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Chapitre 25

Chapitre 25

Veröffentlicht am 8, Juni, 2022 Aktualisiert am 24, Juni, 2022 Kultur
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Chapitre 25

Chapitre 25

Timéo, 11 octobre

Cela fait déjà plus d’un mois que les enfants ont repris le chemin de l’école. J’ai bien envie de reprendre des nouvelles des Ligériens[1] que nous avions suivis en début d’année scolaire. J’accompagne donc Titouan pour une sortie à Violay. Les enfants sont déjà tous arrivés à l’arrêt de bus. La petite chienne Lova a bien grandi. Elle a la tête posée sur les genoux de Lubin, exactement comme il y a trente jours. A la différence près qu’aujourd’hui, un lien semble s’être créé entre ce bébé trisomique et Sylvie, la sœur de Titouan. Je m’étonne de ne pas voir les deux autres chiens. Titouan m’explique que cela devenait trop compliqué pour sa maman de les tenir tous les trois en laisse. Seule Lova a encore le privilège de se rendre à l’arrêt de bus le matin tandis que les deux autres se défoulent dans le jardin.

A ma grande surprise, je découvre que les deux mamans, elles aussi, se sont rapprochées puisqu’elles sont en pleine discussion.

  • Vous venez boire un café ? demande Christiane à Noélie.
  • Oui, pourquoi pas. Ca fera une petite promenade pour Lubin.

Les enfants montent dans le bus et font signe de la main à leurs parents au travers des vitres, jusqu’à ce qu’ils disparaissent de leur vue. Sur le chemin de la maison, Christiane tente tant bien que mal de discuter avec Noélie tandis que Lova tire assez fort sur sa laisse.

  • Je vous avoue qu’il y a quelques semaines encore, je n’aurais pas pu vous inviter à la maison. Je n’étais pas prête pour ça.

A cause de la chienne qui est pressée de rentrer, Christiane, contrairement à moi, ne voit pas la réaction de Noélie. Je suis peinée pour elle parce que ces mots semblent l’avoir blessée.

  • Je comprends, répond Noélie en fixant le sol. Je commence à avoir l’habitude.

Christiane se retourne alors, stupéfaite. Comprenant la méprise, elle tente de se rattraper :

  • Excusez-moi, j’aurais dû préciser ma pensée. En fait, ce n’est pas en raison de la trisomie de Lubin, mais tout simplement parce que j’ai perdu un bébé il y a presque deux ans maintenant. Il s’appelait Titouan et jusque-là, il m’était trop douloureux d’envisager un contact avec d’autres bébés.
  • Oh, je suis désolée. Je ne savais pas.
  • Je n’en parle pas beaucoup. C’est difficile pour moi parce que la douleur est toujours bien présente. Je vous expliquerai quand nous serons à la maison au calme et que Lova aura retrouvé ses frères.

Le reste du trajet se fait en silence et au pas de course. Pour ma part, j’ai très envie de suivre cette conversation. Je demande à Titouan s’il est du même avis ou pas.

  • Pour rien au monde, je ne voudrais manquer ça ! Maman va parler de moi.

Je le comprends tellement. Moi-même, je pourrais passer des journées entières à écouter ma maman et la suivre dans ses activités.

  • On pourrait peut-être se tutoyer, dit Christiane en servant un café à son hôte.
  • Oui, bien sûr. Tu disais donc que Titouan te manque.
  • Oui, terriblement. Je n’ai jamais réussi à prendre un autre bébé dans les bras depuis son départ. Je fais comme un rejet.
  • Je me mets bien à votre…enfin, je veux dire : à ta place. J’ai refusé de faire une amniocentèse quand j’attendais Lubin. Je savais qu’il me serait impossible de me séparer de lui, même s’il était porteur d’un handicap et même si ça ne faisait que quelques semaines qu’il était en moi. Je me suis toujours dit que le perdre serait bien plus difficile à supporter que le quotidien avec lui. J’imagine donc bien ta souffrance.
  • Il était atteint d’une lourde pathologie et il est décédé in utéro. Les mois, les années défilent, mais le vide qu’il a laissé reste bel et bien présent. Petit à petit, néanmoins, je me fais à l’idée de câliner d’autres bébés.

