La journée avait été longue et difficile. Plusieurs alphas avaient afflué de tous les territoires alentours cette semaine pour traiter des soucis liés aux vampires. Un grand nombre de ces créatures avaient envahi nos terres, semant la mort parmi les humains et les loups-garous.

Chaque chambre de la demeure de la meute était occupée, et il m'incombait de les nettoyer et de les ranger, tout comme ma mère l'avait fait avant moi.

Quand je regagnai enfin mon minuscule appartement sous les combles, l'épuisement m'envahissait. Il était presque minuit, et il me restait à peine quelques minutes pour empaqueter mes biens et m'éclipser du territoire avant le retour des autres. Je n'avais rien préparé à l'avance, craignant que Luna ne le découvre. Un tel risque était inenvisageable.

Mon plan était simple : m'enfoncer le plus loin possible dans la forêt pour franchir la frontière à l'aube, quand tous seront encore endormis. Ainsi, les seules à sentir mon lien avec la meute se briser seraient les sentinelles. Elles ne s'en soucieront pas. Dans le pire des cas, elles supposeraient qu'un membre est décédé dans son sommeil et lui rendraient hommage par un chant avant de reprendre leur garde, comme à leur habitude.

- Lia, tu dois te dépêcher. 

Nila, ma louve, commençait à s'impatienter. Je pouvais ressentir son enthousiasme et son appréhension. L'enthousiasme de sa première course sous la lune argentée. L'appréhension de devenir une louve solitaire.

- Je suis prête, Nila. Nous pouvons partir.

Après un dernier regard sur ce qui avait été mon foyer ces cinq dernières années, je franchis le seuil. Je n'y avais que de pénibles souvenirs. J'avais été contrainte de m'y installer après le décès de mes parents. Leur maison avait été attribuée à une autre famille. Toutes leurs affaires avaient été revendues. Je n'avais pas eu le droit de récupérer quoi que ce soit. Pas même une photo.

Dans un soupir, je fermai la porte derrière moi et me dirigeai vers la forêt.

La nuit était claire. Aucun nuage. La lune était superbe, mais je n'avais pas le temps de répondre à son appel. 

Sans perdre une seconde, je me dévêtis, rangeai mes vêtements dans mon sac à dos et permis à Nila de prendre le relais. Mes os se brisèrent un à un. Ma peau se déchira. Dans une contorsion douloureuse, je chutai et me retrouvai sur mes quatre pattes, mon corps recouvert d'une fourrure noire épaisse et soyeuse.  Ma vue s'aiguisa, mon odorat se renforça, et mon ouïe me révéla la présence d'un loup non loin. Paul. Pourquoi n'était-il pas avec les autres?

Je restai immobile, le guettant jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière la maison de la meute. Il était probablement à ma recherche. Qu'espérait-il ? Que je sois sa compagne, désignée par la Déesse ? Ne pouvait-il pas me laisser tranquille ?

Sa présence m'angoissait. Le temps m'était compté avant qu'il ne découvre ma fuite. ar chance, il ignorait le parfum de ma louve. Avec tous ces intrus sur nos terres, il ne pouvait suspecter que le parfum qu'il avait senti dans les bois était le mien. Tant que je ne reprenais pas forme humaine, il ne serait pas capable de me pister.

- Nila, on y va. Mais souviens-toi, on ne traverse pas la frontière avant le lever du soleil.

Elle hocha la tête en silence et bondit entre les arbres. C'était une première pour nous deux, et nos premiers pas étaient incertains, presque hésitants. Mais, à mesure que les secondes s'écoulaient, nos mouvements devenaient plus assurés. En l'espace de quelques minutes, nous nous faufilions à travers la végétation sauvage, nous éloignant toujours plus de notre cauchemar.

J'étais libre. Enfin. Ressentir la brise légère dans mes poils, la terre humide sous mes coussinets et les rayons de la lune sur mon peau était un pur bonheur. J'ai couru pendant des heures, mon sac à dos fermement tenu dans ma gueule. Au loin, un cri de douleur aiguë fit vibrer l'air. Un signal urgent. Mais je ne me suis pas laissé distraire. Je ne me risquerais pas à revenir sur mes pas. Il fallait que je parte, que je rompe lien agonisant.

Devant moi se profilait la frontière. Je l'avais toujours imaginée comme un mur impénétrable ou une immense grille hérissée de barbelés sous haute surveillance. Jamais je n'aurais cru qu'elle ressemblerait à un simple sentier parsemé de pierres blanches.

Un rugissement déchirant me serra le cœur, mais je l'ignorai. Je pris une profonde inspiration et, sans un regard en arrière, je traversai le chemin. Une douleur insupportable déchira tout mon être. Je m'effondrai sur le sol et repris forme humaine dans un bruit effroyable d'os brisés et de chair lacérée. Mon lien avec la meute était brisé. J'étais désormais un loup solitaire. Il ne me restait que quelques jours avant que la folie ne s'empare de moi. Cependant, même prostrée, nue et pleurant à chaudes larmes, je ne regrettais pas mon choix. Je le referais sans la moindre hésitation.

Épuisée, je perdis connaissance, incapable de me soustraire aux regards indiscrets. Quelques heures plus tard, je repris conscience, alarmée par des hurlement qui se rapprochaient. Je me relevai avec hâte, enfilai mon legging noir, mon pull ample beige et mes bottes de combat avant de m'enfoncer dans les profondeurs de la forêt.

Texte de L.S.Martins.
Image par Enrique Meseguer de Pixabay