— Mais avant tout, s’exclama Liam avec enthousiasme en se levant de son lit, je propose qu’on mange un morceau !

— Si tu veux, soupira son interlocuteur en haussant les épaules.

— Par contre, je suis désolé, j’ai dû mettre tes vêtements à la lessive. Mais si tu veux, je peux te prêter des habits, Doyle.

— Appelle-moi Sevan, corrigea le noiraud en quittant la chaise de bureau. Et merci, c’est gentil de ta part…

Le blond se rendit compte qu’un sourire idiot s’était imposé sur son visage. Il était simplement content que son invité-surprise cesse de se montrer aussi méfiant envers lui et accepte ses offres sans rechigner ! Il ouvrit son armoire et fouilla dans sa penderie pour trouver quelque chose à lui donner. Sevan était légèrement plus petit que lui, alors il récupéra dans le fond une chemise noire qu’il ne portait plus depuis des mois après avoir encore pris quelques centimètres. Il lui trouva également un pantalon gris qu’il lui tendit avec une ceinture.

— Tu peux aller te changer dans la salle de bain si tu préfères être seul. C’est à droite, au bout du couloir.

— D’accord, répondit le noiraud en saisissant ses habits avant de sortir de la chambre.

Liam se revêtit quant à lui d’une chemise rouge à manches courtes et d’un pantalon de toile noir. Il refit rapidement sa queue de cheval pour ne pas paraître trop négligé et prit la direction de la cuisine. Il trouva sur le buffet un sachet en papier de la boulangerie du coin, dans lequel se trouvaient deux pains au chocolat et deux croissants

Maman a peur que je meure de faim ou quoi ?

Il prit deux assiettes qu’il déposa à table et se servit un grand verre de jus d’orange. Au même moment, il entendit la porte de la salle de bain s’ouvrir.

— Sevan, tu veux boire quelque chose ? l’interrogea le blond alors que les pas se rapprochaient de lui.

— Ehm… tu as du thé Earl Grey ? demanda le noiraud alors qu’il prenait une tasse dans une armoire

— Bien sûr ! Je te fais ça tout de suite !

Liam commença à le préparer avant de se retourner. Et il s’immobilisa immédiatement, sa mâchoire manquant de se décrocher ! Son invité avait passé les vêtements qu’il lui avait prêtés. La chemise noire légère ouverte laissait voir un bout du bandage qu’il avait encore et contrastait avec sa peau claire. Tout lui allait si bien, ses habits mettant en valeur sa silhouette svelte. Ses cheveux sombres étaient légèrement en bataille, mais étrangement, cela ne le rendait que plus beau.

Ça devrait être illégal d’être aussi classe !

Pour Liam, il ne faisait aucun doute que s’il avait été une fille, il serait tombé sous son charme en un regard.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? interrogea Sevan d’un ton méfiant qui lui remit immédiatement les deux pieds sur terre. J’ai un truc sur le visage ?

— Ah, se reprit rapidement le blond dans un sursaut. Non rien. Installe-toi, je t’apporte ton thé…

Sentant ses joues chauffer et prendre la couleur d’une tomate, il tourna la tête pour se cacher tandis que son invité s’asseyait sur une chaise. Il acheva la préparation du thé et déposa la tasse fumante sur la table avant de s’asseoir face à lui.

— Merci, soupira le noiraud. Je vais devoir commencer par t’expliquer ce que sont concrètement des Spectres. Comme je te l’ai dit, ce sont des gens comme toi et moi, dotés de capacités que les autres appellent surnaturelles. Il y a quelques théories sur l’apparition de ces dons, mais elles relèvent davantage de la légende que d’une réelle étude scientifique. On raconte que si on appelle ces personnes les Spectres, c’est parce que le premier détenteur de pouvoir avait la capacité de se rendre invisible comme un fantôme.

Liam prit silencieusement une gorgée de jus d’orange. Il ne savait pas ce qui le fascinait le plus entre les paroles de Sevan et sa voix agréable à entendre.