Comme pour illustrer ses propos, Christiane tend les bras à Lubin qui lui répond par un sourire, puis elle poursuit en l’asseyant sur ses jambes :

  • La vie ne doit pas être facile tous les jours pour toi non plus, n’est-ce pas ?
  • A vrai dire, le quotidien avec Lubin, contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, c’est beaucoup de bonheur. Ce bébé, c’est un véritable rayon de soleil. Il sourit tout le temps, est très câlin et ne pleure quasiment jamais. C’est un amour et ses sœurs pourraient passer des heures à lui faire des bisous. Ce qui est difficile, en fait, c’est le regard des autres. Tu as bien dû te rendre compte des sourires gênés et des regards fuyants à l’arrêt de bus.
  • Oui, bien sûr. Je reconnais que ça n’est pas facile d’être naturel. Quand on regarde Lubin, on voit qu’il est trisomique.
  • C’est sûr, mais c’est dommage de s’arrêter à cela. Il vaut tellement plus. Tu sais, je vais même te dire qu’il m’apporte beaucoup. Grâce à lui, j’ai pris conscience de ce qui est essentiel dans ma vie et que ce sont les bonheurs les plus simples qui rendent heureux.

C’est ce moment que choisit Lubin pour se retourner et caler sa joue contre la poitrine de Christiane. Surprise, elle semble néanmoins apprécier ce câlin imposé. Noélie sourit :

  • Quand je te disais qu’il était très tendre, tu vois ?
  • Oui, et je t’avoue que, contrairement à mes appréhensions, ça me fait du bien de le tenir dans mes bras.

S’adressant à Lubin, elle enchaine :

  • T’es un sacré petit bonhomme, toi, hein ?

Un sourire et un gazouillis lui répondent, puis Lubin se met à téter son pouce, confortablement installé contre elle.

  • Et puisque nous en sommes aux confidences, continue Christiane, je peux te dire que moi aussi, j’ai énormément appris suite au départ de Titouan. Il n’a jamais vécu et pourtant, grâce à lui, maintenant je sais qui sont mes véritables amis. J’apprécie davantage aussi ce qui n’a pas de prix.
  • C’est bien souvent quand on est dans la peine qu’on découvre sur qui on peut compter et parfois, on est surpris. Depuis la naissance de Lubin, je n’ai plus beaucoup de visites parce que ma famille et mes amis m’évitent. Ils ont toujours une bonne excuse, mais je ne suis pas dupe.

Lubin s’est endormi. Christiane le contemple admirative.

  • Il est en train de recharger ses batteries sur moi et je peux t’assurer qu’il fait pareil avec les miennes. Ca me fait un bien fou de le sentir contre moi et de savoir qu’il s’y sent bien, au point de s’y abandonner et de dormir paisiblement. On en était où déjà ? J’ai perdu le fil.
  • On disait qu’on avait fait le tri au sein de nos amis.
  • Ah oui. Je disais aussi que j’apprécie les petits bonheurs simples. Je suis bien placée pour savoir que la vie peut s’arrêter du jour au lendemain. Je n’ai plus envie de remettre au lendemain ce que je peux faire le jour même. Et pardessus-tout, je veux prendre soin de ma famille et de moi-même.
  • Je t’avoue que je raisonne comme toi, mais par contre, prendre soi de moi est quelque chose qu’il m’est quasiment impossible de faire depuis que Lubin est entré dans notre foyer. Je dois quand même reconnaître que, malgré la joie qu’il me procure, il me demande beaucoup d’attention.
  • Je pourrais peut-être le garder de temps en temps pour te permettre de souffler.

Christiane a l’air surprise par ses propres paroles. Elle semble les avoir dites sans réfléchir, mais les assume en ajoutant :

  • J’en connais une qui serait bien contente de savoir que je vais garder Lubin. Enfin, si tu acceptes.
  • Oui, bien sûr. Ça va me faire tout drôle ! En dehors de ses sœurs, je ne l’ai jamais confié à personne. Je dirais même qu’il y en a deux qui vont être heureux !
  • Plutôt trois, je pense.

Elles pouffent de rire en même temps.

  • C’est vrai que Sylvie, Lubin et Nova, c’est une grande histoire d’amour !
  • Exactement !
  • Il faudra qu’on organise ça alors. Je t’avoue aussi qu’une grossesse après quarante ans est plus épuisante qu’à vingt ans et même si les filles m’aident bien et qu’Antoine, mon mari, prend souvent Lubin avec lui pour aller courir, entre l’exploitation agricole, Lubin, qu’il faut beaucoup stimuler, mes filles et la maison, parfois j’aurais bien besoin de souffler.

Sur ces perspectives réjouissantes, Titouan et moi regagnons le royaume de Séraphin, en nous chamaillant gaiement, comme d’habitude. Quelques nuages ont fait leur apparition dans le ciel, il se pourrait que les adolescents s’apprêtent à faire tomber la pluie aujourd’hui.

 

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[1] Habitants de la Loire

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