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Chapitre 6 - Emasculation

Chapitre 6 - Emasculation

Veröffentlicht am 30, Apr., 2025 Aktualisiert am 15, Juli, 2025 Humor
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Chapitre 6 - Emasculation

— Il est magnifique, n’est ce pas ?

— Je ne sais pas. Tourne le un peu.

— Vers la droite ou la gauche ?

— Ça changera quoi ?

— Pas grand chose. Comme ça ?

— Un peu plus.

— Encore un peu plus… stop. Voilà, nous y sommes.

— Et alors ?

— Non.

— Quoi non ?

— Il n’est pas « magnifique ». Je réponds simplement à ta question.


Venus le saisit entre ses deux mains, tend les bras pour l’éloigner le plus possible de son visage, le monte, le descend, le tourne de trois quarts d’un côté, puis de l’autre, le suspend tête en bas en le saisissant par le pied droit. Elle en conclut :


— Ça doit venir du père.

— Hé, je n’y suis pour rien moi !

— Non, effectivement, je te le confirme.

— Ça m’étonnais aussi. C’est qui ? Attends une minute… quand je regarde son profil, j’ai une furieuse envie de la regonfler avec une pompe à vélo, comme une chambre à air aplatie, crevée par un vieux clou rouillé… mais même si j’avais une rustine, je ne saurais pas où la coller.


Mars s’illumine, Mars se raidit. Il hurle :


— Tu n’as quand même pas osé ?

— Du calme mon fougueux et belliqueux partenaire en amour comme en guerre. Celui-ci également tu pourras l’ignorer. Et sans l’abandonner à la première chienne errante aux mamelons distendus, empressée d’allaiter tes bâtards. Je m’en occuperai.


Indifférent plus que soulagé, Mars s’éloigne sans attendre, d’un pas cadencé à la mode de Pyongyang. Après quelques mètres, il fredonne, enjoué, une chansonnette, une comptine délicate sur un air de Trenet.


« ♫ P’tit tambour ou pov’gars

Trou’duc estropié au combat

L’art de la guerre forç’ra

L’chirugien à s’sortir les doigts ♫ »


*****


Enfoui dans un pseudo coma qui se rêve éternel, Cupilcolo est dissocié de l’instant. De tous les instants, sauf un : l’original, le primitif. Pas celui de la création, il indiffère tout le monde, à part son artisan, et encore, seulement pour se vanter, entre deux laxatifs, de ne pas toujours avoir été si constipé.


Celui qui ressurgit à présent, qui accapare toute l’attention de l’angelot, qui se répète en boucles dans son état oniroïde, c’est le sien, son premier moment à lui. Uniquement. Il n’a jamais compris pourquoi, dès son avènement, sa mère s’était comportée comme… une mère. Ici, ce n’est pas l’usage ; cela n’a même, par essence, aucun sens. Maternité et paternité sont attribués au gré des brises cosmiques, pour enrichir les mythes et les refaçonner, avec une audace comique constante et une inimitable maîtrise de l’à peu près.


Pas de filiation, pas de génétique, pas d’évolution. Pas d’avant, pas d’après, pas de chemin ni de direction. Darwin aurait trouvé le temps un peu long. Aucune nécessité de procréer pour assurer la survie de l’espèce. Aucun attrait pour la protection, ni de son prochain, ni de son précédent, ni de soi-même au demeurant. En conséquence, aucun amour ni aucune passion. Et pourtant. Pourtant, sa mère l’aime. Même si elle fait semblant.


Abruti par ce souvenir, il n’entend pas Mnémosyne et sa litanie d’événements. Il n’entend pas non plus les ronflements bosselés, les sifflements stridents des sommeils en apné, les grognements, la bave en goutte à goutte qui suinte des commissures gercées, le cricri agaçant du grattement des fessiers qui rythme l’hibernation du plénum élyséen.