— Mais ce type-là aurait vécu il y a près de six-cents ans, et encore on ne sait même pas s’il a vraiment existé. Aujourd’hui, les Spectres sont plus organisés qu’avant, ils se rejoignent dans des groupes, mais ils restent tout de même cachés. Les pouvoirs sont très différents les uns des autres, certains sont plus rares que d’autres. En général, un Spectre évite de dévoiler son pouvoir à un autre. Mon — notre — monde est assez dangereux et certains d’entre nous sont de vrais dangers publics !

— Donc tu ne vas pas me dire quel pouvoir tu as, devina le blond sans parvenir à cacher la déception dans sa voix.

Pour une fois qu’il rencontrait quelqu’un qui lui fournissait des explications un peu meilleures que « aaah, mais t’es bizaaarre toi ! », il aurait bien aimé savoir quel genre de dons il pouvait avoir.

— Mmh, en temps normal je ne l’aurais pas fait, marmonna le noiraud d’un air agacé. Mais maintenant que tu vas découvrir le monde des Spectres — parce que tu n’as pas le choix — tu apprendras très vite les rumeurs sur moi, et donc mon pouvoir.

— Tu es célèbre dans ton monde ? s’étonna sincèrement Liam.

— Je t’ai dit que c’était NOTRE monde, crétin ! s’impatienta Sevan en croisant les bras avec mauvaise humeur. Et je suis connu, mais pas très apprécié. Un tas d’abrutis me reproche d’avoir un « sale caractère » ! Non mais je vous jure… S’ils n’étaient pas aussi idiots, aussi…

Son interlocuteur préféra ne pas répondre, car tout ce qu’il aurait pu dire aurait été qu’il avait vraiment un caractère de chien. Mais en voyant le regard menaçant de son invité, il comprit qu’il avait intérêt à dire quelque chose !

Comment un ado peut-il autant me faire flipper ?!

Le type était plus petit que lui, n’avait pas l’air très musclé, mais il émanait de lui une telle froideur que même l’iceberg dans Titanic avait l’air plus sympathique !

En tournant la tête, le blond remarqua qu’Orion s’était levé du canapé et traversait le studio d’un air paresseux, s’étirant langoureusement.

— Oh, attends une seconde ! s’exclama Liam en se levant, trouvant enfin un prétexte pour ne pas répondre. Il faut que je nourrisse mon chat, j’ai oublié ! Ooorioooon, mon chouchou !!

Le chaton tourna la tête vers lui et ses yeux dorés semblaient dire « mais qu’est-ce qu’il me veut encore cet humain bruyant ? ».

L’adolescent récupéra le sac de croquettes, et le matou vint immédiatement se frotter contre sa jambe en miaulant. Il fit ses plus beaux yeux de chien battu jusqu’à ce que les croquettes atterrissent dans sa gamelle. Immédiatement, il délaissa l’humain pour se jeter sur la nourriture. Liam retourna s’installer sur sa chaise et prit une très longue gorgée pour éviter à nouveau de répondre. Semblant comprendre qu’il n’en aurait pas, Sevan soupira.

— Si je veux que tu comprennes ce qu’il s’est passé, je vais devoir te dire quel est mon pouvoir. Mais rappelle-toi : tu en parles à quelqu’un, tu es mort ! C’est clair ?

— Limpide, confirma le blond d’une petite voix.

— J’ai le pouvoir de ralentir le temps, un pouvoir très rare apparemment. Sans le vouloir, j’ai plusieurs fois changé d’époque.

— Tu as voyagé dans le temps ? s’exclama Liam presque en criant, faisant sursauter Orion.

— C’est l’idée. C’est pour ça que je t’ai demandé dans quelle année nous sommes. Cependant, je ne garde presque aucun souvenir de ces voyages, et pour tout te dire, j’ai même parfois de sacrées pertes de mémoire. Mais je sais une chose : j’ai bien plus de seize ou dix-sept ans.

— Euuuh tu es sûr de ce que tu dis ? interrogea son interlocuteur en haussant un sourcil sceptique.

— Étant donné que je suis né en 1983, oui, j’en suis sûr, répliqua Sevan d’un air pincé.

