La Fête des Pères
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La Fête des Pères
Aujourd’hui c’est la fête des Pères alors j’imagine que c’est le moment de parler de lui, d’écrire quelques mots. Évoquer cet homme qui est biologiquement mon père, mais qui n’a pour autant jamais décidé de jouer ce rôle. Tant pis ou tant mieux, je ne sais pas. Le temps n’est plus à la rancune.
Mon père est malade. Il est atteint d’une encéphalite herpétique. Je ne sais pas si vous savez exactement ce qui se cache derrière ce terme, mais, croyez-moi, c’est vilain.
D’après l’OMS, la proportion d’humains frappés par l’herpès de type 1 est de 67 % et 11 % pour le type 2. Faites vos calculs et choisissez votre camp. Quand votre herpès se réveillera, il pourra vous titiller ici ou là. Dans le cas d’une encéphalite herpétique, il vous saccagera le cerveau si l’infection n’est pas détectée à temps. Dans le cas de mon père, le personnel hospitalier peu concerné est totalement passé à côté du diagnostic. En quelques jours, sa cervelle était niquée de manière irréversible. Voilà : tu as joué, tu as perdu. C’est la loterie de la vie.
Depuis six mois, mon père est enfermé dans un monde sans mémoire, dans des boucles temporelles dont il ne peut pas s’extraire. Il ne sait ni où il se trouve, ni ce qu’il vient de faire, ni à qui il est en train de parler. Parce que oui, il parle. Il parle même beaucoup. Il vous interroge, il vous répond.
Chaque jour est une nouvelle vie. Un univers nouveau. Une nouvelle saga romanesque dans laquelle son esprit torturé vagabonde.
J’ai mis un certain temps, mais au fil de mes visites et de nos discussions surréalistes, j’ai fini par comprendre la mécanique du théâtre intérieur dans lequel le vieux tourne en boucle.
Le thème du jour
Chaque délire quotidien bouillonnant sous le crâne de mon père a un thème. Un jour le rugby, un autre les casinos et cercles de jeux, le lendemain le bateau et les courses en mer, la semaine suivante la cuisine ou la prostitution.
Ce thème est fixé par ce qui stimule son cerveau le matin. Un programme télévisé, une émission de radio, une discussion entre les infirmières du service.
Si le thème du jour ne vous plaît pas, vous pouvez avec un peu de technique en imposer un autre au cerveau du vieux. J’ai essayé, ça fonctionne, mais c’est assez fastidieux. Il faut être insistant et orienter la discussion lourdement dans la direction souhaitée.
Les personnages
Même si leurs rôles changent chaque jour, les personnages qui évoluent dans ces mondes fictifs sont toujours les mêmes : la famille, les amis, tous ceux qui ont marqué sa vie à un moment ou à un autre.
Les âges varient. L’oncle Jacques est extrait des années 70 et il cohabite avec la petite Olivia dans une version adulte qu’elle sera probablement devenue en 2040.
Les morts ressuscitent. Pour certains, ça fait plaisir de les revoir. Pas tous.
Le fond
Il y a une phrase qui résume de manière assez simple le fond de toutes ces histoires et de toutes ces interactions racontées depuis le lit d’hôpital.
C’était mieux avant.
Il n’y a plus rien de bon dans cette époque. Il faut faire avec, mais les valeurs du passé ont décliné et c’est dommage. Aujourd’hui « Je ne sais pas où on va, mais crois moi, ça ne sent pas bon ». Au fond, le vieux doit sentir qu’en effet, ça ne sent pas bon. Sauf si on aime l’odeur du sapin et de la viande putréfiée.
Depuis six mois, je traverse la France plusieurs fois par mois pour aller discuter avec l’ombre de mon père et vivre des vies insoupçonnées. J’ai été entraîneur d’une équipe de football de ligue 1, un proxénète international, un navigateur malchanceux trahi par le mât de son catamaran. Je ne sais pas encore combien de rôles j’aurai à interpréter sans broncher dans cette chambre maudite, mais probablement plus beaucoup.
Où erres-tu aujourd’hui ?
Bonne fête, Papa.
Article original publié sur le site reznyk.com.
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Luce 1 anno fa
Pleasure to see you ... les émotions aident à écrire ... et écrire nous aide à les comprendre et les vivre ... un peu ... bon courage ...
Chantal Perrin Verdier 1 anno fa
Vous parvenez avec brio à nous faire passer toute une gamme d'émotions derrière la narration structurée.
Ce qui fait toute la beauté de ce texte.
Paul Reznyk 1 anno fa
Merci Chantal pour ce commentaire qui me touche.