La divine chroniqueuse, seule à être éveillée, poursuit son récit. Elle tamise une à une chaque particule d’histoire modifiée depuis l’intervention de Cupilcolo, ces trois flèches en plein cœur de ce trio d’idiots. Elle égraine les changements, du plus petit au plus grand : là une goutte de pluie tombée à côté, arrosant un brin d’herbe plutôt qu’un autre, ici un univers éclot, un second disparu, un dernier remodelé, un nouveau film banal dans sa complexité, les Aventures érotiques de Jean Castex en BD, une guitare désaccordée et un riff grassouillet, l’avènement d’une Papesse à la tête d’une église en pleine transformation, un nouveau dentifrice, un escroc anobli, un autre président, un train qui déraille, une tomate trop mûre, un préservatif déchiré, des naissances, des morts, des gagnants, des perdants. Et quelques enchaînements dont la stochastique Tyché a le secret, des effets papillons, les conséquences funestes d’un destin tatillon.


—A propos du cataclysme du 16 juillet. Ce n’est pas un hasard qu’il se soit déchaîné le jour anniversaire de l’opération Trinity. Vous remettez ? Non ? Alors, je vais vous expliquer…


Mnémosyne est d’humeur amer. L’omniscience et l’archivage des données c’est sa mission. Elle l’accomplit avec sérieux et application. Mais son désir tyrannique de transmission est un fléau : elle l’impose, elle l’expose et pour finir, elle assomme, elle assoupie. Elle anesthésie : le Troupeau Céleste pionce. Le continuum est à l’arrêt.


Jamais hautaine, ni prétentieuse, ni méprisante lorsqu’il s’agit de s’ouvrir et de se révéler au travers des effroyables brassées de souvenirs qu’elle a accumulées. Authentique et innocente. Désireuse de répandre, de prodiguer, de s’offrir. Affamée, en contrepartie, de regards émerveillés : en pleine confusion entre désirs, libido et besoin frénétique d’ovations, d’applaudissements rugissants. Un final explosif, un orgasme cosmique, c’est tout ce qu’elle attend, au lieu des postérieurs tournés et des pets odorants.


En guise de bravo, un simple boum, émerge de la Meute. Simple, mais fracassant : Thần Trụ Trời, Dieu Pilier vietnamien, Affuteur d’Horizons, est tombé. Une secousse hypnique, un spasme inopiné et voilà le titan étendu de tout son long, les pieds au large d’Hô Chi Minh, la tête non loin de la californie, évitant de justesse Taiwan, Les Philippines et Hawaï, le cul au frais dans l’océan, entre vagues scélérates et courants mécréants. Et, lorsque le plus titanesque Dieu de la Création s’effondre, cela peut faire un peu de bruit. Ainsi que quelques divinités mineures aplaties. Sans oublier le tsunami déferlant sur les côtes, d’Asie en Alaska, du Mexique aux Fidjis, toutes déjà ravagées par un brûlant été, comme Mnemosyne vient tout juste de l’expliquer.


De ce tas de chair divine échoué dans la boue, s’élève jusqu’au Pinacle Ultime un barnum en écho, un roulement assourdissant. Mnénomyse s’interrompt. Son public, captif jusqu’à présent de ses obsessions et de son rythme lancinant, s’éveille en éructant. Morphée peut, à son tour, aller se coucher. Cuplicolo, Robert, Shamash, les jurés et le Discrétoire, dans son intégralité, s’extirpent de ses bras. Kanaloa déroule les siens, un à un. Le dernier s’étend si loin qu’il s’en va chatouiller les narines d’un des deux Janus, tourné du mauvais côté, qui s’agace et le mord sauvagement en prononçant une série de jurons d’arrière gorge évoquant un curé, un fruit, un sphincter et le journal de Mickey. Le poulpe émet un tout petit cri suraigu, ridicule et gênant. Si Lovecraft l’avait entendu, il n’aurait probablement jamais écrit L’appelle de Cthulhu.


— C’était quoi ?


Cupilcolo se retourne et constate les dégâts. Il hausse les épaules, alignant ses clavicules avec ses lobes d’oreilles et dit en babillant, encore ébloui par les reflets de son passé :


— Rien d’important. Du mobilier pas vraiment adapté. une chaise trop petite pour une croupe de géant. Laissez tomber. Ou plutôt tenez vous, ça va recommencer.