Liam fit rapidement le calcul. Effectivement, il ne pouvait décemment pas avoir 17 ans, puisqu’il avait même le double de cet âge. Cependant, cette affirmation contrastait avec sa tête d’adolescent.

— Et comment tu expliques… ton apparence ? Sans vouloir t’offenser, tu as l’air… plus jeune que moi.

— Je pense que mes blessures ont affecté le fonctionnement de mon pouvoir, et qu’au lieu de me ramener dans une époque antérieure, il a ramené mon corps dans une époque passée. Mais ce n’est qu’une théorie, je ne peux être sûr de rien… Attends, si tu veux une preuve de ce que je dis…

Il récupéra dans sa poche son étui contenant ses cartes et il en sortit sa carte d’identité. Il la tendit à Liam. Ce dernier fut immédiatement frappé par la photo qui se trouvait sur le document. Elle montrait un homme adulte, aux cheveux noirs, dont le bout des mèches était teint en bleu. Cependant, ses yeux bleu clair ne laissaient aucun doute sur l’identité de la personne. C’était bien Sevan, mais deux fois plus âgé, avec les traits d’adultes.

Et son nom écrit à côté de la photo ne faisait que confirmer la version de son invité. Sa date de naissance, le vingt-deux novembre 1983, lui donnait trente-trois ans.

— Je vois… marmonna Liam d’un air songeur. Je te crois, ne te méprends pas ! C’est juste que… ça fait beaucoup d’un coup…

Sevan le regarda silencieusement, avant de hocher lentement la tête.

— Si tu n’as pris conscience que maintenant que tu étais un Spectre, mais en ayant conscience d’avoir des pouvoirs surnaturels, alors je comprends que ça te choque…

— Je n’en ai parlé à presque personne, ma mère n’est même pas au courant… J’ai tellement peur que quelqu’un découvre ça…

— Tu n’as pas besoin de te cacher, tes pouvoirs sont normaux. Tu n’as rien de bizarre. Attends… tu n’en as parlé à presque personne ?! Donc tu en as parlé à quelqu’un ?

Le ton de Sevan était passé de la surprise à une sorte d’agressivité inquiète. À présent, le blond avait l’impression d’avoir fait une connerie qu’il n’allait pas tarder à regretter.

— Eh bien, j’en ai parlé à ma meilleure amie ! Mais elle ne dira rien à personne !

— Il y a intérêt pour toi ! Mais tu ne devrais jamais, et j’ai bien dit JAMAIS, lui parler de moi.

— Ouais, je commence un peu à m’y habituer, soupira le blond en roulant des yeux. Mais d’ailleurs, maintenant que tu m’as donné des explications, tu avais quelque chose à me demander ?

— Oui, j’aurais besoin de toi pour m’indiquer le chemin jusqu’à chez moi. Je n’ai aucune idée d’où je suis et je dois aller jusqu’à Park Street.

— Ah, c’est pour ça que tu m’as demandé si on était loin de Mayfair, devina Liam en sortant son téléphone portable de sa poche. Pas de soucis, je vais regarder ça.
Il chercha l’itinéraire sur Internet, mais il n’était pas très compliqué à retenir : il fallait rejoindre simplement rejoindre Baker Street, descendre vers le sud en direction de Portman Square, continuer sur Orchard Street, et après un petit virage, il pourrait rejoindre Park Street.

Penché par-dessus son épaule, Sevan regarda le chemin qu’il devait suivre. Ce fut après de longues secondes, durant lesquelles Liam sentit sa respiration près de son épaule, qu’il s’écarta enfin en soupirant.

— Bon, merci, je vais y aller, déclara simplement le noiraud. Encore merci pour ton aide.

— Tu sais, je pourrais peut-être t’accompagner ? On pourrait peut-être encore un peu discuter sur les Spectres ?

Le noiraud le fixa quelques secondes avec méfiance.

— Très bien, au moins je pourrais m’assurer que tu ne vas pas parler de moi à ton amie. Au fait, maintenant que j’y pense, tu as du temps à perdre pendant les vacances ?

Dessin original d'Elysio Anemo