Chapitre 9
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Chapitre 9
Chapitre 9
Timéo, 13 septembre
Ce matin, je me rends seul sur Terre, mais très vite, je retrouve des enfants du royaume. La brume du matin s’est dissipée il y a bien longtemps et le soleil éclaire Avioth. Un léger vent s’amuse à faire valser les feuilles. Enfin, ça c’est ce que les Humains voient. Contrairement à eux, moi, je distingue et observe avec enchantement des enfants ailés qui soufflent dans les arbres. J’entends aussi leurs éclats de rire contagieux. Le sourire aux lèvres, je me joins à eux, mais me sens très rapidement extrêmement ridicule à côté d’eux. Je n’arrive même pas à faire décoller une petite feuille alors que mes camarades en font voltiger des dizaines à chaque expiration.
- Cela demande des semaines, voire des mois d’entrainement, me dit Lucas que je n’avais pas reconnu dans la nuée d’enfants.
Lui, visiblement, n’a pas perdu une miette de mes tentatives ratées. Comme pour me narguer, il prend une grande inspiration et expire de toutes ses forces. Je sens la puissance du souffle pousser mes cheveux en arrière. Quelques frissons parcourent mon corps tandis qu’il m’adresse un clin d’œil. Je l’invite à me rejoindre en pliant mon index vers moi à plusieurs reprises et dès qu’il se tient suffisamment près de mon visage, je sors ma langue et pose mes deux pouces sur mes tempes avant d’ouvrir et fermer mes mains à plusieurs reprises. Je viens de lui adresser une de mes plus belles grimaces et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne lui plaît guère puisqu’il s’éloigne en pinçant les lèvres. Je le rattrape et pose ma main sur son épaule pour l’obliger à s’arrêter.
- Allez, on est quitte, lui dis-je en lui tendant la main.
Il serre la mienne en guise d’approbation.
- On fait la course ?
Il ne me laisse pas le temps de répondre et fonce comme une flèche en direction d’un marronnier installé dans la cour d’école de Limes. Ici, je reconnais instantanément des adolescents grâce à leurs ailes rouge et noir. Ils s’entrainent à créer des petits tourbillons grâce à leurs gants magiques qui effectuent des mouvements circulaires. Une faculté bien utile pour retrouver des corps ensevelis dans la neige ou sous les décombres, en cas de tremblements de terre. Je me rappelle de celui qui avait secoué l’Italie il y a quelques mois et des nombreuses victimes arrivées dans notre royaume. Ce superpouvoir leur sert aussi à retrouver des Humains tués dans des guerres. Je ne comprends pas l’intérêt de ces dernières. Pourquoi bombarder et détruire des constructions et surtout faire mourir plein d’innocents ? Que se passe-t-il dans la tête de ces Humains avides de pouvoir ? Séraphin lui-même n’a pas réponse à mes questions. Il m’a expliqué néanmoins que par les rêves, nous pouvions faire passer des messages et intervenir dans les pensées inconscientes des Humains. Parfois, ça fonctionne très bien. D’autres fois, c’est mission impossible. Cela s’explique par le fait que certaines personnes sont plus réceptives que d’autres et qu’elles arrivent à en convaincre d’autres par leurs actions bienveillantes. Malheureusement, pas toutes, mais Séraphin m’a toutefois invité à toujours garder espoir parce que chaque petit geste peut en entrainer un autre. Comme le rire est contagieux, l’empathie peut sans doute parfois l’être aussi.
Il est midi dans la cour de récréation. Certains enfants rentrent chez eux pour manger, mais la plupart attendent la livraison des repas en jouant. Une nouvelle élève se tient parmi eux. Elle s’appelle Clara et est d’humeur joviale. Elle semble heureuse d’être là et n’a pas l’air farouche. Assise sur un muret, Valentine préfère toujours rester à l’écart. La plupart des garçons quant à eux jouent au foot. Une seule fille s’est jointe à eux. Sous mes yeux, un enfant vient de trébucher. Il arrive en pleurant près de la maîtresse :
- C’est Jérémy, explique-t-il en reniflant. Il m’a fait un croche-pied.
L’institutrice rentre pour soigner le genou écorché pendant que Célia est chargée de surveiller les élèves dans la cour. Madame Victoria, comme les élèves l’appellent, tente ensuite d’avoir une explication auprès de Jérémy. C’est peine perdue. Il se mure dans le silence en se croisant les bras. Ses seules paroles sont qu’il s’est fait insulter. Clara l’observe discrètement du coin de l’oeil :
- Jérémy n’avait pas l’air ravi que je m’asseye à côté de lui tout à l’heure, dit-elle à Célia.
- C’est mon petit frère. Il va encore avoir un lion rouge du comportement, répond Célia en levant les yeux au ciel. Depuis le début de l’année, il n’a que des lions orange et des rouges. Moi, je n’ai que des verts.
- Pourquoi il est de mauvaise humeur ?
- Je ne sais pas trop. Dès qu’on quitte la maison pour aller à l’école, il devient bougon et en classe, il ne fait pas ce que la maîtresse demande, il n’écoute rien et en plus, il se bagarre souvent.
- Et chez toi, il est pas comme ça alors ?
