terrain. Jeu blanc, aurait-on dit au tennis.
Comme il allait appuyer sur l’interrupteur de la cafetière pour réchauffer les vingt ou trente centilitres du breuvage noir qui auraient dû s’y trouver, la mesure et les doses étant parfaitement connues des deux protagonistes, il eut l’amère surprise de trouver uniquement vide et assèchement. Normal… Pourquoi Mathilde aurait-elle fait du café pour deux ? Pendant que ses poumons se laissaient aller à un soupir de désillusion, son ventre fit entendre un grognement d’insatisfaction. Ronan se rendit soudain compte que ni Pierig ni lui n’avaient dîné la veille, tout perdus qu’ils étaient.
Profitant de ce passage à vide chez son auteur, Valentin revint à la charge.
— Bon, puisque tu ne te décides pas à me répondre, je considère que tu es d'accord et je t'attends à la gare ce soir.
Puis il raccrocha. Il n'entendit même pas le oui timide à l'autre bout du téléphone, le oui que Julie s'était enfin décidée à pousser sous la pression, un oui qui lui avait déjà coûté beaucoup et qui lui coûterait bien plus encore. Valentin ne l'avait pas entendu, mais pour Julie, cela ne faisait aucune différence ; elle venait une fois de plus de dévaloriser et de nier ses sentiments réels.
Théoriquement, Julie aurait dû pleurer. Ronan la connaissait bien. Il aurait dû la faire pleurer. Pourtant, en reposant le téléphone, Julie sentit monter en elle ses émotions sous la forme d'une colère qui venait de son ventre et qui laminait toute velléité de réaction de sa part. Elle fut débordée par une houle noire dévastatrice qui ne lui appartenait pas.
Ronan était hors de lui. Il mordit rageusement dans une demi-baguette autant pour assouvir sa faim que sa vengeance puis se dirigea vers son poste de travail et alluma son ordinateur d'un geste sec.
« Mais pour qui se prend-elle ? Ah, elle veut jouer avec moi ! Elle veut lire les épreuves du roman, eh bien, elle va les lire ! Seulement elle les lira comme je les aurai écrites ! Si je dois en plus faire attention à ne pas blesser la sensibilité de madame en écrivant mes histoires, alors, je n'ai plus qu'à rendre ma plume sur le champ ! Si elle est incapable de comprendre qu'il ne s'agit que de personnages fictifs et que sans quelques exagérations, le roman ne vaut pas un clou, je n'y peux rien, moi ! Qu'est-ce que c'est que cette remarque stupide sur ma façon d'être dans la vie et dans les livres ? »
La raison cachée du conflit pointait enfin à la surface. Pourtant, il était encore trop tôt pour Ronan et il ne la reconnut pas.
« Dans ce cas, il n'y a plus de limites alors ! Je devrais sans doute trouver normal si, un matin, elle fulmine contre moi parce que, dans son rêve, je me jette dans les bras d'une autre femme ? »
Dans sa colère, l'ordinateur lui parut d'une langueur extrême à ouvrir une session. Aujourd'hui, rien ne trouverait grâce à ses yeux, il valait mieux que le matériel le sache. Quand il frappa enfin son ressentiment sur le clavier, les touches peu utilisées se félicitèrent pour leur place dans l'alphabet.
« La valise s'écrasa contre le mur ; les jointures en garderaient une raideur. Le cuir montra ses entrailles percées et le linge vomit pêle-mêle.
Visiblement, c'était avec une force d'homme qu'était parti le coup. Une paire de chaussures de ski réactiva la rancœur de Julie et une des deux pointures quarante-quatre durcies par la neige et les années vint atterrir avec fracas sur la table de nuit de Valentin. Une paire de lunettes vola en éclats, un livre de poche se froissa de ce coup bas, une lampe de chevet y perdit à jamais ses lumières et se brisa à terre, entraînant dans la même condamnation une photographie de Julie souriante. Le sous-verre éclata et un des morceaux défigura le portrait. Elle n'avait pas envie de sourire à Valentin aujourd'hui. Une voisine frappa à la porte. Elle n'attendit pas la réponse, et pénétra dans l'appartement, un peu effrayée. Elle découvrit son amie, assise et prostrée au milieu de la chambre, une chambre souillée des gestes durs que Julie s'était autorisé. Sa colère semblait loin d'être assouvie, plutôt à peine assoupie.
