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Chapitre 26

Chapitre 26

Veröffentlicht am 8, Juni, 2022 Aktualisiert am 24, Juni, 2022 Kultur
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Chapitre 26

Chapitre 26

Timéo, 13 octobre

Comme nous nous l’étions promis il y a une semaine, Dimitri, Sophie et moi retrouvons Gaëlle pour sa deuxième séance au lycée.

  • On parle beaucoup de harcèlement, surtout depuis que le cyberharcèlement accentue la détresse des victimes. Elles n’ont plus aucun répit en étant poursuivies partout et tout le temps. Vous êtes tous des cibles potentielles et si ce n’est pas vous directement, cela peut concerner un frère, une sœur, un cousin ou un ami à vous. Aujourd’hui, on ne peut plus faire comme si de rien n’était ou croire que cela ne nous concerne pas. Si je prends le temps de venir vous sensibiliser, ce n’est pas pour moi. Rien ni personne ne me rendra mon fils. Je suis là pour vous, pour vous éviter de souffrir à votre tour. Et comme promis, je vais vous parler de l’effet de groupe parce qu’à plusieurs, on se sent plus forts. Je vais commencer par vous montrer une vidéo qui illustre mes propos. Vous allez voir que quand un individu s’en prend à une personne, naturellement, on va avoir tendance à se rallier à l’agresseur parce qu’il nous apparaît comme le plus fort et parce qu’on a peur de se retrouver à la place de la victime. C’est un mécanisme de protection qui est ancré dans nos gênes, comme un instinct de survie.

 

  • On ne peut rien faire contre alors, si c’est héréditaire, la coupe un lycéen qui arbore un sourire narquois.

Autour de lui, des rires étouffés se font entendre. Gaëlle ne se démonte pas.

  • Quel est ton prénom ?
  • Fabien, pourquoi ? Vous voulez mon numéro ?

De nouveau, il reçoit le soutien de quelques copains qui pouffent. D’autres par contre, semblent agacés par son attitude. Ils le regardent méchamment en fronçant les sourcils en signe de désapprobation.

  • Alors, Fabien, tu viens à point nommé illustrer mes propos. Tu te sens fort parce que tu as des personnes autour de toi qui rient de ton arrogance, mais si maintenant, l’assemblée venait à se retourner contre toi, crois-tu vraiment que tu continuerais à faire le malin ?

Surpris par la réponse de Gaëlle, Fabien semble avoir perdu quelque peu de son assurance, mais loin de se laisser intimider, il répond :

  • Je m’en fiche.

Cette fois-ci, quasiment plus personne ne rit avec lui. Bien au contraire. Il se rassied, un sourire jaune aux lèvres.

  • Je démarre la vidéo et on en discute après, de cet effet de masse, reprend Gaëlle.

On y découvre une classe d’élèves regroupés dans la cour de récréation. Quand arrive leur professeur, au lieu de le suivre, personne ne bouge.

  • On fait grève, Monsieur, entend-on crier dans la foule.

Parmi les élèves, deux filles hésitent et s’interrogent du regard. Elles semblent ennuyées de tenir tête au professeur, mais elles n’osent pas non plus le rejoindre et quitter ce groupe qui fait front. Le professeur finit par tourner les talons et ces deux filles après quelques tergiversations, décident de le suivre. Elles se font huer et des sifflements retentissent. Certains élèves pestent, mais petit à petit, un à un, tous rejoignent le mouvement et rentrent en classe.

Gaëlle reprend la parole dès que la vidéo s’arrête.

  • A votre avis, est-ce qu’une personne seule à la place des deux filles aurait pu obtenir le même résultat ?

Certains étudiants répondent oui, d’autres non.

  • Je pense qu’il est difficile de trancher cette question. Il y a peu de chances pour qu’une personne seule se soit avancée. Ce qui les a aidées à passer à l’acte, c’est qu’elles étaient deux. Ensuite, comme deux personnes, c’est un groupe, les autres élèves, l’un après l’autre, s’y sont rattachés. Mais envisageons qu’une seule personne ait suivi le professeur, à votre avis, quelle aurait été la réaction des autres ?
  • Elle se serait fait huer ! répond une jeune fille placée au premier rang.
  • Oui, sans doute. Il est fort probable que tous les autres auraient fait bloc contre elle. Mais il est possible aussi que d’autres l’auraient rejointe puisqu’ils auraient désormais le choix entre deux clans. Quelle leçon peut-on en tirer ?
  • Qu’à deux, on est plus forts.
  • C’est exactement cela. Je vais vous montrer une deuxième vidéo.