- Il pleure souvent le soir, mais il se fâche rarement. Il est très gentil avec les jumeaux et leur fait plein de bisous. Si tu voyais comme ils sont mignons. Ils ont quatre mois.
- Oh, j’adore les bébés. Où j’habite il n’y a pas d’enfants. C’est une ferme champêtre.
- Du coup, il y a des animaux chez toi ?
- Oui, plein : des chèvres, des chevaux, des poules et même des escargots et des abeilles.
- C’est cool. Moi, j’adore les animaux.
Les enfants se mettent en rang deux par deux et enfilent leur masque. La pandémie de Covid 19 sévit toujours et toutes les restrictions ne sont pas encore levées. Le port du masque est toujours obligatoire à l’intérieur des bâtiments scolaires, mais plus dans la cour de récréation et dès qu’ils sont assis, les enfants peuvent désormais le retirer. Quasiment toute la population belge a reçu ses deux doses de vaccin y compris les jeunes de plus de douze ans. Les festivités ont commencé à reprendre timidement depuis l’été en même temps que la réouverture des tables à l’intérieur des restaurants.
A la cantine, certains enfants mangent un repas chaud, d’autres ont pris leurs tartines et les accompagnent d’un potage servi par la dame qui les surveille. Lorsqu’elle a le dos tourné, une boulette de papier atterrit dans le bol de Jérémy. Deux gamins pouffent de rire en observant la réaction de mon frère. Je vois ses poings et sa mâchoire se serrer, ses sourcils se froncer, mais il ne réplique pas. Moi, je suis triste pour lui.
L’après-midi est consacré aux activités artistiques et sportives. Clara ne cache pas sa joie de dévoiler ses talents en dessin sous le regard admiratif de ses camarades.
- C’est ma maman qui m’a appris à dessiner et à peindre. Elle est artiste-peintre et elle fait des tableaux magnifiques.
- Moi, je sais dessiner des étoiles, annonce fièrement Jérémy en montrant sa feuille à sa voisine de bureau.
- Allez, on range tout et on sort dehors, ordonne la maitresse en frappant dans les mains. Nous allons faire des jeux par équipe.
Les enfants crient de joie, rangent leurs affaires rapidement et dans le chaos. Jérémy est le premier à se tenir devant la porte qui donne sur la cour. Il attend patiemment comme tous ses camarades que l’institutrice les autorise à sortir.
A peine dehors, la maitresse le rappelle :
- Jérémy, tu seras capitaine d’une équipe et Célia de la deuxième.
Mon frère est ravi de pouvoir choisir ses coéquipiers. De son côté, Célia appelle Clara en premier et à tour de rôle, ils composent leur équipe respective. A la fin, il ne reste plus que Valentine qui rejoint l’équipe de Célia. Comme elle a toujours tendance à rester en retrait, personne ne la connait et il est donc assez logique qu’elle n’ait pas été choisie.
Pourtant, c’est grâce à elle si l’équipe de Célia remporte le challenge. Sur les épreuves de vitesse, elle surpasse de loin tous les élèves, ce qu’aucun ne soupçonnait. Célia passe à côté de chacun des membres de son équipe pour leur frapper dans la main qu’ils tiennent levée. Même Valentine se prête au jeu, fière d’avoir fait gagner son équipe.
- Waouh ! mais t’es super forte ! lui dit Célia.
- Je fais de l’athlétisme depuis plusieurs années. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai emménagé ici, pour intégrer le club de Gérouville qui accepte les « handis ».
- Comment ça, les « handis » ? demande Clara.
- Handicapés : je suis en train de devenir aveugle alors j’apprends à courir avec un guide.
- Ah, c’est pour ça que t’as les yeux bizarres, réplique Jérémy.
Sa sœur lui fait les gros yeux.
- C’est pas gentil ce que tu viens de dire Jérémy. Excuse-toi tout de suite.
- Laisse-le, répond Valentine. J’ai l’habitude qu’on se moque de moi et de mes lunettes qui déforment mes yeux.
La maitresse frappe dans les mains, mettant fin sans le savoir à cette discussion. Captivé par les activités des enfants, je n’ai pas vu le temps passer. Il est presque seize heures. Il reste quinze minutes avant que l’horloge ne sonne la fin de la journée. Il est donc temps pour les élèves de rentrer en classe pour noter les devoirs dans le journal de classe. Pour le lundi suivant, chacun d’eux présenter devant ses camarades un exposé sur quelque chose qui lui tient à coeur. L’institutrice explique qu’elle aime beaucoup cet exercice qui fait appel à de nombreuses compétences et permet aux enfants de dévoiler une partie d’eux-mêmes. Jérémy a choisi de parler du système solaire, Célia de musique, Valentine d’handisport, Clara de son animal préféré, le renne. D’autres encore, du métier de leur rêve, de leurs vacances ou d’un film vu au cinéma. Une petite fille a choisi de parler de licornes. Bref, une belle multitude de sujets divers et variés. Comme d’habitude, Jérémy ne prend pas note du devoir. La maîtresse se saisit de son journal de classe pour le faire à sa place et en profite pour y inscrire un mot à l’attention de sa maman où elle relate l’incident du matin. Pour terminer, elle colorie en rouge le lion du comportement.
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