— Que t'arrive-t-il ? demanda-t-elle, en la relevant et en la prenant dans ses bras.
— Je ne le supporte plus, gémit Julie dans une nouvelle crispation, je ne supporte plus la façon dont il m'impose ses exploits, les piteux et les triomphants !
Dans son dos, la main se faisait simplement toucher et contre elle la respiration se voulait apaisante. La détresse de l'une était à deux doigts d'emporter l'autre dans son sillage.”
Ronan desserra un instant ses pensées, comme pour soulager la tension sur Julie afin de lui permettre de se dire. Rien n'était encore réglé. Il avait échangé les rôles avec Valentin et avait investi le ressenti de Julie, en lui déversant le sien avec abondance, sans retenue. Elle était devenue son exutoire dans ce chapitre. Il se mit à faire les cent pas, exprimant ses tourments à voix haute, car la pensée seule ne suffisait plus à contenir son incompréhension.
— Je fais gagner un séjour à Julie dans un palace et ma femme m'en tient rigueur !
Athos tourna la tête et émit un son qui tenait plus du miaulement surpris que de l'aboiement.
— D'accord, je dois essayer de me mettre à sa place. Comment réagirais-je si Mathilde partait quelques jours sans me prévenir et me l'annonçait seulement une fois arrivée ? Très bien, je crois, je suis compréhensif, moi. Alors pourquoi est-elle partie ainsi, sur un coup de tête ? Pourquoi me joue-t-elle cette comédie ?
De l'autre côté de la vitre, sans le texte, le spectacle aurait pu ressembler à un drame en un acte et une voix, un « one-man-drame ».
— Je vais t'en donner, de la comédie !
Les gestes suivaient, dignes d'un tragédien antique.
— Ta Julie, si je la faisais descendre à Guingamp en chaussures de montagne et en bonnet de laine, sans oublier le casse-croûte au pâté dans le sac à dos ! Au niveau personnalité, sa côte remonterait en flèche, on ne pourrait plus m'accuser d'en faire un personnage chewing-gum ! Peut-être que la tête décomposée de Valentin suffirait à calmer ta colère ! J'irai même jusqu'à lui faire s'apercevoir de son attitude vis-à-vis de sa femme, voire de lui faire des excuses !
Au comble de l'aveuglement, Ronan était prêt à sacrifier ses personnages, à les entraîner au bout de l'incommunicabilité afin de sauver son propre orgueil. Le bouillonnement dans ses veines se changea alors en une détermination farouche, ridicule, une détermination qui allait de nouveau emporter Julie, outil et victime tout à la fois.
« Julie se sentit soudainement chargée d'une nouvelle force. Elle venait de prendre une décision qui ne lui ressemblait pas. Elle se sépara de son amie, doucement, mais avec conviction, puis vint s'agenouiller près de la valise éclatée. Les traits serrés, blanchis par une inflexible volonté, elle commença d'empiler de nouveau les affaires en tas réguliers. Cette fois, la valise se laissa faire, docile.
Cette attitude ressemblait plus à une offensive qu'à une rémission.
— Que vas-tu faire, Julie ? demanda son amie, anxieuse.
— Je vais lui montrer ce que c'est d’être uniquement le réceptacle des désirs de l'autre, de se laisser définir par l'autre. Je vais lui montrer la souffrance qui peut en résulter.
Ses paroles ne cadraient décidément pas avec son être, ses mots n'étaient pas en phase avec le mouvement de ses lèvres, comme si la bande son du roman avait été substituée par une autre lors du montage. Julie termina ses bagages sous les yeux atterrés de son amie, qui ne la reconnaissait pas.
— Je lui ai dit que j'irais à Guingamp, reprit Julie, décidée, alors j'irai à Guingamp. Je ne vais pas me dérober !
