À une époque où les hommes n’existent pas encore, et où les sources ne donnent pas encore d’eau, naît de la Montagne sacrée Anzû. L’animal, un aigle à tête de lion, déstabilise le père des dieux, Enlil :

Quelle étrange créature ! Est-elle un aigle ?  Est-elle un lion ? Quel Destin lui arrêter ?   

Après réflexion, le Sage Ea, le plus avisé d’entre tous les dieux, le convainc de le prendre à son service :

Ô, Roi, la naissance d’Anzû a libéré les eaux,  les vents et la tempête. Je ne doute pas que son  Destin soit de protéger votre Maison !

Devenu le factotum d’Enlil, Anzû veille sur l’entrée du temple de son maître, l’Ekur. Or, le démon ne sait se satisfaire de cette situation : un jour qu’Enlil prend son bain, il dérobe la Tablette des Destins et s’enfuit dans la Montagne. Aussitôt, le monde se paralyse !

Dans l’incapacité de réagir et de se défendre par eux-mêmes, les dieux se réunissent afin de trouver un champion qui accepterait de l’affronter. Le premier de leurs héros, le dieu de l’orage Adad, refuse cependant la mission qui lui était confiée :

La force d’Anzû est toute puissante ! Qui pourrait seulement l’approcher ?

De même, la divinité Girru passe son tour et refuse de combattre l’aigle léontocéphale :

La force d’Anzû est toute puissante ! Qui pourrait seulement l’approcher ?

Encore, le dieu Sara :

La force d’Anzû est toute puissante ! Qui pourrait seulement l’approcher ?

Désespérés, les dieux se résignent à perdre leur pouvoir...

Mais voilà que le Maître de l’Apsu, Ea, prend les choses en main : faisant convoquer le Champion Ninurta – un étranger au royaume de Sumer ! –, il lui fait l’offre suivante :

Ô, Vent terrible, puisses-tu vaincre le démon Anzû ! Et, dans le monde entier, tes chapelles seront édifiées.  

Le Héros accepte et avance vers l’ennemi. Le combat, d’une violence inouïe, fait s’abattre le Déluge : saisi de peur, l’éternel Berger, Šamaš. quitte le Ciel, plongeant le monde dans l’obscurité... 

Or, le jeune Guerrier échoue dans sa quête. Déjouée par les pouvoirs surnaturels du Montagnard, chacune de ses attaques reste vaine !   

Le Champion interpelle son commanditaire, le stratège Ea :

Ô, Prince, mes flèches retournent à leur cannaie, mon arc à son fourré... Il n’est plus de bataille que je puis mener !   

Ea lui répond sans attendre : 

Que tes Vents épuisent le démon ! Que ta lame lui tranche les ailes ! Ôte-lui toute parole du cœur et de l’esprit : sa garde baissée, submerge la Montagne et coupe-lui la gorge.  

Transformé, Ninurta repart à l’assaut. Ses Vents épuisent l’usurpateur, sa lame lui tranche les ailes... Enfin, le moment fatidique : privé de toute parole, l’Anzû baisse la garde. Son sort en est jeté : le jeune dieu submerge la Montagne et lui coupe la gorge.

Aussitôt, la nouvelle de la victoire du Héro se répand au royaume de Sumer. Le monde serait sauvé ! En gage de sa bonne foi, Ninurta envoie au père des dieux, Enlil, les ailes tranchées de l’Anzû. Ravi, Enlin invite le triomphateur à le rejoindre en l’Ekur avec la Tablette des destins. Son pouvoir retrouvé, il lui offre alors sa récompense : dans le monde entier sont aujourd’hui établis les sanctuaires du Champion Ninurta.

[Datation du mythe original : environ première moitié du IIe millénaire ; texte et adaptation : Jérôme Pace]