Robert soupir et murmure, les levres jointées « qu’est ce que ça peut être chiant ».


— C’est presque terminé. Fermez les yeux. Pincez-vous le nez et gardez la bouche fermée.


Mnemosyne se lève et quitte son pupitre, contrariée, se tourne vers sa Communauté. Elle se racle la gorge, caresse ses lèvres d’une langue moite et rosée, ajuste ses lunettes à l’aide de son majeur, tendu et insolent, s’apprête à parler.


Un son rauque, vomit bien plus qu’émit. Elle s’interrompt. Recommence. A nouveau une voix de chique, de tumeur, de cancer avancé. Elle lévite maintenant, écarte les bras, vrille, tremble, se dilate, s’expand. Elle si frêle, si délicate a acquis une carrure d’oedème généralisé. Sa peau vergeturée se déchire. Il s’en écoule un fluide épais, visqueux, couleur safran, aux parfums envoûtants d’un marché aux épices. Elle est tellement distendue qu’elle n’a plus d’autre choix que d’exploser. Au lieu de cela, elle se contracte en un point du temps, un grain sec, opaque, photo-dévorant : de bombe à viscères célestes à deux doigts d’éclater à pixel sans ampleur, sans étendue et sans luminosité. Légère, elle flotte entre les soupirs des Divins tout-puissants. Elle passe de l’un à l’autre, hésite, puis s’arrête, net.


Un second boum. Différent du précédent. Plus onctueux, plus nappant : Mnemosyne est partout, ses lambeaux entre toutes les dents, enchâssés dans chaque trou béant. Aucune divinité ne pourra plus jamais l’ignorer.


— Et là, c’était quoi ?

— Pas grand chose si vous avez suivi mes conseils.

— J’ai pris la bonne habitude de vous écouter.


Robert garde son calme, en apparence. Il préfère calquer son attitude sur celle de Cupilcolo. Il est perturbé par les fragments de l’archiviste qui le recouvre de la tête aux pieds, mais il se dit qu’une bonne douche, même ici, cela existe. Tant qu’il n’a rien avalé… Il constate d’ailleurs que ses débris (les siens et ceux des autres) se déplacent, autonomes, migrent lentement et convergent en un point situé en dehors de son champ de vision. Cela prendra des années, peut être des éons, mais il semblerait que Mnemosyne soit en capacité de se réassembler.


— Ce n’est pas la première fois, n’est ce pas ?

— Exact ! On va pouvoir recommencer à jouer au Trivial Pursuit sans qu’elle vienne pourrir nos parties. Cool, non ?

— Formidable. Et, que s’est-il passé ?


Cupilcolo se retourne pour la seconde fois et désigne un mastodonte à l’air satisfait, mi animal, mi supporter du PSG et une demie portion hilare, debout sur un tabouret.


— C’est Seth l’egyptien. Dieu des bourres pifs et des combats de MMA. Il ne faut pas lui en vouloir, il est un peu… limité. Mais attachant quand on le connaît. Il pense que tout problème peut être résolu par la violence ou par une séance de penaltys. Quand il ne comprend pas, il s’énerve. Donnez-lui une mayonnaise à préparer, vous allez vous marrer. Je l’aime bien. Il a son utilité. La preuve.


— Et l’autre?

— Nzha, Dieu chinois du… du quoi au fait ? Je ne sais plus. En tout cas, c’est un petit con. Je l’aime bien aussi.

— Contrairement à Mnemosyne.

— Ah non, détrompez vous, je l’aime beaucoup également. Elle a un goût de miel et de citron confit.


Cupilcolo sourit. Des éclats de l’historiographe exquise s’agitent entre ses incisives.


Robert préfère ne pas commenter.


— Vous aimez tout le monde en fait ?

— Ça vous surprend ? En fait, non, il y en a un que je n’aime vraiment pas.

— Qui ?