Comme la semaine dernière, Dimitri et Sophie se tiennent par la main. Sur l’écran, une jeune femme en mini-jupe sur un quai de métro se fait importuner par un homme qui a des propos salaces. Elle lui demande de le laisser tranquille, mais son interlocuteur ne l’entend pas de cette oreille. Il insiste, se rapproche d’elle et commence à la toucher. La jeune femme élève la voix. Autour d’eux, plusieurs personnes prennent la fuite en s’éloignant à grands pas du couple. Un homme de carrure imposante, avec des tatouages sur les bras et des piercings sur le visage descend alors du métro et s’interpose entre la victime et son agresseur. Plusieurs autres personnes se joignent à lui, menaçants. L’agresseur choisit alors de battre en retraite. Choquée et tremblante, la jeune femme remercie ses sauveteurs. A la fin de la vidéo, Gaëlle reprend la parole.

  • Vous avez vu comme les gens sont influençables ? Une personne prend la fuite, les autres l’imitent. Une personne s’interpose et d’autres la rejoignent. J’espère que vous garderez en mémoire ces exemples visuels et que vous choisirez le camp des sauveteurs plutôt que celui des fuyards. Cela ne signifie pas que vous devez vous interposez directement entre un agresseur et une victime. Quand vous êtes témoin d’une injustice, ne fermez pas les yeux en vous disant que ce n’est pas votre problème. A votre avis, que pouvez-vous faire concrètement dans pareil cas ?

Des mains se lèvent dans tous les rangs, preuve que les jeunes sont captivés par le sujet.

  • On peut dénoncer les faits à des adultes
  • Oui, mais encore, répond Gaëlle en proposant à un autre adolescent de parler
  • En parler à des amis pour trouver ensemble des solutions
  • Oui, très bien
  • Prévenir les gendarmes
  • Parfait
  • Signalez des vidéos d’agression et ne pas les partager
  • Je vois que vous êtes très inspirés. Bravo à vous. Encore d’autres propositions ?

Gaëlle balaie l’assemblée du regard. Comme plus personne ne lève le bras, elle reprend.

  • Ne sous-estimez pas l’effet de groupe. Plus vous serez nombreux à vous élever contre les maltraitances et plus vous aurez de chance de les faire cesser. Je pense que le harcèlement n’est pas une fatalité, qu’on a tous notre rôle à jouer. Individuellement, nous ne sommes peut-être pas grand-chose, mais à plusieurs, on devient plus forts. Chaque geste n’est peut-être qu’une goutte d’eau, mais plein de gouttes d’eau mises ensemble, cela peut devenir un océan. Pensez-y à chaque fois que vous serez témoin d’une moquerie ou d’une agression.

 

Gaëlle boit une gorgée d’eau, puis sort un livre des Schtroumpfs en expliquant :

  • Vous connaissez tous cette bande-dessinée, je suppose.

Des mouvements de tête approbatifs parcourent les rangs d’élèves.

  • Vous savez tous aussi qui est le Schtroumpf grognon.
  • Oui, c’est celui qui dit toujours : « j’aime pas » ceci ou cela, répond une lycéenne.
  • Je vais commencer par toi. Je précise avant tout que si tu ne souhaites pas me répondre, tu n’y es pas obligée. Je ne souhaite mettre personne mal à l’aise. Voilà ma question : « Est-ce que tu pourrais me dire, comme le schtroumpf grognon quelles personnes tu n’aimes pas et pourquoi ? »

La jeune fille semble réfléchir puis hésiter quelques secondes.

