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Chapitre 28

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Veröffentlicht am 8, Juni, 2022 Aktualisiert am 24, Juni, 2022 Kultur
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Chapitre 28

Chapitre 28

Timéo, 20 octobre

Pour la troisième fois, Dimitri, Sophie et moi retournons au lycée où Gaëlle tente de sensibiliser les élèves à la différence. Comme chaque fois, elle leur fait visionner une vidéo. Sur celle d’aujourd’hui, nous voyons défiler différentes saynètes d’agressions physiques. Une personne isolée se fait violenter par un ou plusieurs individus tandis que d’autres amassés autour filment les faits en rigolant et en jetant des insultes à la victime.

  • Dans ce clip de sensibilisation au harcèlement, les scènes sont jouées par des comédiens, mais nous savons tous qu’il en circule des réelles sur les réseaux sociaux et que leur propagation engendre à son tour de nouvelles agressions. C’est la chasse aux nombres de vues sur Tik-tok, Snap ou d’autres sites que vous plébiscitez. Vous ne vous sentez peut-être pas concernés quand vous visionnez ces vidéos ou que vous les partagez, mais je peux vous assurer que si un élève se suicide dans ce lycée, vous serez tous sous le choc que vous le connaissiez ou pas. Je ne dis pas cela pour vous faire peur, mais si la violence se banalise, il est fort probable que vous serez un jour confronté au suicide d’une personne dans votre entourage. Selon vous, comment pourrions-nous limiter ce phénomène qui prend de l’ampleur ?

Plusieurs élèves lèvent la main et à tour de rôle, Gaëlle leur donne la parole avant d’écrire la réponse sur un tableau blanc.

  • En signalant la publication
  • En ne la partageant pas
  • En ne filmant pas l’agression
  • En dénonçant les agresseurs et les complices qui filment
  • En appelant les gendarmes
  • En intervenant en groupe auprès de la victime

Quand ils ont tous fini de s’exprimer, Gaëlle reprend :

  • Tout à fait. Moins ces vidéos auront de vues, mieux ça sera. J’en profite pour vous préciser, parce que vous l’ignorez peut-être, que le fait de regarder passivement est considéré par la justice comme de la non-assistance à personne en danger. En outre, si vous filmez ou si vous partagez des vidéos, vous devenez complices. Pensez-y la prochaine fois que vous vous retrouverez dans pareille situation. Je vous rappelle également que sur internet, vous êtes trackés. Tout ce que vous y faites est susceptible de tomber entre les mains des gendarmes, alors que vous vous sentez peut-être en sécurité derrière vos écrans.
  • Madame, il y a des sites où tout disparaît après quelques heures.
  • Oui, tu as raison d’en faire mention, mais ne vous croyez pas à l’abri car tout est stocké sur des serveurs, même si vous, vous ne pouvez plus les voir.

Gaëlle leur passe ensuite le clip du chanteur belge Stromae, « l’Enfer ». Dans celui-ci, l’artiste explique qu’il a déjà pensé à se suicider et qu’il est loin d’être le seul. La plupart des lycéens accompagnent Stromae en chantant. Quand la musique s’arrête, Gaëlle prend la parole.

  • Comme Stromae l’exprime, sa jeunesse a été jalonnée d’idées noires. Peut-être aujourd’hui le hantent-elles parfois encore. Savez-vous que beaucoup de jeunes continuent à broyer du noir pendant de nombreuses années alors même qu’ils ne subissent plus de harcèlement.

Personne ne répond. Après un temps d’arrêt, Gaëlle les interroge.