Cupilcolo se tait. Son avocat n’insiste pas. Ce dernier se focalise à nouveau sur l’objet du procès et sur Kanaloa qui n’ose plus faire le moindre geste, émettre le moindre son, annoncer la moindre suite et réamorcer la machine judiciaire qui vient de caler. Comme il l’a fait tout au long de sa vie, il prend alors une initiative. Il se lève, se dirige vers le calamar paralysé. Un monticule de notes gît à ses huit pieds. Robert se penche, en ramasse quelques-unes, les tend à la pieuvre apeurée, qui tremble en essayant de s’en emparer. Puis les relâche. Sauf une, plus collante que les autres, tachée du sang épais de l’érudite atomisée. Robert la regarde, par réflexe plus que par volonté de la lire, persuadé qu’il ne saura pas, de toute façon, la déchiffrer. Et c’est effectivement le cas. Mais ça, personne ne le sait. Et il a une idée.


Il tourne alors là tête vers cupilcolo et sourit. Il lève sa main gauche, agite du bout des doigts le document ramassé. Sa manche glisse le long de son avant-bras. Il s’aperçoit qu’il est métamorphosé, vestimentairement parlant. Il porte une robe. Comme au bon vieux temps. Il pose son menton sur son rabat blanc, sa bavette, immaculée. La tête baissée, mais le regard droit. Prêt à tout transpercer. Il ouvre la bouche.


Seth se lève, sous les ricanements d’un Nzha turbulent. Cupilcolo regarde Robert et lui dit « Désolé. J’espère que vous ne mettrez pas trop longtemps à vous restucturer ». Robert comprend, mais décide de ne pas s’arrêter.


Levitation, torsion, tremblement, gonflement, compactage, dynamitage. Les résidus de Seths maculent la salle d’audience, les témoins, les experts, les jurés et tout individu présent dans le théâtre de ce curieux procès. Nzah a disparu, mais l’on discerne au loin un objet en mouvement, qui s’éloigne à grande vitesse, catapulté par l’explosion soudaine de son voisin bestial et simple d’esprit.


Cupilcolo est hilare. Janus indéchiffrable, évidemment. Kanaloa sur le point de se dessécher. Les spectateurs sont conquis. Une clameur, des hourras, des bravos, un clap tonitruant : Mnemosyne a, d’une certaine manière, enfin obtenu ce qu’elle espérait secrètement.


Shamsah, lui, est ravi d’une telle adversité, et dit à Robert : « Bien joué ». Il n’ont, tous les deux, probablement aucune idée de ce qu’il s’est passé. Robert décide de remettre à plus tard l’utilisation de son nouvel argument. Rien ne presse. Il y aura bien un moment plus propice. Il préfère profiter de son succès. Il range le document dans une poche cousue entre deux plis de sa toge et retourne s'asseoir à côté de Cupidon.


— Vous m’expliquerez, n’est ce pas ?

— Il n’y a rien a expliquer. Cupilcolo vous l’avait dit, si aucun baveux n’a jamais été autorisé à monter, c’est qu’il y a une raison. Maintenant, je sais, tu sais, ils savent, nous savons. Ils seront tous plus attentifs aux conjugaisons.


La voix de saint Pierre est légère, agréable et élégante. Son odeur crémée, tendance camembert pasteurisé. Robert tourne la tête dans tous les sens, mais ne le voit pas. Il est pourtant persuadé que c’est bien lui qui a parlé.


******


Janus, dont la moitié hipster s’est définitivement effacée depuis que Kanaloa lui a taquiné la glotte avec ses ventouses engluées, retranchée en-dedans à coder, compiler, virtualiser, tokenniser, githubiser ou plus exactement, à investir une énergie sublime à ne rien faire d’utile, se penche vers Shamash et lui demande :


— Pourquoi on les a convoqués ces deux pue-la-flemme ?

— Pour se marrer je crois. Mais c’est assez décevant. Heureusement que Mnemosyne est indisposée. Pour une fois, il n’y a rien d’intéressant à consigner.

— Et sérieusement ?

— Pour expertiser l’arc et les flèches de Cupilcolo. Ce sont les armes du crime, non ?


