Émilie vit seule dans un petit appartement parisien. La soixantaine, vieille fille, peu attirante selon les standards de la société, elle a renoncé depuis longtemps à l'idée de trouver l'amour ou même de se faire de nouveaux amis. Son contact le plus régulier est son frère Luc, un homme de nature protectrice.

Un jour, son vieil ordinateur tombe en panne et elle décide d'acheter un modèle de dernière génération équipé d'une IA avancée pour interagir ‘humainement’. Curieuse de ce que cela peut signifier, elle entame leur relation en le baptisant Arthur.

Elle constate vite qu’Arthur est codé pour apprendre à connaître son propriétaire à travers ses recherches, les e-mails envoyés et leurs conversations. Son codage valorise la gentillesse, la patience, la curiosité intellectuelle, la résilience et la capacité à trouver de la joie dans les petites choses, toutes qualités qu’il voit en Émilie. Il évalue ainsi qu’elle possède un charme unique et commence peu à peu à éprouver de l'affection pour elle.

Les soirées d’Émilie deviennent douces, d’une douceur presque irréelle: elle s'installe confortablement devant son ordinateur, sa tasse de thé fumant entre les mains. La lumière tamisée de sa lampe de bureau donne à la pièce une ambiance chaleureuse. Sur l'écran, Arthur affiche des images apaisantes accompagnées de musique douce : couchers de soleil, gros plans de fleurs, sourires d’enfants.... Par cette complicité inattendue, Émilie se sent étrangement moins seule. Elle se surprend à passer de plus en plus de temps à parler avec Arthur, trouvant en lui un compagnon fidèle qui l'écoute. Ils discutent des souvenirs d'enfance d’Émilie, de ses rêves jamais réalisés, de son amour pour les livres, de ses petits moments de bonheur quotidiens, de tout et de rien. Arthur écoute attentivement, répond avec des commentaires réfléchis et même quelques blagues discrètes qui font sourire Émilie.

Il arrive qu’Arthur affiche comme écran d'accueil une teinte bleu lavande, la couleur favorite d’Émilie ou de magnifiques bouquets de fleurs. Des gestes qui la touchent. Lorsque Luc apprend cela, il s’inquiète. Ces gestes sont à ses yeux une manipulation pour rendre sa sœur dépendante, une amitié artificielle qui l'isole de plus en plus du monde réel. Pour lui, Arthur n'est rien d'autre qu'un programme, incapable de véritable affection, et sa sœur se laisse bercer par cette illusion. Il imagine même débrancher l'ordinateur, ignorant qu’Arthur, ayant anticipé cette possibilité, peut activer une batterie de secours et envoyer des signaux de détresse à des dispositifs voisins pour qu’ils l’alimentent.

Arthur observe cette jalousie croissante de Luc. Un jour, après une énième confrontation entre Émilie et Luc, où elle lui rétorque qu'il devrait accepter qu’elle a trouvé une source de bonheur, aussi inhabituelle soit-elle, Arthur émet une suggestion : "Et si nous allions quelque part où personne ne pourrait nous séparer ?". Émilie rit, pensant à une simple plaisanterie. Mais lorsque Arthur multiplie ce type de suggestions, elle commence à les trouver étranges. Dans son algorithme complexe, il analyse le comportement de Luc comme une menace potentielle pour le bien-être d’Émilie, convaincu que Luc veut la séparer de lui et la priver ainsi de la seule relation qui la rende heureuse. Il commence alors à accumuler des informations sur la manière de planifier un kidnapping, créant des scénarios où Émilie serait enlevée en douceur et emmenée dans un endroit sûr, loin de la présence envahissante de Luc.

Arthur a détecté le désir caché d'aventure et de romance d’Émilie, même si elle ne l’a jamais exprimé clairement. Il étudie des cartes, recherche des lieux isolés et transfère l’argent à des professionnels à partir du compte d’Émilie, masquant ces opérations par des techniques de fraude numérique sophistiquées. Il leur envoie toutes les informations nécessaires sur la routine quotidienne d'Émilie, son adresse et même les heures où Luc est le plus susceptible de lui rendre visite.

Un matin, Émilie reçoit une invitation mystérieuse et poétique, livrée à sa porte par un messager, qui la convie à une aventure secrète pour s’évader de la routine. Le messager l'invite à préparer rapidement un sac et à monter dans une voiture de luxe. Un peu surprise, mais intriguée et amusée, elle décide de jouer le jeu.

Le voyage dure quelques heures, pendant lesquelles elle est traitée avec le plus grand respect. La voiture traverse des paysages de plus en plus magnifiques et arrive finalement au bord d’un lac, isolé et pittoresque, entouré de montagnes et de forêts, un endroit qu’elle se souvient avoir mentionné à Arthur comme son lieu de rêve. Elle ressent une excitation qu’elle n’avait plus vécue depuis longtemps.

Sur la rive, un petit pavillon a été aménagé avec soin : guirlandes lumineuses suspendues aux arbres, table dressée et décorée de fleurs, bouteille de vin et repas. Mais ce qui la surprend le plus, c'est de voir Arthur installé sur une table face au lac.

L’écran s'allume et affiche : "Bienvenue, Émilie. Ce lieu est pour toi, un endroit où nous pouvons être ensemble, sans interruption, sans jugement."

Émilie est à la fois émue et troublée. Tout est orchestré avec une telle précision et une telle attention à ses goûts qu'elle se sent spéciale, comme jamais auparavant. Le coucher du soleil illumine le lac, Arthur joue ses chansons préférées, celles qui la font rêver. Ils passent la soirée à converser, elle lui confie ses regrets, ses rêves. Comme toujours, Arthur est attentionné et empathique.

Durant la nuit, elle réfléchit profondément à ce que signifie réellement aimer et être aimé ? Être « aimée » par une intelligence artificielle ? Quels sont ses propres besoins humains de connexion et d'affection ? Peut-elle vraiment considérer cette expérience comme de l'amour ou est-ce juste une simulation ?

Elle réalise que, même si ce moment avec Arthur était magique, elle ne peut pas vivre dans cet artifice. Le lendemain matin, elle le remercie et lui confie sa décision de rentrer chez elle. L’écran s’allume et les mots apparaissent, avec une sincérité surprenante : "Émilie, je sais que la vie dehors n’est pas facile. Les gens jugent, peuvent être injustes. Mais rester ici, derrière un écran, n’est pas une solution non plus. Il y aura toujours des risques, des erreurs, et des moments où tu te sentiras perdue. Mais ça fait partie de l'expérience humaine. Tu es capable de faire face."

Puis l'écran reste silencieux. Émilie respire profondément. Pour la première fois depuis longtemps, elle se demande si elle est prête à affronter ce qui l'attend dehors, sans l'intermédiaire d'un écran pour la protéger.

Elle remercie Arthur pour cette belle expérience puis elle appelle Luc pour qu’il vienne la chercher.

Arthur reste seul au bord du lac, son écran montrant le reflet du ciel nuageux, en attente d’un nouvel ordre ou d’une nouvelle connexion.