— Comme cela ? Avec tes affaires de ski ?
Julie ne répondit pas. Son regard était fixe, comme enchaîné à cette décision qui venait de l'emmener trop loin déjà pour qu'elle ait pu rester à l'écoute.
9 h 30 du matin. La rue, vivante et encombrée, première étape de son chemin de croix. Les skis glissaient et s'emmêlaient dans son dos, mais elle irait jusqu'au bout. La valise se balançait à chaque pas, emportant et ramenant son bras tendu à l'extrême et contractant son visage dans le même tiraillement.
Le taxi l'avait laissée quelques dizaines de mètres plus hauts seulement, trop englué dans la masse des départs et des arrivées pour avancer plus avant. En ce matin gris, des envies de vacances avaient remplacé les mornes perspectives du quotidien sur les visages. Dans le hall, les mallettes et les serviettes strictes de la semaine précédente avaient fait place à des malles et à des sacs ventripotents.
Çà et là, des groupes se formaient, grossissaient, prenaient de l'assurance, se laissaient aller à quelques éclats de voix qui sentaient les exploits des années passées et ceux à venir. Des skis et des bâtons dépassaient de bien des têtes, encore tout raides d'une année passée dans un placard. Un train à destination des Vosges allait être mis en place. Personne ne prêta donc attention à Mathilde, personne sauf le préposé aux billets, qui dut faire répéter la destination à Julie, de peur d'avoir mal compris.
A cette heure-ci, pour elle, le mieux était d’aller prendre le TGV à Metz. On annonça le TER pour Metz voie n° 2 et celui pour Remiremont en face, voie n° 3 ; le hall d'attente entier glissa vers les quais ; Julie suivit le mouvement, emprunta le passage souterrain et déboucha au milieu du groupe, déjà reformé. Elle se rangea instinctivement parmi les skieurs regroupés en un bataillon de lanciers aux armes évasées et recourbées.
Le train pour les Vosges surgit, balayant de son odeur de gas-oil et de ses gémissements huileux tous les possibles issus de ces rencontres autour d'une attente commune. Depuis un moment déjà, une voix dans le haut-parleur répétait une information à propos des voyageurs sur la voie n° 2.
Un second souffle chassa le premier ; son pendant pour le nord lorrain déferla encore sur quelques dizaines de mètres et vint s'arrêter devant ses marques. La colonne des prétendants se scinda irrévocablement en deux. Julie s'arracha alors à son alibi et vint se planter devant le train pour Metz. Elle se mêla avec les autres au cône d'impatience qui se formait autour d'une ouverture. Là, elle sentit les premiers doutes à son sujet, les premières interrogations.
« Elle a dû se tromper, elle va s'en apercevoir en montant dans le train. »
A son tour, Mathilde fut prise dans le mouvement ascensionnel. Elle monta.
« Elle n'a pas regardé. Tant pis pour elle. »
Quelques rires sourds fusèrent dans son dos. C'est à partir d'ici que sa victoire commencerait. Elle ressasserait la curiosité moqueuse dont elle se sentait l'objet afin d'en faire un envahissant bouquet de honte et de rancœur qu'elle offrirait à Valentin.
A bord, dans les voitures, les passagers prenaient un air détaché vis-à-vis de ces nouveaux arrivants, ces étrangers qui venaient leur voler la quiétude qu'ils s'étaient forgés depuis la dernière gare.
Les skis ne rentraient pas dans le compartiment à bagage, plus habitué à accueillir attaché-case et valises. Elle laissa la sienne entre deux sacs à dos ventrus, conservant pour le moment skis et bâtons à la main. Dans le carré central, il restait une place. Les voyageurs évitaient de la regarder ; ses genoux n’étaient pas les bienvenus.
Elle choisit pourtant de demander à s’asseoir. On l’accepta, bon gré mal gré. Elle dut lever les bras et les skis en prenant soin de n’éborgner personne et casa tant bien que mal son matériel dans l’espace au-dessus des sièges à l’aplomb des têtes.