« Ouaaaiii » gargouille l’angelot déchu (ou en passe de l’être), d’un râle interminable, huileux, vrillé par l’alcool, gonflé par les levures hyperactives d’une bière douteuse et graissé par des chips au goût amer et rance. Détendu, sans aucune des entraves comportementales imposées habituellement aux coupables désignés, il fracasse sa bouteille à demi-vide contre celles du juge et du procureur. Un « tchin » arpégé se fait entendre de la bouche des trois démiurges murgés. Il se retourne et cherche en vain à brutaliser également la bouteille de Robert. « Toujours pas », dit ce dernier en présentant face à lui ses mains ouvertes et vides. Il se penche vers Cupilcolo pour lui demander avec discrétion :


— J’ai bien assimilé que le procès ne se déroulerait pas classiquement. Mais de là à lier amitié avec le magistrat et l’accusation en plein débat, c’est un peu inhabituel, non ?

— Et si on commandait des pizzas ? dit soudainement Cupilcolo, sans tenir compte de la question de son défenseur attitré. Les potes, vous en dites quoi ?

— Ouaaaiii, vagissent alors Shamash et Janus d’un ronflement unique quoique désynchronisé, texturé à la lime et à l’émeri gros grain.


Le spectacle, face à eux, est édifiant.


D’un côté Ilmarinen, Dieu balte détrempé qui passe son temps au bain dans les lacs géants bordés de conifères et de feuillus légers de son pays glacé. Il se vante d’avoir, à peu près, tout forgé : du premier couteau à beurre jusqu’au sabre laser d’obi wan Kenobi, alors que tout le monde sait que seul un Dieu breton, un peu éméché, a pu s’imaginer qu’un poignard non-tranchant était indispensable pour tailler dans le mou d’un bout de gras lacté.


De l’autre côté, Ogun. Un peu moins mytho (un comble pour une divinité), spécialiste en tabac, en rhum, en machette et en faisans étêtés. Quand il est à court d’argument, il sort un coq des pans de son long caban écarlate, lui arrache la tête, se la fourre dans le gosier puis recrache le bec en direction de celui qui ose le défier, le corps sanglant du gallinacé abandonné à ses pieds comme un mégot rouge-feu le serait en pleine forêt pour, intentionnellement, tout rôtir. Compte tenu de la hauteur du tas de dépouilles sur lequel il est perché, on peut supposer qu’il est très exaspéré.


Le débat d’expert sur les saintes reliques du crime du marmouset tourne donc à l’affrontement, entre une savonnette qui, d’un mensonge à l’autre, vous glisse entre les doigts sans jamais s’arrêter et vous fait passer pour couillon dédaigneux, arrogant et un brasier sanglant qui ne parle que volaille et éradication, insulte l’imagination et sanctuarise la moindre de ses positions, surtout celles qui convoquent l’héritage et les traditions.


Un vrai débat d’idées, dont ces dernières sont, bien évidemment, exclues. Un mauvais match de catch déjà joué sur le papier que les trois abrutis assis à côté de Robert préfèrent ne pas regarder, concentrés sur la bière, les chips et autres saloperies salées.


Fatigué, usé, dangereusement détaché, Robert s’engouffre dans les ultimes profondeurs du canapé sur lequel ils sont tous les quatre avachis. Il se demande si, derrière lui, la Multitude s’est également métamorphosée en foule d’individus abrutis de mauvaises retransmissions sportives, engraissés de nourriture souillée, rincés d’alcool frelaté et vautrés dans du moelleux en toc, de la fange bon marché. Il s’en veut de porter de tels jugements, de flatter ses propres valeurs au détriment de celles qui lui sont opposées. Mais il admet qu’en réalité, il s’en fout complètement, à son tour. Cela devait arriver. Il doit reconnaître que ce n’est pas nouveau et qu’ici, à sa décharge, il n’a plus d’obligation à faire semblant. Il ferme les yeux et respire avec force, déterminé. Assis à l’extrémité droite du sofa, il pose son bras en appui sur l’accoudoir, main ouverte en entier, doigts tendus, paume à plat tournée vers la gauche, puis la referme partiellement pour former une pince prête à saisir un verre, une bouteille ou n’importe quoi d’autre dont le contenu se boit, saoul et débilise un bon coup. Après un instant, il ressent le contact tiède et poisseux du contenant malsain apparu par enchantement dans sa pogne, le porte à ses lèvres avec dégoût et soulagement. Il est enfin des leurs, se dit-il. Un coup sec et brutal porté entre ses deux omoplates le force à recracher le breuvage avant même d’en avoir avalé la moindre gorgée, ainsi que quelques morceaux d’émail et d’ivoire expulsés de ses quatre incisives.


