CHAPITRE 8: L'ATTENTE
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CHAPITRE 8: L'ATTENTE
J’attends dans l’angoisse et le silence. Que pouvons nous faire sinon attendre dans l’angoisse et le silence? Se taire, laisser croître le vide en nous, fixer l’horloge qui tourne irrémédiablement, de façon mécanique et rigoureuse. Une simple horloge dans le couloir, dans un coin du couloir qui ne fait même pas de bruit, que les autres ignorent et pourtant, qui signe les derniers moments d’une vie. Une vie particulière et un million d’autres vies inconnues à côté qui ignorent. L’aiguille ne s’est pas arrêtée; elle a continué son tour de garde, son tour de meurtrière bien aiguisée, sagement.
Par la fenêtre, on voit les voitures qui bougent, toujours la même excitation urbaine, des gens qui marchent, le ronronnement quotidien n’a pas fait place aux cris, pas de pleureuses, seulement les pâquerettes sur la pelouse qui s’ouvrent vers le ciel.
Ainsi sommes nous irrévocablement seuls face à la mort. Chaque douleur reste personnelle, c’est peut-être l’émotion la plus solitaire qui soit, on ne peut pas la partager; la dire n’est pas l’amoindrir mais seulement lui donner un visage.
Je me suis toujours demandée comment l’on pouvait survivre à la mort d’un enfant. C’est une épreuve tragique qui n’a pas de réponse, c’est une injustice d’une violence inacceptable. Comment se réinsérer dans la vie, retrouver goût aux choses et aux êtres, se permettre simplement de sourire, de reprendre plaisir à vivre sans ce puissant sentiment de culpabilité. Le plus cruel est peut-être les interrogations inévitables qui nous traversent et ne cessent de nous harceler, ou bien encore tous ces remords qui nous envahissent. Pourquoi n’ai-je pas dit cela ? Pourquoi n’ai-je pas fait ceci ? Suis -je responsable de la maladie ? Pourquoi n’était ce pas moi sur ce lit ? Suis-je punie pour avoir commis un péché ? Ai-je suffisamment aidé mon enfant ? Ai-je fais les bons choix ? Cette culpabilité injustifiée peut être vécue par les parents mais aussi par les frères et sœurs, les grands-parents, toute la famille. Je suis moi-même passée par cet écueil. Je me suis sentie responsable de la mort des enfants, une sorte de superstition et je suppose qu’il doit en aller ainsi pour l’ensemble du corps médical. Heureusement, le dialogue et l’échange des expériences nous ramène à la vérité, celle qui nous dit que nous ne sommes pas maître du destin des autres.
L’annonce de la rechute de Marion a réveillé cela en moi. Je l’ai vu comme un signe qui m’était envoyé que je ne devais pas trop vite me réjouir, que rien n’était gagné. Avais-je donc oublié que j’étais l’oiseau de mauvais augure ?
Déjà auparavant, j’avais vu revenir à l’hôpital un jeune homme qui avait été jugé guéri. Les rechutes sont-elles si fréquentes ? Est-il possible qu’un même être puisse guérir deux fois d’une telle maladie ? Je ne peux m’empêcher de me poser cette question. Bien sûr, il faut toujours garder espoir. L’espoir est bien plus qu’une lueur, ne dit-on pas que « c’est ce qui nous reste quand on a tout perdu ». Et quand on l’a perdu, il ne nous reste plus rien. C’est aussi le signe que le moral tient bon et cela participe à la guérison.