  • Je ne suis pas là pour te juger, ni te réprimander. Je souhaite juste vous faire prendre conscience de certaines choses qui sont ancrées en nous sans qu’on sache nécessairement pourquoi. Mais, si tu veux que j’interroge quelqu’un d’autre, pas de souci pour moi.
  • Non, ça va. Je peux répondre. Alors, depuis que je suis petite, je n’aime pas les roux. Je trouve qu’ils ne sont pas beaux. Je ne sais pas l’expliquer, mais je le ressens ainsi.
  • Merci pour ta franchise. Ne culpabilise pas, car tu n’es pas responsable de ces pensées. Si tu veux bien, j’aimerais que tu m’expliques ce que cela implique pour toi, qu’est-ce que tu ressens quand tu vois une personne rousse et quelle attitude adoptes-tu face à elle ?
  • C’est un peu comme si ça me répugne. C’est pas tout à fait ça, mais j’ai envie de garder mes distances avec ces personnes. J’ai l’impression que je vais devenir comme elles si je les côtoie. C’est comme si elles étaient contagieuses. Au fond de moi, pourtant, je sais que ça n’est pas vrai, mais j’y peux rien. Du coup, j’ai tendance à les éviter et je fais tout pour qu’elles ne m’approchent pas. C’est pareil quand je croise une personne handicapée. Elles me font un peu peur. Il faudrait sûrement que je fasse faire un genre de cure de désintoxication à mon cerveau pour qu’il trouve les personnes rousses jolies, mais je ne suis pas sûre d’y arriver.
  • Non, non. Je t’arrête tout de suite. Personne ne t’oblige à trouver les personnes rousses jolies. Par contre, comme tu le dis toi-même, tu sais qu’elles ne sont pas contagieuses. Alors pourquoi ne pas aller vers elles ? Après tout, tu ne crains rien. Je suis quasiment sûre que toi aussi, tu as déjà été rejetée injustement au moins une fois dans ta vie. Est-ce que tu te sens capable de le dire tout haut ou pas ?
  • Oui, tout le monde l’entend de toute façon. J’ai un cheveu sur la langue, je zozote et je n’y peux rien. Certaines personnes se moquent de moi, mais j’essaie de ne pas y faire attention et je m’arrange pour ne pas me retrouver avec ces personnes.
  • Tu reconnais donc que cela te peine d’être rejetée pour cette raison ?
  • Oui, c’est sûr, mais j’essaie de ne pas me focaliser dessus et tout va bien.
  • C’est l’exemple des flèches que j’avais expliqué la semaine dernière. Chacune t’atteint et te blesse, mais tu te relèves en espérant qu’il n’y en aura pas trop. Tu es donc bien placée pour savoir le mal que cela fait.
  • Oui, peut-être même que c’est à cause de cela qu’à mon tour, je me « venge » sur les roux.
  • C’est possible en effet, mais ce n’est pas une excuse, comme tu t’en doutes. Je t’invite à te rapprocher d’une personne rousse, enfin si tu le souhaites. Je ne t’oblige en rien comme je l’ai déjà dit. Dans un premier temps, tu peux échanger des messages vocaux avec elle et si vous avez des affinités, de la rencontrer en vrai en faisant abstraction de la couleur de ses cheveux. Je suis persuadée qu’après avoir échangé avec elle, tu ne la regarderas plus comme « la personne rousse à éviter », mais comme un ou une amie avec qui échanger sur une passion commune ou sur des sujets qui vous parlent à tous les deux.
  • D’accord, je vais y réfléchir.
  • Est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
  • Non,
  • Alors, au suivant ! Qui veut prendre la parole et me dire quelles personnes l’insupportent, comme le Schtroumpf grognon ?

 

Personne ne lève la main, mais Gaëlle entend les propos de Fabien à son camarade assis à côté de lui.

  • Tu peux répéter ce que tu viens de dire tout bas, Fabien ?

Il hésite, mais comme il n’a pas l’habitude de se laisser impressionner, il se lève et crie bien fort :

  • J’aime pas les PD.

Sûr de lui et sachant qu’il a le soutien de ses copains et d’autres personnes qui pensent comme lui, il nargue Gaëlle.

  • Ah oui, et pour quelle raison ?
  • C’est dégueulasse ce qu’ils font, répond-il avec un sourire en coin.

Il balaie l’assemblée du regard et constate que quelques rires s’échappent des rangs. Gaëlle lui répond sans prêter attention à son impertinence.

  • Je te remercie pour ta franchise, Fabien. Tu as le droit de penser cela, mais je m’interroge : en quoi est-ce que cela te concerne ?
  • Ben, c’est pas normal ce qu’ils font, dit-il en ricanant. Un couple, ça doit être un homme et une femme.
  • Ah ! Et qui a décidé cela ?
  • Ben, tout le monde. C’est ainsi depuis toujours.
  • Personne ne t’oblige à approuver leur couple, mais tu n’as pas non plus à les juger. Qui es-tu pour décider de ce qui est bien ou pas bien ? De ce qui est normal et ce qui ne l’est pas ?
  • Des homos, ils peuvent pas se reproduire. C’est donc bien la preuve que c’est pas normal.
  • Donc, selon toi, être en couple, c’est uniquement pour assurer la pérennité de la race humaine ? Et que fais-tu de l’amour de ces personnes ?

L’élève hausse les épaules.