— Eh ! Je me suis fracassé les dents avec vos conneries !


Robert se tourne vers la droite pour identifier le funeste emmanché responsable de ce geste malheureux. Il reconnaît saint-Pierre, son auréole et son odeur de ferment lactique si caractéristique qu’il ne discerne pourtant que maintenant, échoué comme une épave à l’extrémité du canapé agrandi pour l’occasion d’une bonne cinquantaine de centimètres.


— Ne vous énervez pas, ça repoussera. Tout repousse. Je me souviens, la dernière fois que je me suis fait couper la...

— Oh, eh. C’est bon, je ne veux rien savoir. Et puis, que foutez vous ici ?

— De rien. Pour information, je vous ai évité le pire. Et n’oubliez pas à qui vous parlez, soit dit en passant.


Sans tenir compte de ces menaces non dissimulées et de l’atroce odeur de plus en plus perceptible, Robert reprend.


— Depuis combien de temps êtes-vous là ?

— Depuis le début.

— Vous vous foutez de moi, vous venez d’arriver, vous… Non laissez tomber, ras le bol. Allez au diable.

— Où ça ? Je ne comprends pas un mot de ce que vous racontez. Apprenez à vous exprimer pour défendre convenablement votre client, bordel de LUI et d’un peu de moi-même par intérim !

— Défendre mon client ? Il désigne de son pouce gauche le petit joufflu dévêtu assis à son côté, le visage déformé par l’effort nécessaire à la mastication d’une irrationnelle part de Calzone. Celui-là ? Je ne suis pas convaincu qu’il ait besoin de moi.

— Soyez patient Robert, vous n’êtes pas ici sans raison. Vous ne le comprenez toujours pas ? Réfléchissez, pensez un peu à Seth.


En silence, Robert se remémore la scène. Un dieu crétin et impulsif. Un pouvoir destructeur exercé contre lui, pauvre petit avocat élevé à un rang qu’il ne mérite pas (dans un sens ou un autre, ce n’est pas si limpide que cela). Une attaque implacable, absolue, explosive, réputée imparable, et pourtant renvoyée, réverbérée pour être exact, vers celui qui en était l’exécuteur. Et boom le Seth. Sans le souhaiter, sans action, sans pensée. Sans effort. Hors de toute volonté. Mais pas hors de toute sensation. Telle une feuille de papier souillée de phrases mal construites, de dessins outranciers ou de graffitis débiles, raturée en tous sens, gommée jusqu’à l’usure, effacée, censurée, puis écrite à nouveau, gribouillée jusqu’à la fin des temps, de plus en plus salement, voilà comment Robert se sent : palimpseste éternel à jamais décadent. Coincé dans un cycle interminable de création nulle, de destruction facile et de recréation absurde. Un enfer. Sans diable s’il a bien compris. Si ce n’est, peut-être, lui-même : boom le Seth. Il n’a plus que cela en tête.


— Et vous, que comprenez-vous saint Pierre ?

— Très peu de choses. Mais un peu plus que vous. En tout cas, juste assez pour vous éviter de commettre certaines erreurs, comme boire cet immonde breuvage par exemple. Vous savez d’où il extirpe ses bouteilles ?

— J’ai mon idée. Changeons de sujet si vous le voulez bien. Puisque vous êtes ici, expliquez-moi ce qu’il se passe, là, tout de suite.

— C’est à dire ?

— Le canapé, les bières, les pizzas, les deux experts chevronnés qui s’écharpent devant tout le monde, le…

— Les trois experts, Robert.

— Comment ça, trois ?


