Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet 2001)
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Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet 2001)
"Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" me fait l'effet d'une inépuisable malle aux trésors à plusieurs entrées. Il y a l'entrée de la réminiscence proustienne par la boîte de bergamotes (et non la madeleine!) de Nancy, il y a tout à côté l'entrée sensuelle delermienne par le sac de grains, il y a l'entrée folklorique du Paris-village par la carte postale, le biais idéologique dans lequel certains s'acharnent à voir une entrée (c'est plutôt selon moi un cul-de-sac) et puis il y a l'entrée autistique par le bocal d'aquarium de Bruno Delbonnel, celle que je vais emprunter aujourd'hui pour faire mieux découvrir cet univers.
Il y a d'abord l'hypertrophie du détail. Lorsque le film commence, il se focalise sur... une mouche. Un détail dont on connaîtra tous les détails de ses derniers instants. Son espèce, ses capacités, sa dernière action, le lieu et la seconde, minute, jour, mois et année de sa mort "Le 3 septembre 1974 à 18 heures 28 minutes et 32 secondes, une mouche bleue de la famille des Calliphoridae capable de produire 14 670 battements d'ailes à la minute se posait rue saint Vincent à Montmartre." Nous sommes directement connecté à l'esprit d'Amélie Poulain (Audrey Tautou), celle qui regarde lorsqu'elle est au cinéma l'insecte qui se pose par mégarde dans un plan de "Jules et Jim" de Truffaut plutôt que les personnages qui en forment le centre.
Il y a ensuite ce défilé de personnages solitaires qui tournent en rond dans leurs (au choix) obsessions, maniaqueries, routines, rituels, ceux-ci les enfermant autant que les aidant à survivre en contenant leurs angoisses. La forme même du film épouse cette manière de vivre en établissant des listes poétiques en vers "à la Prévert" sur le mode "Il/Elle aime", "Il/Elle n'aime pas". Quelques exemples:
-Le père et la mère d'Amélie (Rufus et Lorella Cravotta) aiment nettoyer et ranger régulièrement le contenu de leur boîte à outil/sac selon un ordre bien précis.
-Une fois sa femme décédée, le père d'Amélie lui construit un mausolée qu'il entretient de façon obsessionnelle.
-Raymond Dufayel (Serge Merlin) reproduit le même tableau de Renoir depuis 20 ans.
-Nino (Matthieu Kassovitz) collectionne les photos d'identité ratées en fouillant sous les photomatons.
-Joseph (Dominique Pinon) qui passe ses journées au café à surveiller le comportement de ses ex-petites amies enregistre sur magnétophone des observations qu'il pense être des "preuves" de sa jalousie en mentionnant toujours l'heure et la minute précise (quand on évoque les obsessions autistiques de certains garçons asperger, on prend toujours l'exemple des horaires de train appris par cœur!).
-Georgette (Isabelle Nanty) est une hypocondriaque obsédée par ses maladies imaginaires.
-Amélie ramasse compulsivement des galets plats dont elle remplit ses poches pour ensuite faire des ricochets dans l'eau.
Enfin les problèmes de communication sont au coeur du film et les voies détournées pour y parvenir (les fameux "stratagèmes") un de ses principaux vecteurs poétiques et polémiques, les actions anti-Collignon (Urbain Cancelier) revêtant un aspect intrusif et harceleur peu louable (quoique ce soit aussi un moyen de le faire plonger dans la peau d'un handicapé, lui qui les méprise et les rabaisse à longueur de journée). Le téléphone par exemple est une hantise des autistes. Des téléphones dans "Amélie Poulain" il y en a plein mais ils sont détournés de leur usage habituel. Ils sonnent dans les cabines publiques, mais personne ne répond au bout du fil comme si l'interlocuteur était un fantôme (en fait il se cache et observe de loin l'effet de ses actions). Ou bien il répond brièvement et raccroche aussitôt comme s'il avait affronté une terrible épreuve. Celui d'Amélie est enfoui sous des coussins (parce qu'elle ne s'en sert jamais). Il y a aussi la hantise du contact physique. Le père d'Amélie ne la touche jamais, sauf lors des examens médicaux, Amélie met toute la distance des escaliers de Montmartre entre Nino et elle, ou bien une vitre, ou bien une porte, ou bien des affiches et photos plus ou moins savamment floutées. Lorsqu'enfin elle se laisse approcher, c'est sur le mode d'un lent apprivoisement. Sinon elle s'absente de nouveau (comme le montre la première scène de sexe du film où elle est visiblement ailleurs.) Raymond Dufayel et ses os de verre qui l'obligent à vivre en huis-clos dans un appartement molletonné est un écho d'une Amélie dont l'appartement est un cocon protégé de la lumière de l'extérieur par d'épais rideaux. La plupart des autistes, hypersensoriels, ne supportent pas les lumières vives et les bruits forts. Par contre de toutes petites sensations apparemment anodines (caresser une endive, plonger sa main dans le grain, écouter le son que produit la croûte d'une crème brûlée lorsqu'elle est cassée par la cuillère etc.) deviennent par la voie de l'amplification de grands plaisirs (ce qui rejoint l'hypertrophie du détail). Et le manège/l'attraction par son aspect circulaire est un grand moyen d'apaisement.