  • C’est des malades mentaux. Il faut les enfermer dans des hôpitaux psychiatriques.
  • Je t’arrête tout de suite. L’homosexualité n’est pas reconnue comme une maladie. Et aujourd’hui, dans notre pays, la loi reconnaît le mariage de personnes du même sexe. L’adoption d’enfants est aussi en pleine révolution et c’est une belle avancée. Je connais des couples d’homosexuels qui ont des enfants et qui s’en occupent très bien, même mieux que certains couples hétéros qui les maltraitent et leur font vivre un enfer. Je ne suis pas là pour t’influencer. Tu peux garder tes convictions. Par contre, j’ose espérer qu’après mon intervention, tu ne blesseras jamais moralement ou physiquement quelqu’un qui n’a pas la même orientation sexuelle que toi. Il a autant le droit que toi au respect. Comme chacun de nous, il a sa place sur Terre et aucun de nous n’a à forcer qui que ce soit à penser comme lui.

Le lycéen se rassied et Gaëlle demande :

  • Qui veut prendre la parole ?

Un jeune garçon se lève, mais il semble embarrassé parce qu’il joue avec la tirette de son gilet et regarde ses pieds.

  • Je voulais dire que j’aime pas les Noirs et les Arabes parce qu’ils n’ont qu’à rentrer chez eux, mais après ce que vous venez de dire, je me dis que ce n’est pas à moi de décider s’ils doivent rester dans notre pays ou pas et qu’en vrai, je sais pas trop pourquoi ça me dérange qu’ils soient là.
  • Ne culpabilise surtout pas. Tu as sans doute entendu des adultes tenir des discours racistes ou lu des articles qui ont pu t’influencer. Certaines personnes prônent que la source de nos ennuis, le chômage ou encore la violence, proviennent des étrangers. Pour ne parler que du travail, on entend souvent dire que les étrangers prennent nos emplois. Pourtant, dans la réalité, il y a très peu d’étrangers qui accèdent à des postes convoités. Au contraire, notre pays fait appel à de la main-d’œuvre étrangère pour combler des besoins dans certains secteurs que l’on a tendance à bouder. Il y aura bien évidemment toujours des exceptions, mais il ne faut pas en faire des généralités. On fait aussi souvent l’amalgame entre islam et terrorisme. Or, le pourcentage d’islamistes radicaux dans notre pays est très faible.
  • Je vais essayer d’y réfléchir.
  • Je le répète. On ne peut pas aimer tout le monde, mais croire qu’en se débarrassant de certaines catégories de personnes, on sera plus heureux est une bien triste utopie. L’histoire nous rappelle jusqu’où ces dérives peuvent aller. Je pense bien évidemment à Hitler qui cherchait à obtenir une race pure en exterminant toutes les personnes qui ne répondaient pas à ses critères. Pourtant, la richesse de notre société, de notre monde, c’est justement la différence. Je ne vais pas vous donner à tous la parole. Réfléchissez mentalement à ces personnes que vous avez tendance à éviter ou à mépriser et j’espère que désormais, vous serez plus tolérants envers eux. Vous avez des questions ?

Personne ne lève la main.

  • Bien, alors c’est terminé pour aujourd’hui. Je reviendrai la semaine prochaine. D’ici-là, je vous invite à réfléchir à une ou plusieurs actions que vous pourriez entreprendre pour aider une personne qui souffre.

Je regarde Dimitri, qui tient toujours Sophie par la main, et lui dis :

  • Elle est formidable ta maman. Tu ne trouves pas ?
  • Oui, répond-il sans conviction. Elle va faire changer la façon de voir de quelques élèves, mais à l’échelle du pays, du monde, ce n’est rien. Tu vois bien l’ampleur que prend le harcèlement et la vitesse à laquelle il se développe avec les réseaux sociaux.
  • Oui, c’est sûr, mais pourquoi es-tu aussi défaitiste ? Chaque geste compte. Chaque vie sauvée est une victoire pour elle et pour les victimes, non ?
  • Oui, sans doute, mais elle avait tenté des choses aussi pour moi. Dans ma classe, les élèves m’avaient accepté, mais à l’extérieur, j’étais toujours l’intrus à abattre.
  • Tu es dur, Dimitri. Quand je repense aux réactions hostiles à Fabien quand il a fait son malin, j’imagine qu’il a dû se sentir petit quand ses copains l’ont lâché et que d’autres élèves ont commencé à faire entendre leurs voix. Il ne le reconnaîtra pas, mais je suis sûr que le discours de ta maman aura un impact sur lui ou tout du moins sur certains élèves. Il est donc fort probable qu’il se retrouve un peu moins bien entouré et soutenu dans ses propos ou ses actes.

Un sourire éclaire le visage de Dimitri tandis que nous regagnons le royaume en silence.

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