  • Est-ce que selon vous, Stromae est utile sur Terre ? Est-ce qu’il a sa place dans la société ?
  • Evidemment, oui ! Il nous divertit et il fait passer des messages dans ses chansons, répond une adolescente, tandis que d’autres acquiescent silencieusement.
  • Pourtant, durant sa jeunesse, il y a probablement des personnes qui lui ont fait sentir qu’il n’avait rien à faire sur Terre. Que ferions-nous si tous les enfants « différents » mettaient fin à leur jour ou si on se débarrassait des personnes qui ne correspondent pas aux standards ? Serions-nous heureux si nous ne gardions que les « meilleurs » ? Quelle serait notre vie sans toute cette diversité ? Qui construirait des maisons par exemple, si nous étions tous notaires ou avocats ? Qui nous divertirait s’il n’y avait pas des gens atypiques pour nous faire rire ou écrire des histoires ?
  • La différence est une force, Madame.
  • Quelle belle parole ! Quel est ton prénom ?
  • Michaël

Gaëlle semble troublée. J’interroge Dimitri du regard et découvre que lui aussi a l’air perturbé. Sa maman explique.

  • Je suis émue en entendant ce prénom et m’en excuse. Cela me rappelle de mauvais souvenirs parce que c’est à l’anniversaire d’un Michaël que mon fils a décidé de sauter d’un pont.
  • Je suis désolé pour votre fils. Il ne méritait pas de mourir, répond l’étudiant qui vient de prendre la parole.
  • Merci, répond Gaëlle les larmes aux yeux. A ton avis, à quoi…excusez-moi…je ne pensais pas craquer devant vous.
  • Je suis désolée. Je ne pensais pas vous faire de la peine.

Gaëlle se mouche avant de reprendre.

  • Tu ne pouvais pas savoir. Ne t’inquiète pas. A quoi mon fils Dimitri aurait-il pu être utile selon toi ?
  • Je ne sais pas trop. Je ne le connais pas, mais d’après ce que j’en ai vu dans la vidéo, il était très créatif. Il avait aussi beaucoup d’imagination et le sens de l’humour. J’imagine qu’il aurait très bien pu être humoriste ou auteur de bandes-dessinées, par exemple.
  • C’est possible en effet. Ce qu’on ne voit pas dans la vidéo, c’est qu’il était très fort en sciences et qu’il était incollable sur les planètes, le système solaire, les volcans, les dinosaures, la géologie. C’était aussi un petit génie des maths.

De nouveau, l’émotion submerge Gaëlle. Elle n’arrive plus à parler.

  • C’est pas juste ce qui lui est arrivé, reprend Michaël. Personne ne mérite d’être maltraité.

Gaëlle ne peut plus contenir ses larmes qui coulent à flot. Elle se mouche de nouveau puis prend un autre mouchoir pour essuyer le maquillage qui s’écoule sur ses joues. Dans la salle, plusieurs élèves sont eux aussi émus. Discrètement, ils se mouchent ou tentent de dissimuler leurs larmes.

  • Je m’excuse. Je ne devrais pas m’écrouler ainsi.
  • Ne vous excusez pas Madame.

Gaëlle se ressaisit.

  •  

S’adressant à l’assemblée, elle ajoute :

  • Vous savez : vous avez tous le pouvoir de changer les choses, chacun à votre échelle. Si mon intervention vous fait prendre conscience de cela, mon fils ne sera pas mort pour rien. Pour terminer la séance, la semaine dernière, je vous avais demandé ce que vous pourriez faire pour faire diminuer le harcèlement. Y avez-vous réfléchi ?

Une lycéenne se lève et rejoint le micro. Elle dépose sa feuille avant de s’exprimer :

  • Nous avons listé des choses que nous pouvons faire : cela commence par de la dénonciation à des adultes de faits de harcèlement dont nous avons connaissance, que ce soit au sein de l’école, sur internet ou même en ville. Nous pouvons aussi tendre la main à des jeunes en détresse et dernière chose, nous avons pensé qu’il pouvait être intéressant de d’organiser des activités en groupe pour apprendre à se connaître. On s’est dit qu’on pourrait prévoir un team-building par exemple, un escape-game ou même une journée avec différents challenges par équipes, avec à la fois des activités sportives, intellectuelles, de connaissance générale, d’agilité, de réflexion, des blind tests. Le but étant de mettre nos qualités à chacun toutes ensemble pour relever des défis.
  • Eh bien, je dois dire que vous m’épatez, même si je n’ai pas vraiment douté de vos capacités à comprendre mon message. Je suis ravie de voir que vous vous êtes autant investis dans ce projet et dans cette réflexion autour de la différence et je vous en félicite.