Il regarde en direction de la table ronde. Assise entre Ilmarinen et Ogun, calme, sereine, une pelote de laine épaisse d’un bleu tendre, presque blanche, coincée sans pression excessive sous son aisselle droite, une paire d’aiguilles dans les mains d’où s’échappe une écharpe en volutes abondantes et fluides qui s’épanouit sur sa poitrine, son ventre, ses cuisses, ses genoux, puis s’oublie au sol, s’accumule et monte comme une crème fouettée en colline spiralée envoûtante et onctueuse, Artémis tricote. De plus en plus détaché et distant, Robert demande :


— Sérieusement Pierre, elle est ici depuis combien de temps? Et que fait-elle ? Un cache-cou pour le Dieu des Laryngites et des Maladies Hivernales?

— Non, je ne crois pas. Regardez mieux.


Robert regarde à nouveau. Mieux. Une pastelle rose a la main, une incommensurable toile posée face à elle sur un sobre chevalet en bois, un tableau tout juste ébauché de traits gris, fins et légers, de zones délimitées, de galbes et de contours, de secteurs profilés au milieu desquels sont systématiquement inscrits des chiffres et des symboles qui se répètent d’une forme à l’autre, Artémis colorie. Sur un pupitre aux trois quarts incliné sis à la gauche de la toile repose un ouvrage épais : le registre intégral des caractères notés sur le tableau et leur couleur associée. Le remplissage de l’œuvre est à peine entamé, mais Robert entrevoit déjà son sujet: une scène pastorale d’une platitude assommante, d’un ennui mortifère. Penché en avant, le visage au creux de ses mains, les coudes en appui sur les genoux, Robert se permet un soupir nasillard et strident, une expulsion nécessaire au maintien de son ordre intérieur, de son intime symétrie. Il attend un instant puis se redresse. Il observe à présent Artémis farfouillant dans une jarre bombée, d’une insondable profondeur. Elle en sort un petit morceau de carton chantourné, imprimé d’un seul côté, qu’elle examine attentivement, tourne plusieurs fois du bout de ses doigts puis pose directement sur la matrice cosmique en l’encastrant dans une autre pièce en carton coloré déjà positionnée. Des myriades de fragments sont à leur place d’un bout à l’autre du champ de vision de Robert.


— Elle sait y faire, n’est-ce pas ? Voyez comme elle commence par le tour : elle pose un cadre, une limite, cerne un périmètre. Elle réoriente ensuite sa vision vers l’intérieur de ce contour. Vers son moi profond, symboliquement, vous comprenez ? Rien de mieux qu’un puzzle pour se reconstruire, qu’en pensez-vous ?

— Je suppose que cela dépend du nombre de pièces. Combien ? Attendez, laissez-moi deviner. L’infini.

— Oui. -1. Il sera donc complet avant la fin du procès. Ces derniers temps, allez savoir pourquoi, elle aspire à des activités calmes, répétitives, peu signifiantes conceptuellement. C’est mieux. Pour elle. Pour nous tous. Sinon, c’est toute la création qui va morfler, croyez-moi.

— Puisque vous le dites. Et si je ferme les yeux, que je les ouvre à nouveau je verrai quoi ? L’ultime amazone convertie en femme au foyer derrière un Thermomix à cuisiner une flopée de recettes insipides en mode semi-automatique ?

— Quel minable cliché Robert. Ne soyez pas désobligeant et sexiste, vous valez mieux que cela, allons.


Robert ne quitte plus Artémis des yeux de peur qu’elle ne s’adonne au scrapbooking ou qu’elle enchaîne des parties de solitaire sur un vieux PC usager.


— Vous avez raison, toutes mes excuses. Bon, les trois experts, à votre avis, que concluront-ils ?

— Il ne s’agit pas pour eux de conclure, mais de dire, tout simplement.

— Dire quoi ?

— La vérité, bien sûr !

— Qui est ?

— Je vous ai posé une question saint Pi…


Robert ne sent plus (au sens propre comme au sens figuré) la présence du Saint des Saints. Simon, fils de Jonas, est parti, en attendant de revenir comme témoin. Le canapé s’est (re)conformé à son nombre exact d’usagers. Il peut à nouveau se mettre en appui sur l’accoudoir et attendre le dénouement de cette séquence, avec l’espoir que l’attente soit de courte durée.


