Un banc au bord de l’abîme
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Un banc au bord de l’abîme
Les plus beaux des bancs sont en Écosse, et dans les endroits les plus escarpés ou les plus inattendus, ils s’imposent comme des évidences. Paisibles, entêtés, au-dessus d’un gouffre d’écume, sur le versant d’une montagne, au seuil d’une lande, au milieu des fougères, au pied d’un château tout en haut d’un tertre, ils te tiennent la conversation. Et tu t’arrêtes, tu t’assieds dans cet intime périmètre ou tu poses tes pieds, tu t’accoudes, tu t’étires le dos et tu mesures la majesté du paysage. Tu n’as qu’à te laisser aller.
Les bancs sont humbles et recueillis. Ce sont des entonnoirs à rêveries. Pendant que, fourbu, tu penches la tête en arrière, tu vois le grand ciel au-dessus de toi, eux ils te versent dans le fond des yeux et dans les poumons, un savoureux bol d’air et un second souffle. C’est pour cette raison peut-être que la plupart d’entre eux sont dédiés à des gens disparus qui aimaient venir dans ces lieux où ils continuent de venir pour l’éternité.
Sur la colline qui mène à Holborn Head, Mel et Annie t’attendaient ce soir-là et tu n’en savais rien. Pendant des années, elles ont gravi tous les dimanches et jours de fête le sentier pour s’ébattre dans l’herbe folle qui court jusqu’au ras de la falaise. L’océan relie d’un immense trait bleu les côtes des îles Orcades et celles du Caithness. Là où est installé le banc, le vent souffle fort et l’herbe tremble de voir les flots blancs. Les grosses mottes de mousse dissimulent des trous béants et des accès directs sur le vide.
L’endroit est exaltant. La prairie fraîche et verte, abondamment fleurie en été, donne envie de courir et de décoller. De s’élever au-dessus des roches, au-dessus des hautes falaises et de se laisser porter par les courants ascensionnels, sans jamais redescendre vers le sol accidenté.
C’est à la frontière de cette ivresse que Mel et Annie s’assoient encore sur leur banc. Sobre, silencieux et raisonnable, il veille et il écoute la mémoire des lieux. Sur le dossier, cette plaque rappelle leurs deux noms…
« Remembering Mel and Annie laughing for life in the long grass »