Elle termine ses paroles en frappant dans les mains. Son public, après une petite hésitation, se joint à elle. Au départ, une seule personne a frappé dans ses mains, puis deux, puis trois et rapidement toute l’assemblée a rejoint le mouvement. C’est une nouvelle fois la preuve qui confirme ce que Gaëlle tente de faire comprendre à ces lycéens. Gaëlle s’arrête d’applaudir et les jeunes font de même.

  • Imaginez que Stromae ait mis ses pensées noires à exécution. Imaginez toutes ces personnes qui sont heureuses de l’écouter chanter, qui chantent ses chansons et qui vont le voir en concert. Ne trouvez-vous pas que notre monde serait bien triste si toutes les personnes qui ont subi du harcèlement mettaient fin à leur vie ? Parfois, j’essaie d’imaginer la place qu’aurait eu mon fils dans cette société. Comme nous l’avons suggéré, il aurait peut-être été humoriste, auteur de bandes-dessinées ou bien un scientifique au service de la protection de la biodiversité. Je n’en sais rien. Il avait plein de talents, mais on lui a surtout fait comprendre qu’il était inutile et qu’il n’avait pas sa place sur Terre. Comme l’a dit Michaël, la différence est une force et la diversité fait la beauté de notre monde. J’espère que vous en avez tous pris conscience aujourd’hui et que vous réfléchirez à deux fois avant de faire du mal à quelqu’un parce que votre petite blessure, cumulée à toutes celles qu’il aura reçues, sera peut-être celle de trop. Si j’ai réussi à convaincre l’un ou l’autre d’entre vous de respecter l’autre dans la différence, de porter secours à des personnes harcelées et de dénoncer des faits de violence dont vous avez connaissance, j’aurai rempli ma mission. Et si j’ai réussi à convaincre beaucoup de personnes parmi vous et dans d’autres écoles, le monde de demain sera sans doute meilleur. Peut-être même que le harcèlement ne sera plus qu’un mauvais souvenir au moment où vos enfants seront lycéens à votre place. C’est peut-être une utopie, mais ça fait du bien de rêver d’un monde meilleur.

Tous les élèves et les professeurs se lèvent pour applaudir Gaëlle. Même Fabien finit par se joindre au mouvement. Je jette un œil à Dimitri et je lis la fierté dans son regard.

  • Merci beaucoup. Je voudrais juste terminer sur cette note de conclusion : le harcèlement commence souvent insidieusement. Il part en général d’un détail et peut rapidement prendre des proportions gigantesques. Cependant, tous à votre échelle, vous avez le pouvoir d’empêcher qu’une personne devienne un souffre-douleurs. Rappelez-vous que l’union fait la force et n’intervenez pas seuls au risque d’être pris pour cibles par les agresseurs. Je laisse maintenant la place au sergent Malbert qui va vous faire un rappel à la loi en vous expliquant ce que vous encourez au niveau pénal si vous vous en prenez à quelqu’un, que ce soit physiquement, verbalement ou même caché derrière un écran. Sur ce, je vous souhaite une excellente journée.

Un tonnerre d’applaudissements retentit et Gaëlle quitte la salle émue. Dimitri, Sophie et moi l’accompagnons dehors. Dimitri sort une feuille d’arbre de sa poche. Il la laisse tomber d’assez haut et elle atterrit sur le pare-brise de la voiture de sa maman. A ce moment, je distingue un trou en forme de cœur au milieu de celle-ci. Sa maman la prend en photo puis la partage sur les réseaux sociaux en ajoutant ceci : « Un signe de mon fiston, après une journée riche en émotions » suivi de plein de cœurs rouges et d’une émoji d’ange, pour le plus grand bonheur de Dimitri.

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