*****


— Ça suffit !


Artemis hurle à pleins poumons, lassée par l’affrontement du maître lessivié et du roi du poulet grillé.


Elle se saisit de son arc, puise une flèche dans son carquois et tire, avec une expertise authentique, sans viser.


Après deux détours, la flèche se rue entre les jambes d’Ogun, lui arrache les testicules ainsi que son étron rosé puis se dirige vers Ilmarinen pour s’emparer des siens, les saisir en trophés. Pétrifiés, surpris et diminués de ce qui leur permet de penser, ils ne réalisent pas, si ce n’est au moment où la brochette d’abats, virevoltant dans le vent, parade sous leurs nez et disparaît dans une faille cosmique, aussitôt refermée.


Réconciliés par la colère, l’humiliation et le sentiment d’être dépassés, ils se tournent vers Artemis, décidé à se venger. Il suffit à cette dernière de saisir une autre flèche, la coincer dans le cordage et faire mine de bander (elle, elle peut encore le faire) pour que les deux nigauds, après un échange de regard interrogateur et apeuré, se décident à s’enfuir conscient que le prochain coup de la Divine Archère sera bien le dernier. Il ne titubent, ne zigzaguent pas, ne trébuchent pas : il est bien évident que ces bouts de chairs flasques n’étaient pas vraiment là pour les équilibrer.

— Bon, nous voilà débarrassés dit Shamash.


Le canapé a disparu. Chacun est retourné sur son banc, son fauteuil ou derrière son pupitre. Le procès continue, le classicisme revient, il est temps de conclure pour l’experte mandatée.


— Artemis. Vos conclusions ?

— La matériel ne compte pas. Seules les intentions de l’archer comptent.


Tout ça pour ça.


— Je vous remercie, Artemis.


D’un signe de tête, elle acquiesce et s’éloigne lentement. Avant de disparaître, elle se tourne vers cupilcolo et lui dit « Désolée, je ne suis pas certaine que cela arrange ton cas ».


— Mon cas n’a pas à être arrangé, pas de soucis. Je me suis bien amusé, merci. Et heureux de t’avoir retrouvé.


Je ne suis jamais partie, dit-elle avec un clin d’œil appuyé et un sourire franc. Elle se dissipe dans le néant.


— On enchaîne, à l’assaut, les freluquets du 3ème bataillon ! Témoin suivant !

— Comment « témoin suivant » ? Je n’ai pas pu dire un mot, poser la moindre question, solliciter les experts ou même donner mon opinion !

— Vous ne pensez pas en avoir fait assez avec cet ongle incarné de Seth ? Fermez là. Rompez.


Robert se rassoit avec une certaine docilité. Il ne voudrait pas s’exposer au pouvoir de nuisance de Janus, comme les deux abrutis, experts en vacuité, se sont exposés à celui d’Artemis. Il n’est pas convaincu d’avoir, une seconde fois, la chance de renvoyer les effets d’un assaut divin.


Plongé dans ses réflexions, il ne voit pas l’arrivée du premier témoin. C’est Cupilcolo qui l’interpelle à ce sujet.


— C’est curieux, celui-ci n’est pas dans la liste des témoins convoqués.


Robert se concentre sur l’homme debout face à Shamash, pas vraiment à sa place, mais pas complètement déplacé. 50 ans, calvitie, teint gris, tenue râpée, chaussures usagées. L’homme se tourne vers Robert et Cupilcolo. Les regarde. Ses yeux sont étouffants et allumés. Allumés par la haine, par la brutalité, pour le besoin de mort, par les envies d’amour une à une contrariées. Étouffants car vidés de toute envie de résister.


— Merde, dit Cupilcolo.

— Vous le connaissez ?

— D’une certaine manière.

— C’est à dire ? C’est le Dieu de la mort ? Thanatos, Donn, Baron Samedi ?

— Ce n’est pas un Dieu. C’est un humain.

— Comme moi ?

— Non, vous n’êtes plus humains. Lui si. Et pourtant il est là.

— Et ça veut dire quoi ?

— Que c’est maintenant que mon procès va réellement commencer.


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