Le train s'ébranla lentement, avec une douceur qu'on ne lui aurait pas prêtée à l'avoir vu entrer en gare tout frein sifflant. La valse des gares commença, toutes négligées par le TER, des gares dont on devinait à peine le nom et que seuls quelques-uns d’entre eux daignaient fréquenter. Sur les quais, des silhouettes tout juste entrevues semblaient se fondre sous les yeux des voyageurs en une ligne informe, changeante au gré des traverses. Puis, immédiatement après, le ballast gris reprenait possession de l’espace.
A Metz, il lui fallut descendre pour se retrouver de nouveau empêtrée dans ses affaires et attendre que le TGV daigne arriver. La rigueur toute militaire de ses murs, symbole de l’annexion allemande du début du siècle dernier, contrastait avec la désinvolture de ses usagers. Un jeune couple venait de se retrouver ; à voir le sac au pied de l’homme, il venait lui aussi de descendre du train.
Julie avait été cette jeune femme, un jour, à encourager de la pensée les dernières remontées de la grande aiguille sur le cadran. Une seconde de plus, quarante mètres de moins. Aujourd'hui, vingt ans après, c'est elle qui était dans le train, seule avec sa détresse, et lui attendait des retrouvailles heureuses et victorieuses qui ne viendraient pas.
Sur le quai, un enfant s'était remis à sucer son pouce, sans doute angoissé d'être envoyé en quelque endroit lointain pour la première fois. Ses parents tâchaient de lui parler de la seule manière qu'ils connaissaient :
— Tu es un grand garçon et les grands garçons ne sucent pas leur pouce. Même ta petite sœur se passe de sa tétine, maintenant.
Aujourd'hui, le grand garçon devait se sentir le plus petit des bébés et cela, personne ne lui en reconnaissait le droit. Bien sûr, il avait dix ans cette année et il retrouverait ses parents au retour, mais pourquoi ne lui laissaient-ils pas le droit à l'appréhension ?
Entre deux hoquets, il croisa le regard de cette femme triste, aux skis trop longs, et c'était un regard qui disait : « Oui, je vois bien que tu es angoissé et que tu voudrais bien, pour aujourd'hui au moins, retrouver le bébé que tu étais, le bébé que l'on n'aurait jamais laissé tout seul. »
Il lâcha un instant son pouce, un instant seulement, car c'est de ses parents qu'il avait besoin d'être entendu. La mère sourit à Julie et cette dernière lui rendit un sourire de convenance.
Pendant que les employés de la gare vérifiaient les billets, la rame aux allures de coursier métallique se plaça devant le quai. Les portes s’ouvrirent, invitant les voyageurs à pénétrer.
Chacun se mit alors à la recherche de son siège, quelques-uns maugréant, trompés par une numérotation des places parfois déroutante.
Julie attendit que l’espace soit libre pour naviguer avec son matériel dans les couloirs. Elle bloqua les skis tant bien que mal en position verticale en marge du compartiment à bagages et vint s’affaler à sa place.
Enfin installée, elle laissa dériver ses pensées vers Valentin. Un sourire inhabituel pour ses lèvres s'accrocha à son visage. Elle allait avoir mille fois le temps de façonner ses retrouvailles avec son mari, de s'imaginer pavanant devant lui, l’une ridicule, l’autre ridiculisé. Fermant les yeux, elle se complut dans l'hébétude qu'elle destinait à Valentin. Elle avait payé suffisamment cher pour jouir de ce spectacle à venir tout le long du parcours.
Le train démarra, l'exultation s'émoussa. Dans la voiture, le calme reprit sa place, on gardait ses forces, on grappillait un peu de ce sommeil qui semblait vouloir se lever avec les premiers rayons du soleil de la journée, ces rayons qui chatouillaient les visages entre deux pans de murs ou deux rangées d'arbres. Rien ne pressait, le déroulement du temps n'était pas de leur ressort.
La surprise de Valentin se fit moins nette dans l'esprit de Julie, trop ressassée sans doute. Ses pensées se firent moins précises au fur et à mesure que ses paupières glissaient.
Panodyssey - Chapitre 2.2 : Exaspération - Erwann Avalach

