Dans ma baignoire, une histoire d'urine quantique
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Dans ma baignoire, une histoire d'urine quantique
Tout à l'heure je me suis noyée dans ma baignoire.
C'était bon. Je l'ai fait avec délectation et il y a plein de souvenirs de mon enfance qui me sont revenus à mesure que mon coeur ralentissait l'allure sous l'eau. Mon dos et mes fesses dépaissaient du manteau aqueux, et je sentais mes propres vibrations partant de mon bassin en un "boum ! boum !" sonore et vivant.
Comment te décrire ce que j'ai vécu ? Quand je suis sortie de l'eau, j'ai eu l'impression de me voir à la piscine en Guadeloupe, les yeux rouges de les avoir ouverts dans l'eau, les cheveux trempés et mon visage étonné. Un sourire m'étirait les lèvres. Ce que je viens de vivre est un souvenir qui est toujours en train de se dérouler, quelque part, un autre présent en cours que je suis allée visiter, tout simplement.
Une envie impérieuse m'a emparée l'âme : une piscine. Je veux une piscine, un bassin, une grande baignoire, n'importe quoi pourvu que mon corps s'y dépose comme un coussin de plumes, s'y fripe et s'y fonde. Pourvu que l'eau me prenne et m'emmène dans ses mémoires ondulatoires, elle qui porte en elle les sillons de la Terre et du Ciel réunis.
Mes doigts sont encore fripés à mesure que j'écris ce texte, et je tape frénétiquement pour ne pas en perdre une miette. Mais déjà, dès que mon pied a touché le sol hors de la baignoire, le besoin s'estompe, le souvenir repart comme une mère qui dit au revoir à sa fille. Déjà j'intellectualise, le temps de prendre mon ordinateur, de me sécher, de me mettre un tee-shirt sur le dos et de commencer à écrire ici, dans ma chambre.
Je voudrais décrire le froid piquant qui m'a ravi le corps quand je suis sortie, rejouant à la perfection les sensations de mes jeunes membres rencontrant l'air après plusieurs heures dans l'eau, à m'entraîner à la natation synchronisée dans mes années adolescentes. Je voudrais faire des belles et poétiques phrases sur le fait que dans l'air, il y a des gouttes en suspension, et que dans l'eau il y a de l'air en suspension, et que cette différence duale qui sépare deux mondes, est la manifestation physique des états énergétiques dans lesquels l'univers se maintient en équilibre, et nous avec. Je voudrais aussi partager ce que faire pipi dans la baignoire tout à l'heure m'a appris : mon urine ne s'est pas seulement arrêtée là où mon corps l'a expulsée, mais elle s'est diluée partout dans la baignoire si bien que si un scientifique prenait un millième de millimètres cubes d'eau de ma baignoire avec un outil d'analyse très poussé, il y détecterait une trace de mon urine alors qu'à l'échelle de ces molécules, cela constitue peut-être des milliards de kilomètres à parcourir !
Et en même temps que le scientifique détecterait mon urine dans la baignoire, il y verrait aussi des sels minéraux du parcours de l'eau dans la Terre, de la chlorophylle de son cheminement dans les forêts d'Amazonie, des protéines à l'origine de toute vie, de la poussière d'étoiles, et peut-être même du calcium d'anciens os de dinosaures.
Et si il pouvait pousser l'observation encore plus loin dans l'infiniment petit, il y verrait les traces énergétiques de tout ce que l'eau a traversé puis déversé dans l'océan cosmique. L'alimentation d'anciennes civilisations, leurs croyances, d'ancestrales traditions, les violences et les amours, les guerres et les paix, les espoirs et tout ce qui ne s'inventera jamais, les intentions et les souffrances des êtres vivants, et le futur non écrit, mais manifestement en création constante..
Encore plus loin, là où tout n'est que fractales et vibrations ondulatoires, en remontant le fleuve de ces informations, on arrive à une source d'où tout coule et découle. Un battement de coeur inlassable, des pulsations originelles créatrices, extension, contraction, extension, contraction, l'amour peut-être? La lumière à coup sûr.
Faire pipi dans ma baignoire m'a reconnectée à tout cela. Par un acte d'une nature désinterressée, jouant son rôle à la perfection (mon corps expulsant ce dont il ne veut pas), et moi observatrice et sujet observé à la fois, consciente de l'apparente dualité à être son propre scientifique et sujet d'expérience, lâchant prise, calme et sereine..
En remontant à la surface pour reprendre mon souffle, passée dans l'air, de l'autre côté de l'eau, j'ai su que je saurais encore mieux me mouvoir dans l'atmosphère, que ma nageoire de baleine se développe subtilement sur mon dos, que mes mains se transforment en palmes et que ma gorge se meut en branchies. Je me dote d'un radar capable de détecter le moindre mouvement dans l'eau qui nous relie, dusse être un humain qui dans sa baignoire, allègrement, fait pipi.