Petit arrêt pause déjeuner sur une aire d’autoroute. Rien de spécial, sinon des sandwichs jambon- beurre – les clichés ont la vie dure - avalés en quatrième vitesse, arrosés d’eau fraîche, vu la chaleur. On est pressé de tailler la route à nouveau, vers le sud ! On approche vite de Clermont. Joseph lance de temps en temps une œillade appuyée en direction de la jeune femme, séduisante à souhait. Elle semble somnoler, il pense alors à baisser le volume de la radio. Mais une mélodie familière l’arrête en plein élan. Il tend l’oreille. Oh ! C’est bien cette satanée chanson qu’il reconnaîtrait entre mille : « C’est un beau roman », de Michel Fugain ! Jolie chanson, mélancolique à souhait. Mais pas pour Joseph, pour qui les souvenirs remontent, irrémédiablement, douloureusement. Un premier août, il y a bien longtemps. Ce jour où sa mère a annoncé à son père qu’elle le quittait, à son grand désespoir. Il avait dix ans, sa sœur sept. Ils partaient en vacances dans le sud, vers Montpellier, au Grau du Roi, comme chaque été.  Ils s’étaient arrêtés sur une aire de repos pour déjeuner. A Clermont Ferrand tiens ! La vie vous joue de ces tours quand même ! Une dispute avait éclaté, plus violente encore que la précédente, le paternel giflant de toutes ses forces sa femme, qui d’un bond, s’était enfuie, puis réfugiée dans un bar. Pour appeler quelqu’un à la rescousse, sans doute, Tata Lise. Le couple venait d’éclater avec fracas.  Les vacances n’avaient pas eu la même saveur sans maman.  Et plus rien ne serait plus jamais comme avant. Puis, le divorce pour faute demandé par le père, la vie coupée entre ses deux parents, l’impression d’avoir été pris en otage. Mais surtout l’incommensurable douleur de l’abandon, celui d’une mère, qui préfère choisir son amant au détriment de ses enfants. Une blessure qui ne se refermerait jamais vraiment pour l’enfant qu’il était à l’époque, et l’adolescent qu’il deviendrait ensuite … 

            Entendre cette chanson le remue violemment, plus qu’il ne l’aurait cru ; et rouvre une vilaine plaie. Implacablement. Atrocement. Joseph contemple cette jeune femme endormie à côté de lui, qui lui rappelle vaguement sa mère, et surtout sa magnifique chevelure brune. Fugacement, les traits de cette dernière se superposent à ceux de la voyageuse. La surprise se mue en colère intérieure, secrète, puis brutalement, la colère se change en une haine terrible et violente. Des idées plus folles les unes que les autres prennent possession de son esprit. Ça va passer, faut être patient, se focaliser sur autre chose. D’ailleurs, c’est bientôt le moment de la déposer … Joseph accélère brusquement.